— Moi, dit Fandor.

Or, en même temps que Fandor sautait sur l’estrade, prêt à affronter le feu à coup sûr inoffensif de « la merveilleuse jeune femme », voilà qu’à nouveau son regard se croisait avec le regard du colosse, et il semblait à Fandor qu’il démêlait comme une sombre expression de haine dans les yeux de l’individu.

Fandor, toutefois, était bien trop occupé pour prêter plus longue attention au personnage.

Rapidement, la mère Zizi passa près de Fandor, et le journaliste sentit parfaitement qu’on lui glissait dans la poche la balle et la pièce de deux sous.

— Parbleu, pensait à ce moment Fandor, quand Hélène va lever les yeux pour me viser et qu’elle va m’apercevoir…

La fille de Fantômas au commandement leva la tête, en effet, fit machinalement le geste d’épauler le fusil.

— Feu, commanda la mère Zizi.

Une détonation.

Mais en même temps que le claquement sec de la cartouche, deux cris, deux cris terribles retentirent dans la baraque.

Et tout de suite, dans la foule, une panique se produisit :

— Arrêtez-la, arrêtez-la.

— À l’assassin, à l’assassin !

Que s’était-il donc passé ?

Au moment même où la fille de Fantômas levant la tête avait aperçu Fandor, elle avait poussé un cri et appuyé sur la détente. Et, à trois mètres d’elle, elle avait vu s’écrouler, atteint à l’épaule, dangereusement peut-être, le malheureux Jérôme Fandor.

***

Dans le public, un quart d’heure après, tandis que Fandor était emporté à une pharmacie voisine où on lui prodiguait les premiers soins, tandis que l’on entraînait vers la prison la malheureuse fille de Fantômas que le public voulait lyncher, un homme s’agitait, hurlait, ameutait les badauds, une sorte de colosse au visage bestial et repoussant : Jean-Marie.

Dans la poche de cet individu si quelqu’un avait pu fouiller, on aurait retrouvé une cartouche truquée, la cartouche préparée par la mère Zizi et à laquelle il avait criminellement substitué une autre cartouche, chargée, celle-là.

Jean-Marie, tout en ayant l’air furieux, était en réalité au comble de la satisfaction.

— Voilà, songeait l’ignoble apache, j’ai tenu ma promesse. Le Maître sera content. J’ai retrouvé sa fille. Je l’ai fait arrêter. Il la reprendra quand il voudra. Et puis j’ai vu du sang, du beau sang rouge. Le sang de cet imbécile de journaliste.

13 – MYSTÈRES ET PRÉCAUTIONS

Le train n’avait qu’une demi-heure de retard, et lorsqu’il vint se ranger le long du quai d’arrivée, à la gare Montparnasse, un homme en descendit précipitamment. Bien qu’il parût très préoccupé de regarder fixement devant lui l’employé portant sa valise, il jetait néanmoins de furtifs coups d’œil, à droite et à gauche, sur les voyageurs qui comme lui descendaient de ce train, lequel pour arriver de Rennes à Paris avait roulé pendant une bonne partie de la nuit.

Descendu, le voyageur sortit place de Rennes, héla un taxi-auto, et d’une voix claire et nette, bien timbrée qui pouvait être entendue des passants, il jeta au conducteur une adresse :

— Rue de la Banque.

Le véhicule démarrait aussitôt, et conduisait son client à l’endroit indiqué.

Le voyageur, alors descendit sa valise, mais garda le véhicule : il alla déposer son colis sous la voûte d’un immeuble, puis revint parler au mécanicien et cependant qu’il lui glissait le prix de sa course, augmentée d’un bon pourboire, dans la main, il lui ordonnait à voix basse :

— Vous allez rester ici m’attendre pendant dix bonnes minutes, après quoi vous serez libre de vous en aller.

Le voyageur, alors, entra sous la voûte, traversa la cour intérieure de la maison, s’introduisit dans un petit couloir et comme quelqu’un qui est fort au courant de la disposition des lieux, il ne tardait pas à gagner la cour intérieure d’une maison mitoyenne dont la façade donnait sur la rue Notre-Dame-des-Victoires.

