En effet, comme il parcourait le journal, le bandit ne put retenir un cri d’angoisse. Il lut un fait-divers, le relut avec attention, poussa des exclamations étouffées, puis, devint tout pale, cependant qu’une inquiétude extrême se peignait sur son visage.

La dépêche envoyée au journal, dépêche datée de Rennes et réduite à quelques lignes, était ainsi conçue :

«  Au cours d’une expérience de tir effectuée dans les faubourgs de notre ville par une jeune fille employée dans la baraque de deux romanichels, répondant au nom du Père et de Mère Zizi, un accident qui aurait pu être grave s’est produit Les cartouches que l’on croyait chargées à blanc, étaient chargées à balles et la jeune bohémienne feignant de tirer sur un spectateur qui s’était offert comme compère bénévole, a failli tuer ce malheureux. On a procédé à l’arrestation de l’involontaire coupable qui, n’ayant pu justifier de son identité a été conduite au Commissariat de Police, puis écrouée à la prison de Rennes. »

— Hélène, murmura Fantômas, Hélène est arrêtée. Qu’a-t-il bien pu se passer ? la malheureuse, que va-t-il advenir d’elle ?

Fantômas, en effet, savait bien que la seule jeune fille faisant partie de la troupe du père et de la mère Zizi, était sa fille. Mais comment le drame s’était-il produit ? par suite de quelle affreuse supercherie, Hélène avait-elle été mise, à son insu dans un aussi mauvais cas ?

Et, tout naturellement, Fantômas en était amené à se demander quel rôle Jean-Marie, qu’il avait catégoriquement chargé de surveiller et de protéger la jeune fille, avait joué dans cette affaire.

Jean-Marie avait manqué à sa mission, peut-être même avait-il trahi ? Cette idée, Fantômas ne pouvait la supporter. Il se leva brusquement, arpenta la pièce à grands pas, faisant de profondes aspirations, en homme qui étouffe. Puis, une nouvelle inquiétude parut envahir son esprit.

— En admettant même, se disait Fantômas, que Jean-Marie ait accompagné Hélène et l’ait protégée jusqu’au moment du scandale, il est bien évident qu’il a dû déguerpir sitôt après l’accident.

Fantômas vérifia :

— La dépêche est datée du 22, fit-il. Mais alors, Jean-Marie voyant qu’Hélène était conduite en prison, a dû considérer sa mission comme terminée. Il a dû se dire qu’il convenait de m’aviser au plus vite des incidents, qu’il fallait me les expliquer. Oui, c’est évidemment logique, Jean-Marie en toute hâte a dû regagner la falaise, il doit m’attendre aux abords du manoir de Kergollen où il croit me retrouver, oh, c’est simple, terriblement simple. Nous avons rendez-vous ce soir à dix heures et demie à la porte du manoir, Jean-Marie y sera et moi je me trouve à six cents kilomètres du lieu du rendez-vous, nulle puissance humaine ne pourrait désormais me permettre d’arriver à temps. Et si Jean-Marie se trouve seul il agira peut-être.

Et Fantômas, en effet, songeait au sinistre crime que tous deux avaient comploté, le bandit songeait que dans un quart d’heure, une demi-heure peut-être, devait d’après leurs conventions, sonner l’instant suprême où Dame Brigitte allait être hors d’état de nuire.

Soudain, Fantômas bondit, pris d’une inspiration subite.

Il venait d’apercevoir, accroché au mur, l’appareil téléphonique. D’une main tremblante il décrocha le récepteur, se fit mettre en communication avec le portier de l’hôtel :

— Allô, disait-il, donnez-moi l’interurbain, dépêchez-vous, c’est très urgent.

— Que désirez-vous ?

— Jusqu’à quelle heure le téléphone fonctionne-t-il à Brest ?

— Jusqu’à minuit, monsieur.

— Peut-on avoir la communication rapidement ?

— Dans deux ou trois minutes, monsieur, les lignes ne sont pas chargées en ce moment.

Fantômas poussa un soupir de soulagement, il allait peut-être pouvoir parer au danger immédiat que courait la châtelaine du manoir de Kergollen, en l’avisant de se tenir sur ses gardes :

— Quel numéro voulez-vous à Brest ? demanda le téléphoniste.

