— Ici, c’est par ici, suivez-moi, je vais vous montrer le chemin.

Surpris, Nikita allait se nommer à cet interlocuteur invisible, mais celui-ci, curieux évidemment de savoir à qui il s’adressait, venait de braquer sur l’inconnu le pinceau lumineux de sa lanterne sourde.

La voix qui avait appelé Nikita murmura avec une intonation de surprise :

— Tiens, ce n’est pas vous ? Ce n’est pas lui.

Puis la voix ajoutait, une voix d’homme, grave, un peu rude :

— Je comprends. Vous venez peut-être de sa part ?

Intrigué, soupçonnant un mystère, peut-être aussi une aventure, et redoutant par-dessus tout d’être laissé dehors, Nikita répondit évasivement.

L’homme, cependant, qui l’avait si opportunément rencontré et appelé poursuivit la conversation :

— Évidemment, vous venez pour l’affaire.

Ce fut, dans l’esprit de l’officier russe, un trait de lumière :

— Oui, je viens pour l’affaire, répondit-il.

Tout en parlant l’officier avait franchi la porte du vieux manoir, et il se trouva bientôt à l’entrée d’un couloir.

Son interlocuteur le considéra un instant avec une certaine attention, presque de la méfiance, mais, sans doute l’air décidé et martial du jeune officier lui plut :

— Ça va bien, suivez-moi.

Nikita avait eu le temps de voir cet hôte étrange et mystérieux qui peut-être allait dans un instant lui fournir les explications dont il avait si grand besoin.

C’était un homme de médiocre condition, à en juger par ses vêtements mal tenus, et même déchirés.

Mais le personnage ne paraissait pas s’inquiéter de l’examen dont il était l’objet.

Il avait pris l’officier par le bras, lui faisait gravir un petit escalier de pierre et soudain se penchant à son oreille, déclarait :

— Nous allons l’avoir aisément, rien n’est plus facile, j’ai tout préparé.

Il ajouta :

— Mais pourquoi n’est-il pas venu ?

À ce moment, Nikita pensait aux dernières paroles de Juve qui, fort subtilement d’ailleurs, avait suggéré à l’officier de se rendre seul en Bretagne, d’où il pourrait plus à son aise revenir avec le document, sa personnalité étant ignorée des bandits qui prétendaient s’en emparer.

Et, spontanément, répondant à son interlocuteur, Nikita déclarait :

— C’est qu’il avait peur d’être reconnu.

— Je comprends fit l’homme, il a eu raison. Il est connu.

Cependant, les deux hommes arrivaient au sommet de l’escalier, ils se trouvaient sur un palier étroit où s’ouvraient trois couloirs obscurs.

L’homme interroge l’officier :

— Vous êtes armé ?

— Sans doute, répondait celui-ci.

— Bien, je pense que vous n’avez pas peur ?

— Non, fit Nikita, jamais.

L’homme avait éteint sa lanterne, il serra le bras du prince et l’entraîna dans l’obscurité.

L’officier, malgré tout son courage, malgré son désir de faire l’impossible pour se procurer le portefeuille rouge, était en proie à une certaine émotion.

Certes, il bénissait l’heureux hasard qui lui avait permis de rencontrer cet homme, mais il maudissait la légèreté de Juve qui avait complètement omis de lui dire que, dans le cas où le document ne se trouverait pas dans la cachette, il conviendrait de se rendre au manoir voisin pour y trouver un collaborateur pouvant l’assister dans ses recherches.

Juve n’avait rien dit. C’était invraisemblable. Et Nikita, par moments, se demandait s’il n’était pas victime d’un extraordinaire quiproquo, ou s’il ne bénéficiait pas d’une chance inespérée.

Soudain, comme il passait près d’une porte sous laquelle filtrait un filet de lumière, l’homme proféra ;

— Doucement, ne faisons pas le moindre bruit, elle a beau être vieille, elle a l’oreille fine, elle pourrait nous entendre.

— Ah.

Ils avaient beau marcher sur la pointe des pieds, on entendait le grincement des clous sur les dalles de pierre. Et soudain, ce fut la porte ouverte, un flot de lumière dans l’étroit passage, une voix angoissée, une voix de femme :

— Qui va là ? Ah, c’est vous, Jean-Marie. Mais où allez-vous ?

