— Cela, avoua la jeune fille, je dois dire que je n’en sais absolument rien. C’est un mystère que j’éclaircirai sans doute un jour. Pour le moment, je ne puis vous renseigner. Mais, revenons à notre sujet. Il faut, Madame, que vous sauviez votre frère. Il est actuellement sous le coup d’une grave accusation, il risque un châtiment terrible, celui des assassins vulgaires, il est indispensable que vous le sachiez.

— Que dois-je faire ?

— Il faut, déclara celle-ci, que vous alliez dire la vérité tout entière à la Justice.

— Mon Dieu, mais c’est épouvantable, c’est affreux, la situation dans laquelle je me trouve est unique au monde, il n’en est pas de plus atroce.

— Pourquoi ?

— Parce que si je dis la vérité, je suis perdue.

— Votre frère sera sauvé. Si on le juge sous l’inculpation d’avoir tiré un coup de revolver sur une inconnue, il passera pour une simple brute et il sera durement condamné, tandis que si on connaît les motifs qui ont armé son bras, si l’on sait que c’est pour protéger sa sœur, pour la défendre contre un amoureux entreprenant, si l’on apprend que ce militaire a fait feu pour sauvegarder l’honneur de sa famille, on lui pardonnera, il sera remis en liberté.

— Mais alors, si je parle, je me déshonore à tout jamais, car il me faudra dire les motifs pour lesquels je me trouvais auprès de l’infant.

— Il vous faudra dire la vérité, Madame, le devoir de tout être humain c’est de dire la vérité et vous le ferez quoi qu’il arrive, n’est-il pas vrai ?

Un instant, Delphine Fargeaux réfléchit. Tout son être se crispa.

— Je serai courageuse, murmura-t-elle enfin, vous avez en effet raison. J’irai dès cet après-midi à Bayonne, je verrai les gens de justice et je leur parlerai. Toutefois, poursuivit-elle, en essuyant une larme, plus jamais, au grand jamais je n’oserai reparaître ici, me montrer à mon mari. Pauvre Timoléon, que va-t-il penser de moi lorsqu’il saura… Je vous remercie. Mademoiselle, des bons conseils que vous m’avez donnés. Il me reste à vous demander une faveur.

— Laquelle, Madame ?

— Eh bien, voici : en sortant du Tribunal, cet après-midi, je partirai pour l’étranger, j’irai loin, très loin. On ne saura jamais ce que je suis devenue. Alors, je compte sur vous pour dire à mon mari… Mon Dieu, tout ce qui vous plaira. À la condition simplement, qu’il ne sache point ce qui s’est passé, qu’il conserve toujours un souvenir tendre et pur de sa petite Delphine.

M me Fargeaux ne pouvait plus continuer. À demi écroulée sur le plancher, elle sanglotait éperdument ; Hélène eut pitié de cette grande douleur. Elle s’approcha, lui prit les mains :

— Madame… commença-t-elle.

Mais la jeune fille s’interrompit. La porte du petit salon s’était entrebâillée et par cette ouverture, apparaissait une silhouette masculine, la grosse tête ronde de Timoléon Fargeaux qui roulait des yeux étonnés.

— Vous en faite un tapage, commença-t-il, on vous entend toutes les deux depuis…

Timoléon Fargeaux s’arrêta net. Delphine avait bondi et, redevenant acariâtre, les poings crispés, elle s’était écriée :

— Toi, d’abord, fiche-nous la paix.

Prudent et rapide, Timoléon Fargeaux avait battu en retraite.

— Bon, bon, murmura-t-il, en balbutiant encore quelques vagues excuses qui se perdaient dans le couloir.

— Croyez-vous qu’il est assommant, s’écria machinalement M me Fargeaux.

Hélène ne put s’empêcher de rire. Elle était un peu étonnée par ce caractère de femme méridionale au tempérament excessif, et qui passait en l’espace d’une seconde de l’extrême douceur à la plus vive colère ou à la plus franche gaieté.

— Si tel est votre mari, Madame, dit Hélène, je crois qu’il sera inutile d’en venir aux extrémités fâcheuses que vous méditiez tout à l’heure. Je maintiens qu’il est indispensable que vous alliez au plus tôt dire la vérité à la justice et faire libérer votre frère, mais que votre départ est inutile, et qu’il vous suffira pour assurer définitivement la paix de votre ménage, de quelques bonnes paroles dites au bon moment à l’excellent homme que doit être votre mari.

