— Monsieur le commissaire, protesta enfin Hélène, comme on s’apprêtait à l’entraîner, est-ce que vous n’allez pas interroger le jeune homme que j’ai blessé ? Il serait le premier à dire que je suis innocente et que tout ceci est le fait d’un horrible malentendu.

Malheureusement, le commissaire n’écouta pas cette requête, il y attachait même d’autant moins d’importance, qu’Hélène semblait la faire avec une réelle hésitation, comme étant elle-même peu convaincue de ce qu’elle avançait.

C’est qu’en vérité, tout en parlant, la fille de Fantômas venait d’être prise d’un doute affreux.

Littéralement bouleversée par la marche rapide des événement dont elle était victime, la jeune fille, qui n’avait rien compris à ce qui lui arrivait, venait d’y trouver une explication tragique.

C’était si extraordinaire à ses yeux, en effet, cette apparition de Fandor sur l’estrade où elle-même allait faire feu, qu’elle se prenait à se demander si le journaliste était bien arrivé là par hasard, si le coup de fusil n’avait pas été machiné, combiné par l’ami de Juve à des fins qu’elle n’entrevoyait pas encore, mais qui devaient à coup sûr se rattacher à l’implacable poursuite que le policier et le journaliste conduisaient contre son père.

— Fandor ne vient pas, songeait Hélène tandis que les gendarmes l’emmenait brutalement, c’est assurément qu’il ne veut pas venir, c’est qu’il ne doit pas venir, c’est qu’il se venge de mon père et de moi en favorisant mon arrestation.

Hélène, à vrai dire, se trompait du tout au tout.

À peine Fandor avait-il rappelé à lui ses esprits dans la pharmacie où il venait de panser ses blessures – une écorchure à l’épaule – qu’il songeait au sort de la malheureuse enfant.

— Miséricorde, pensait le journaliste, se rappelant brusquement le brouhaha, la colère de la foule au moment de l’accident, miséricorde, ils vont l’écharper.

Qu’allait dire, d’ailleurs, la fille de Fantômas si on l’arrêtait ?

Allait-elle livrer son identité ? refuserait-elle de répondre ?

Mais, dans ce cas, que déciderait le magistrat ? Ne trouverait-il pas dans ce mutisme une raison suffisante pour maintenir la jeune fille sous les verrous ?

Quittant la pharmacie où l’on venait de le soigner, Fandor se précipita au Palais de Justice de Morlaix, demanda le Procureur, décidé à obtenir la mise en liberté de l’innocente Hélène.

Mais au Palais de Justice, Fandor ne trouva qu’un greffier imbécile, un certain M. Lerouge, qui refusa d’abord de le recevoir à cette heure avancée de la nuit, puis enfin, consentit à s’entretenir quelques minutes avec lui, mais avec un mécontentement visible, car il était fort occupé à consulter l’indicateur des chemins de fer pour trouver un train qui le menât rapidement le lendemain à Paris, où il comptait aller faire un peu la fête.

Fandor finit par éclater lorsque le greffier lui communiqua que le procureur était à Brest, occupé non des devoirs de sa charge, mais d’une charmante petite amie qu’il avait là.

Quand il arriva enfin au commissariat, Fandor y trouva, non plus le commissaire, qui venait de partir se coucher, mais bien un simple brigadier de gendarmerie, fort aimable, celui-là, mais terriblement désireux de ne rien faire de nature à le compromettre.

Fandor dut parlementer pendant plus de vingt minutes pour obtenir que le brigadier consentît à enregistrer une déclaration formelle dans laquelle le journaliste affirmait qu’il y avait eu « accident », non pas « crime », et qu’il se refusait à porter plainte.

À quoi bon d’ailleurs, étant donné que la jeune fille resterait, dans tous les cas, enfermée jusqu’au lendemain matin.

Furieux, rageur, jalousant la tranquillité de Juve, qui, confortablement installé dans un wagon du rapide, se dirigeait vers Paris, Fandor se retrouvait donc à deux heures du matin sur la place déserte de Morlaix.

En maugréant le journaliste rentra se coucher… Il dormit très mal, se réveilla à l’aube.