Sous la voûte de cette deuxième maison, dans laquelle personne ne se trouvait, le voyageur à la valise profita de sa solitude pour, d’un geste brusque et certainement inattendu, arracher la barbe qui encadrait son visage ; et les traits d’un homme glabre alors apparurent, au visage énergique.

Ce voyageur n’était autre que Juve.

Si le policier prenait de telles précautions pour dissimuler son itinéraire, c’est qu’il redoutait évidemment d’être suivi, filé et peut-être même attaqué.

Juve, lorsque la veille au soir, il avait quitté Fandor à la gare de Morlaix pour prendre l’express de Paris, s’était bien gardé de fermer l’œil pendant toute la nuit. Il avait ses raisons pour redouter une agression, si audacieuse fût-elle, dans le cas, vraisemblable d’ailleurs, où Fantômas aurait suivi sa trace.

Le policier savait qu’il fallait s’attendre à tout de la part du bandit.

Et, s’il avait agi avec une semblable prudence, se faisant conduire rue de la Banque, à un immeuble qu’il connaissait pour avoir deux issues, s’il avait dit au mécanicien du taxi de l’attendre dix minutes pour faire croire à son poursuivant éventuel qu’il allait revenir, c’était afin de couper la filature que peut-être Fantômas avait organisée autour de lui.

Sans perdre une minute, Juve fit signe à une voiture de place qui descendait la rue Notre-Dame-des-Victoires et, s’étant assuré d’un rapide coup d’œil circulaire que nul cette fois n’était à ses trousses, il donna sa véritable adresse au cocher et décida enfin de se faire conduire à son domicile, rue Bonaparte.

Dix minutes plus tard, Juve arrivait chez lui sans encombre.

Certes, il y avait eu des changements chez Juve et encore que l’on n’eût guère renouvelé le mobilier depuis que le célèbre inspecteur s’était installé rue Bonaparte, au moment où il commençait à se faire une situation à la Préfecture de Police, le personnel, lui, avait changé.

Et c’est ainsi que Juve, lorsqu’il rentrait, ne trouvait plus dans son appartement la vieille silhouette familière de son domestique Jean, mort depuis quelques mois, mais bien la silhouette plus grave et un peu solennelle de son nouveau serviteur, brave homme ventripotent et chauve, un certain Joseph, ancien huissier de la Préfecture de Police que Juve avait pris à son service au lendemain du jour où ce fonctionnaire avait été mis à la retraite.

Juve pouvait entrer, dans son appartement, entre sept heures du matin et huit heures du soir, il était à peu près certain de découvrir dans un angle obscur de l’appartement, le fameux Joseph, immobile, la main sur la crosse de son revolver, qui attendait les événements. Joseph, en outre, était muet comme la tombe et lorsqu’il avait proféré :

— Salut, chef, ou : Au revoir, chef, il n’aurait pas annoncé le moindre événement, quelle que fût son importance, avant qu’on ne l’eût prié de parler.

Juve, en rentrant chez lui, avait donné son bagage à défaire à son domestique puis, il se fit préparer un bain, et en se déshabillant, le policier posait quelques questions à son serviteur :

— Il n’est venu personne, Joseph ?

— Si, chef. L’homme du gaz. J’ai payé la note.

— Pas de courrier ? Pas de communications téléphoniques ?

— Pardon, chef, quelqu’un a téléphoné ce matin qu’il viendrait vous voir vers les onze heures.

— Quelle est cette personne ?

— Elle ne s’est pas nommée.

Quelques instant après, Juve s’allongeait dans sa baignoire, éprouvait un bien-être extrême à la douce caresse de l’eau tiède. Peu à peu, il sentit une torpeur exquise, un délicieux engourdissement l’envahir lentement.

Juve, alors qu’il prenait son bain, aurait vu surgir Fantômas, qu’il n’aurait pas été autrement étonné. N’avait-il pas eu jadis, l’occasion de se trouver dans la pièce toute voisine de sa salle de bain, dans son cabinet de travail, en tête à tête avec le bandit, alors que Juve tout en soupçonnant ce visiteur, était à cent lieues de se douter, qu’il avait en sa présence et à sa merci l’insaisissable Roi du Crime.