11 – UN RAT D’HÔTEL

Il était à peu près neuf heures du soir, et par la fenêtre à tabatière, il ne tombait plus dans la chambre mansardée du caissier principal de l’ Impérial Hôtel, qu’un jour rare et misérable, un jour qui n’éclairait que d’une très indécise lumière la petite pièce, simplement meublée où l’employé modèle venait se reposer, son travail terminé.

Guillaume n’était pas encore remonté de la caisse, attardé sans doute par des comptes difficultueux ou encore par un bilan exigé, à l’improviste, du gérant qui, de temps à autre, adressait ainsi des demandes de vérification, prétendant que c’était pour le bon ordre et n’ayant en réalité qu’une envie : trouver Guillaume en faute, obtenir un motif pour le congédier car, sans raison, il ne l’aimait pas.

Si Guillaume n’était pas dans la chambre, un autre personnage y était installé dont la seule vue eût révélé la qualité.

L’homme était vêtu des pieds à la tête d’un costume extraordinaire. Son corps était moulé dans un maillot de laine noire dont le col remontait jusqu’au visage qui disparaissait entièrement sous une cagoule, une cagoule noire.

Le personnage était légendaire. La silhouette était célèbre. Silhouette de nuit, silhouette de crime, silhouette de meurtre. Si le maillot noir eût put faire croire à un ordinaire rat d’hôtel, la cagoule, de forme bien particulière, ne pouvait permettre l’hésitation, l’individu qui se trouvait dans la chambre de Guillaume, c’était Fantômas, c’était le bandit terrifiant, c’était le Maître de l’Épouvante.

Comment Fantômas s’était-il introduit dans la chambre ? Le passe-partout qu’il tenait encore à la main et qu’il enfouissait dans sa poche suffisait à l’expliquer.

Le Roi du Crime avait tranquillement ouvert la serrure, tiré la porte sur lui. Maintenant, il était seul et de dessous sa cagoule, on entendait son rire résonner lugubrement.

— Me voici dans la place, disait Fantômas, jetant un rapide coup d’œil autour de lui, je crois que mon entreprise ne présentera aucune difficulté et j’imagine que demain les gens de l’hôtel en se réveillant…

Mais un bruit de pas résonna dans le couloir. Fantômas, rapidement prit son parti :

— Ce doit être Guillaume qui remonte, songea-t-il. Méfiance…

Dans le demi-jour de la pièce, sa silhouette noire avait quelque chose de fantastique, de diabolique même. Par moments, elle se découpait en lignes précises sur la fenêtre, en d’autres, elle disparaissait complètement, semblait s’évanouir, se mêler à l’ombre, se fondre en elle.

Le bruit de pas se rapprochait :

— C’est bien Guillaume, répéta Fantômas, c’est bien le caissier.

Le bandit se baissa, se jeta à plat ventre sur le sol, sans un bruit, en rampant avec une souplesse extraordinaire, il se glissa sous le lit de fer du caissier.

Fantômas ne s’était pas dissimulé dans cette cachette que la porte de la chambre s’ouvrait. C’était bien Guillaume, le caissier, fatigué d’une longue journée de travail, regagnant sa chambrette. L’employé, d’ailleurs, ne paraissait aucunement se douter du sinistre visiteur qui, quelques secondes auparavant, s’était glissé chez lui. Son attitude était celle d’un homme pressé mais non préoccupé.

La porte ouverte, à tâtons, Guillaume avait atteint le commutateur de l’électricité. L’ampoule, pendue au plafond s’illumina. Guillaume bâilla, puis alla à sa table de toilette.

Il se donna un coup de brosse sur les cheveux, rectifia le nœud de sa cravate, puis, revenant vers la cheminée, choisit dans une petite boîte une cigarette qu’il alluma, dont il tira avec béatitude quelques bouffées.

Dans la pièce, on n’entendait aucun bruit. Fantômas épiait.

Le caissier cependant, ayant fumé, parut hésiter quelque peu. Il eut le haussement d’épaules d’un homme qui se décide à une démarche peu agréable, il se déchaussa, il prit ses souliers à la main, revint vers la porte de sa chambre, il sortit. La porte se referma sur lui dans un claquement sec.