— Peste de peste, grommelait-il, que dois-je faire maintenant ? Les instructions que Juve m’a données sont, en somme, assez peu explicites. Je dois muser le long de la route, pour donner le change à Fantômas, et lui faire croire que, malgré ma tranquillité apparente, je ramène le portefeuille rouge à Paris. Bien. « Muser », qu’est-ce que ça signifie au juste ?

De très bonne heure, Jérôme Fandor retourna au poste de police, et là, profitant de ce que le commissaire de Morlaix ne le connaissait pas, il interviewa le fonctionnaire sous un prétexte quelconque, et parvint à savoir ce qu’Hélène était devenue.

— La jeune fille arrêtée hier soir ? Figurez-vous qu’elle est déjà transférée à Brest. Elle est partie ce matin.

— À Brest. Pourquoi diable a-t-on transféré la prisonnière à Brest ? Nous ne sommes pas dans le ressort judiciaire du Tribunal de là-bas et puisqu’il y avait flagrant délit ici ?

— Figurez-vous, mon cher monsieur, que la place dont nous disposons ici, à Morlaix, est en réalité fort restreinte. Bien entendu, nous avons des salles communes et des cellules. Or, il était impossible, n’est-ce pas, de mettre la prisonnière dans une salle commune, puisque les règlements interdisent de détenir en « commun » des hommes et des femmes. Restaient les cellules… Eh bien, les cellules, au nombre de quatre, sont en ce moment toutes occupées par des inculpés détenus préventivement et maintenus au secret par ordonnance de notre juge d’instruction. Dès lors, où conserver la prisonnière ? Vous devinez, mon cher monsieur, que nous avons été obligés de la diriger sur Brest, où il y a une prison de femmes.

— Mais l’instruction, comment se fera-t-elle ?

— Oh, l’instruction, l’instruction il est bien évident qu’elle sera fort contrariée par cette captivité au loin. J’imagine qu’on attendra, au Parquet, pour s’occuper de cette jeune fille, que les prisonniers actuellement en cellule, ici, à Morlaix, aient été remis dans les locaux communs. Alors, on pourra faire revenir de Brest cette bohémienne et l’affaire suivra son cours.

Fandor n’en demandait pas plus.

Il se dirigea vers la gare où, quelques minutes plus tard, il prenait un billet à destination de Brest.

***

— Eh ! la prisonnière 22. Voyons, l’inculpée, où êtes-vous ?

Dans le grand dortoir, une gardienne venait d’apparaître, qui s’impatientait visiblement :

— Numéro 22 ? est-ce qu’il va falloir vous prendre par la main ?

— Que voulez-vous ? demanda une jeune fille à la démarche hautaine.

— Je viens vous avertir que vous serez libérée prochainement.

— Comment cela ?

La fille de Fantômas – car c’était elle – avait frémi en s’entendant annoncer une prochaine mise en liberté.

— Comment va-t-on me mettre en liberté, je n’ai pas encore été interrogée ?

La gardienne haussa les épaules.

— Moi, dit-elle, je ne sais pas. Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’il est arrivé des pièces au greffe de la prison, et que j’ai vu que l’on préparait votre transfert de la salle commune. Si on vous retire d’ici, ça n’est pas pour vous mettre en cellule, étant donné que vous n’avez rien de grave sur la conscience. Donc, c’est que vous êtes renvoyée des fins de la plainte. Je vous en préviens, parce que je pense que si vous avez quelques sous à votre sortie, vous n’oublierez pas que c’est moi qui ai pris soin de vous pendant votre séjour ici.

— C’est entendu, répondit Hélène, je vous remercie de me prévenir et si vous pouvez hâter les formalités de levée d’écrou, je vous en serais très reconnaissante.

La gardienne s’éloigna.

Hélène songeait à ce moment à l’extraordinaire facilité avec laquelle on signait sa mise en liberté.

Elle n’était pas éloignée même de penser que, peut-être, elle devrait sa rapide sortie de prison à un effet de la volonté de Fantômas.

— Mon Dieu, pensait-elle, pourvu qu’en quittant cet horrible endroit, je ne tombe pas entre les mains de mon père ?