L’équarisseur ne disait toujours rien. Nikita resta immobile, figé, ébloui.

Devant eux, se dressait une femme jeune et merveilleusement belle, chevelure d’or fauve auréolant son majestueux visage, simplement vêtue d’une robe sombre qui moulait admirablement ses formes magnifiques. Quelle allure, quel port de reine.

Mais, soudain, le prince eut un sursaut de terreur.

Jean-Marie, revenu de sa stupéfaction, s’était précipité sur cette femme, la menaçait de son coutelas ouvert :

— Je te connais pas, dit-il, mais peu importe. Deux femmes ne me font pas peur, et si tu viens défendre la vieille Brigitte, elle n’aura pas longtemps à compter sur toi.

Une seconde de plus, l’infortunée était frappée par le monstre.

Plus vif que la pensée, Nikita s’était précipité sur son guide et, faisant preuve d’une force herculéenne, il lui tordait le poignet, l’obligeait à lâcher son arme.

Les deux hommes alors roulèrent à terre, dans une lutte déchaînée. L’officier frappait à tour de bras l’audacieux criminel, cependant que Jean-Marie rugissait, l’écume aux lèvres :

— Traître. Bandit. Canaille. Je te crèverai toi aussi.

Jean-Marie mordit au bras l’officier qui poussa un cri de douleur. Mais voyant rouge, Nikita, cette fois, étrangla à moitié Jean-Marie, puis le rejeta inerte, évanoui, hors de la pièce, dans le couloir d’où ils venaient.

Le poussant du pied, comme une charogne, Nikita laissa le vaincu sur les dalles de pierre puis, pour empêcher un retour offensif de sa part, il referma à double tour la porte communiquant avec le couloir et se trouva seul à seul avec la jeune femme qu’il venait d’arracher à un si terrible danger.

La malheureuse, plus belle encore dans l’expression sincère de sa frayeur, avec ses grands yeux bruns qui brillaient étrangement, s’était emparée d’un revolver et sa main blanche et délicate braquait sans trembler le canon de l’arme sur l’officier.

Machinalement, Nikita rétablit le désordre de sa toilette puis, immobile en face de l’inconnue, il courba la tête dans un profond salut, et attendit.

D’une voix étouffée, la jeune femme lui demanda :

— Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ?

— Madame, balbutia le lieutenant prince Nikita, excusez-moi, je n’y comprends rien moi-même, je suis victime d’un quiproquo, je le bénis toutefois, car il m’a permis de vous arracher à l’agression de ce bandit.

— Vous n’êtes pas son complice ? Vous êtes donc pas tous les deux des assassins ? interrogea la superbe créature.

Blêmissant sous l’outrage, Nikita dressa la tête et spontanément déclara :

— Madame, vous avez devant vous un honnête homme, je m’appelle le prince Nikita, je suis lieutenant de l’armée russe.

— Que veniez-vous faire ici ?

Nikita rougit comme un écolier pris en défaut :

— Je ne peux pas vous le dire, madame.

Mais la magnifique créature insistait :

— Vous êtes peut-être un imposteur. Je veux vous croire. Vous avez un visage qui m’inspire confiance.

L’officier balbutiait maintenant :

— Je ne peux pas vous le dire, madame, je ne le peux pas, il s’agit d’un secret d’État.

— Vous venez de la côte, monsieur, dit la dame, vos vêtements sont souillés de boue, vous avez erré cette nuit dans mon voisinage, qu’y faisiez-vous ?

— Vous avez raison, madame, hélas je cherchais quelqu’un, quelque chose.

Mais, soudain, l’extraordinaire personne parut comprendre et deviner ce que l’officier voulait taire.

Au mépris de toute prudence, elle quitta l’angle de la pièce dans laquelle elle se tenait jusqu’alors, traversant l’intervalle qui la séparait de l’officier avec une allure souple et majestueuse, elle vint auprès de lui, si près, que son parfum captivant monta aux narines de Nikita, et le grisait.

— Prince, dit-elle, je sais ce que vous êtes venu faire ici, vous cherchez un document, et prétendez vous emparer du portefeuille ?