Mais, à cette question, Fantômas paraissait à nouveau effroyablement troublé. Il se souvenait que le manoir de Kergollen n’était pas directement relié à Brest, qu’il fallait passer par le poste de la pointe Saint-Mathieu.

Les bureaux n’étaient-ils pas fermés à cette heure tardive, dans cette petite localité ? Le bureau de la pointe Saint-Mathieu était fermé à huit heures du soir.

Fantômas lâcha l’appareil, s’écroula sur le plancher, la tête entre les mains.

Quiconque aurait vu dans cette posture, celui qui, depuis des années, faisait trembler l’humanité entière, n’aurait jamais pu reconnaître en cette loque l’insaisissable bandit, le génie du crime, l’incomparable Fantômas.

Fantômas voyait Jean-Marie pénétrer dans la pièce, fermer derrière lui la porte, balbutier d’abord quelques paroles vagues, il le voyait, profitant d’un moment d’inattention, se précipiter sur la vieille dame, lui plonger son couteau dans le cœur et regarder couler le sang, ce sang que Jean-Marie aimait tant à répandre, et dans lequel il prétendait éprouver une si grande joie à tremper les mains.

15 – NIKITA RÊVAIT-IL ?

— Me suis-je trompé ? L’endroit que j’ai visité ne serait-il pas celui que m’indique Juve ? Si seulement il faisait clair, si je pouvais consulter une carte, mais non, la nuit est obscure et des nuages épais interceptent le moindre rayon de lune. Quelle nuit sinistre. Quelle obscurité de cauchemar.

Relevant le col de son pardessus, le personnage monologuant ainsi, cependant qu’il arpentait à grands pas la falaise abrupte qui s’étend au nord de la pointe Saint-Mathieu, n’était autre que le lieutenant prince Nikita, qui, sitôt après avoir quitté le policier Juve, était venu sur ses indications à la pointe extrême du Finistère, rechercher sur la falaise escarpée le précieux document que le policier lui déclarait y avoir dissimulé. Le voyageur était arrivé au crépuscule dans les environs de la pointe Saint-Mathieu.

Pendant plusieurs heures, il avait exploré l’endroit nettement désigné par Juve, mais ses recherches avaient été vaines.

Par moments, le prince Nikita se demandait s’il avait bien compris les indications qui lui avaient été données.

Mais non, impossible. S’il n’avait pas trouvé le précieux document dans l’anfractuosité du rocher indiquée par le policier de la rue Bonaparte, il avait du moins très nettement découvert la cachette qui l’avait contenu.

Or, cette cachette, le prince Nikita s’en rendait aisément compte, était vide, absolument vide, et l’officier devait en conclure qu’entre le départ de Juve et la venue de l’envoyé russe, quelqu’un avait découvert la cachette et emporté le dépôt.

À présent, le prince Nikita cherchait en vain sa route. Au cours de ses pérégrinations, il s’était égaré et désormais ne retrouvait plus le véhicule qui, plusieurs heures auparavant, l’avait conduit à quelque cent mètres du phare de la pointe et s’y était arrêté.

Fouillant des yeux l’obscurité, après de longues tentatives infructueuses, Nikita avait aperçu une petite lumière qui scintillait à l’horizon, émergeant d’une masse d’ombre.

Il s’en était approché, croyant découvrir quelque maison de pêcheurs dans laquelle il pourrait prendre un peu de repos. Mais, comme il arrivait aux abords de la demeure ainsi éclairée, il s’apercevait en présence d’une habitation fort importante, d’un manoir aux épaisses murailles, aux contours tourmentés.

Il hésita à sonner.

Lentement, il fit le tour du vieux manoir, espérant rencontrer quelque domestique, trouver quelqu’un d’éveillé. Mais c’était partout le silence et la nuit.

Soudain, cependant, comme il passait entre les écuries et une grange voisine de la maison, le prince Nikita s’arrêta.

Il venait d’entendre un léger bruit et à peine s’était-il arrêté qu’une voix dans l’ombre appelait :

— Psst.

Instinctivement, l’officier se rapprocha d’une petite porte basse à peine entrebâillée. Derrière cette porte, la même voix articulait doucement :