— Ah, madame, madame, s’écria Nikita, taisez-vous, je ne peux rien dire !

La grande dame se tut. Elle semblait avoir compris. Désormais certaine de ce qu’elle soupçonnait, elle n’éprouvait plus la moindre crainte.

Un sourire triste erra sur ses lèvres qui pâlirent un peu.

D’un geste de la main, d’un geste élégant de vraie femme du monde, elle désignait un siège à l’officier :

— Asseyez-vous, prince, fit-elle, nous avons à causer.

La mystérieuse inconnue s’étendit à demi sur une bergère, et dès lors Nikita, qui jusqu’alors avait été trop troublé pour se rendre compte de l’endroit où il se trouvait, s’apercevait qu’il était avec son interlocutrice dans un petit salon meublé avec un goût parfait.

Quittant son air hautain, la grande dame parut prendre l’officier en pitié.

— Prince, dit-elle, vous êtes jeune, vous êtes encore au seuil de la vie, peut-être que vous nourrissez quelque espoir. Eh bien, croyez-en une femme qui a connu les malheurs les plus terribles, quand elle vous dit : Fuyez.

— Pourquoi, madame ?

Une frayeur subite se peignit sur le visage de la superbe créature.

— Parce que quiconque prétend retrouver ce document courra les plus grands risques. Celui qui voudra se l’approprier est voué à la mort certaine.

Nikita, frémissant, s’était levé :

— Je m’en doutais, madame, je me doutais que vous saviez quelque chose. Peut-être est-ce vous qui détenez ce document ? Dans ce cas, madame, quoi qu’il doive m’en coûter, je connais mon devoir, je sais ce que je dois faire.

— Quoi donc, mon garçon ?

— Je ne ferai rien, que vous ne m’autorisiez à faire, mais je vous en supplie, madame, dites-moi la vérité, aidez-moi à rester un homme d’honneur.

— À la bonne heure. Écoutez, prince, peut-être pourrais-je vous aider un jour, mais pour le moment je ne puis rien faire et, d’ailleurs, je tiens à rassurer votre conscience en vous donnant ma parole que ce portefeuille n’est pas ici et que je ne puis rien pour vous le restituer. Vous allez partir, monsieur, et tout de suite.

— Pas encore, madame, pas avant d’avoir tué tout à fait ce misérable qui vous voulait du mal.

— Vous ne tuerez pas Jean-Marie.

— Mais…

— Vous ne le tuerez pas.

— Au moins, madame, souffrez que je le remette à la police, que je le fasse emprisonner, il faut que ce bandit soit puni, voyons.

— Non. Je ne veux pas. Vous allez au contraire l’emmener avec vous. Il faut que jusqu’au matin vous ne le quittiez pas, c’est la meilleure manière de me protéger. À l’aube, vous vous séparerez de Jean-Marie, et vous pourrez le faire sans inquiétude pour moi, car moi je serai loin.

— Vous serez loin.

— Que vous importe ?

— Madame, ne me torturez pas. Je n’ai pas beaucoup d’usage de la vie, je ferai ce que vous voudrez, mais accordez-moi une grâce. C’est un homme à genoux qui vous supplie, un homme qui vous aime. Votre nom Madame ?

Et il baisait le bas de sa robe.

La châtelaine du manoir tendit au prince Nikita sa main aux doigts fuselés, pour l’inviter à se relever, mais elle retira brusquement cette main que l’ardent officier voulait couvrir de baisers. Il insistait, humble et pressant.

— Votre nom, madame ? Faites-moi la grâce de ne pas me quitter avant que je sache où vous revoir.

Lentement enfin, la grande dame laissa tomber de ses lèvres ces paroles :

— Je m’appelle Mathilde de Brémonval et, dans deux jours, je serai à Paris.

— Ah, madame, s’écria l’officier radieux, dans deux jours…

— N’oublions pas nos conventions. Retirez-vous, exécutez votre promesse. Il faut que ce Jean-Marie sorte d’ici immédiatement, que vous le teniez éloigné du manoir jusqu’au lever du jour. Promettez-moi qu’il en sera ainsi fait ?

— Je vous le jure, madame, vous avez ma parole.

Puis, il insista d’une voix torturée d’émotion :

— Une grâce encore, madame.

— Laquelle ?

— Votre main à baiser.

D’un geste gracieux, la grande dame tendit à l’officier ses jolis doigts, et le jeune homme les porta à ses lèvres où il les maintint longuement.

***

Jean-Marie, maintenu au collet par Nikita, épaule démise, poignet foulé, se laissa faire. Enfin, l’équarrisseur s’expliqua :

— Vous n’êtes pas trop rosse pour moi, car maintenant que je suis démoli, vous pourriez me faire boucler, or, vous ne le faites pas. Une charité en vaut une autre. À mon tour de vous rendre un service.

— En êtes-vous donc capable ?

— Pourquoi pas ? fit Jean-Marie. Tout à l’heure, j’ai entendu votre conversation avec la femme du manoir, une femme que je ne connais pas d’ailleurs, car moi qui suis depuis trois mois jardinier dans cette boîte, je n’ai jamais vu qu’une vieille toupie qui s’appelle dame Brigitte, et qui s’est bien gardée de se montrer ce soir. Je vous disais donc que j’ai entendu votre conversation. Vous êtes de ceux qui cherchez le portefeuille ?

— Hein.

— Hé oui, la jolie rombière avec qui vous avez jaspiné pendant la moitié de la nuit ne vous a pas balancé des blagues. Elle ne sait pas où est le portefeuille. Seulement moi Jean-Marie, je le sais.

— Où ?

— Il est entre les mains d’une femme, une jeune et une chouette, une qui n’a pas froid aux yeux, une môme à la redresse, une qui est un peu là.

— Jean-Marie, si tu m’aides à le retrouver, je te couvre d’or.

— Suffit d’avoir la poule, et l’œuf d’or n’est pas loin. Mais attention, son poulailler, il est un peu gardé.

— Et où est-il ?

— C’est simple. Vous aurez compris quand vous saurez que la fille de Fantômas est sous les verrous à la prison de Morlaix.

16 – PISTE ROMPUE

Nous avons laissé Hélène à Morlaix, au moment où elle a blessé Fandor, alors qu’elle était persuadée que, comme tous les soirs, une cartouche truquée chargeait l’arme qu’elle avait épaulée.

Hélas, la cartouche n’était pas à blanc comme toujours jusque là.

Et ce Jérôme Fandor qui surgissait là sans crier gare, Jérôme qu’elle n’avait pas revu depuis le moment où on l’avait recueilli avec Juve à bord du Skobeleff.

En attendant, le pandémonium s’était déchaîné dans la baraque.

La foule s’était jetée sur la jeune fille, hurlant à mort. Il y avait surtout une sorte de colosse à grosse voix qui réclamait l’intervention de la police.

Alors tout s’était brouillé devant les yeux d’Hélène.

Arrêtée par les robustes gars qui eux, du moins, la protégeaient de la colère de la populace, accablée, elle s’était laissée conduire en prison sans même protester.

Mais qu’allait-il se passer ?

Allait-on réellement la maintenir en état d’arrestation ?

Hélène commençait à se le demander. Elle attendait Jérôme Fandor, qu’elle avait aperçu s’en allant vers une pharmacie, se frottant l’épaule vigoureusement, mais qui ne paraissait pas, somme toute, être grièvement blessé.

Le commissaire avait fait entrer dans le local où il tenait ses assises, non seulement la jeune fille, mais encore tout un groupe de spectateurs qui demandaient à être entendus en qualité de témoins.

Là, les témoins affirmèrent d’une seule voix que la jeune fille avait, de ses propres mains, et sous leurs yeux, remplacé la cartouche truquée par une véritable.

— C’est encore une histoire d’amoureux, criait un jeune homme à mine d’ouvrier d’usine, encore une garce qui a voulu se venger de son amant. Elle a fait feu sur lui, exprès.

Un autre, d’une bonne foi tout aussi apparente, affirmait :

— On a parfaitement vu quand elle a glissé la deuxième cartouche.

Et d’autres, toujours aussi convaincus, s’acharnaient contre la malheureuse, victime sans s’en douter même, de ce besoin de jouer un rôle inné au cœur de certains.

Le commissaire ne pouvait rien évidemment contre des témoignages aussi précis et aussi concordants. Il signa un mandat de dépôt.

Tant et si bien qu’Hélène couchait, le soir même, dans la chambre de force de la maison de détenus de Morlaix, d’où elle devait être, le lendemain, dirigée sur la prison de Brest.