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— Entrez,disait-il.

Unouvrier se présentait.

Ilétait vêtu d’une cote bleue, coiffé d’unecasquette de cuir fort sale, il portait un grand sac d’outilset son visage se dissimulait, non seulement sous une barbe malentretenue, mais encore sous un bandeau qui lui cachait un œil.

L’hommetoucha du doigt sa casquette.

— Mev’là ! fit-il d’un ton bourru. J’suisenvoyé par le plombier de l’administration pour réparerla tuyauterie du frigorifique. Paraît que ça ne va pas ?

— Jen’en sais rien, et je m’en moque, répliqua lebureaucrate, ce ne sont pas là mes affaires…

— Alors,continua l’ouvrier, à qui c’est qu’y fautque j’m’adresse ?

— Traversezla cour, fit le commis, frappez deux coups à la petite portepeinte en noir, et puis vous vous expliquerez avec le gardien, unnommé Bouzille, qui, sans doute, est l’homme qui a faitla demande pour qu’on vienne réparer le frigorifique.

— Trèsbien, déclara l’ouvrier qui sortit d’un pasnonchalant.

Leréparateur suivait les indications de l’employéet quelques instants après, il se trouvait face à faceavec Bouzille, qui, toujours méfiant, entrebâillait àpeine la porte à laquelle l’ouvrier avait frappé.

— Qu’est-ceque vous voulez ? demanda Bouzille.

Soninterlocuteur rétorqua :

— C’estle commis de l’administration qui m’envoie réparerle frigorifique. Paraît qu’il y a des fuites à latuyauterie.

— Ah !dit Bouzille interloqué, je ne m’en étais pasaperçu ! Il fait pourtant bougrement froid dans cetteboutique !

— Sansdoute, rétorqua l’homme, que l’on veut qu’ily fasse plus froid encore.

Puisil ajoutait avec un mauvais sourire :

— Çan’a pas d’importance pour les morts qui s’enfoutent !

— Probable,qu’ils s’en foutent ! répéta Bouzillemachinalement.

Maiscomme le chemineau ne tenait pas à introduire quelqu’undans le local ou se trouvait Fandor, il suggéra :

— Vouspourriez-t’y pas faire votre travail demain matin ?

— Non,répliqua sèchement l’ouvrier, je suis commandépour maintenant, ça ferait des histoires si je remettais lachose. Conduisez-moi tout de suite au frigorifique sans ça jevais aller me plaindre au directeur…

Etil grommelait encore dans sa barbe hirsute :

— Montemps vaut cher…

Bouzillehésitait une seconde, mais finissait par en prendre son parti.

— Ilvaut mieux, pensait-il, que je laisse ce type-là travaillercomme il l’entend plutôt que d’éveiller sessoupçons en lui interdisant l’entrée dufrigorifique. Seulement, je vais l’avoir à l’œil !

Laphysionomie de l’ouvrier, dont il ne parvenait pas àvoir le regard, ne disait rien de bon à Bouzille.

Ilredoutait quelque enquête inopinée qui s’achèveraitpar la découverte de Fandor jouant le rôleextraordinaire de figurant à la morgue, affaire qui nes’achèverait certainement point sans une grandeexplication qui aurait pour conséquence le renvoi immédiatde Bouzille de l’administration.

L’ouvrier,cependant, avait poussé la porte que Bouzille maintenaitentrebâillée, et, avec autorité, il s’avançaitdans le couloir dans la direction du frigorifique.

— C’est-ylà ? demanda-t-il.

— C’estlà, fit Bouzille.

Et,dès lors, il ouvrit à l’homme la porte de lasalle glaciale. Il remarqua que le premier coup d’œil del’ouvrier était pour le cadavre du milieu, c’est-à-direpour celui de Fandor.

— Oh !oh ! pensa Bouzille, attention !

Bouzilles’avançait également dans le frigorifique. Il serapprocha tout d’abord de l’homme-tronc, qu’ildéplaça légèrement, puis il alla jusqu’auchariot de Fandor, et comme il apercevait le regard du journaliste illui cligna de l’œil significativement.

Fandorne broncha point, mais les ailes de son nez se pincèrent.Assurément, il allait se passer quelque chose d’anormal.Était-ce la découvertefinale de son imposture, ou alors était-ce l’approche dequelque événement plus grave, plus souhaitéaussi par le journaliste ?

L’ouvrier,cependant, avait installé son sac dans un coin du frigorifiqueet il considérait les tuyaux amenant l’air froid dans lapièce à la façon de quelqu’un qui ne saitpas trop ce qu’il doit faire.

Bouzille,qui allait et venait dans la pièce, la quittait à unmoment donné. Toutefois, il demeurait tout à côtéet, par un judas, voyait sans être vu ce qui se passait.

Toutd’abord, il ne survenait rien d’anormal àl’intérieur du frigorifique ; il y avait làles trois cadavres, y compris Fandor, puis l’ouvrier.

Mais,à un moment donné, s’imaginant sans doute qu’onne le remarquait point, le réparateur, quittant le fond de lasalle, se rapprocha des chariots sur lesquels étaient étendusles morts.

Et,à ce moment, Bouzille poussa une exclamation d’affolement,de terreur, de surprise également.

L’hommes’était approché de telle sorte que Fandor, sansbouger, pouvait l’apercevoir.

Or,à ce moment précis, le journaliste brusquement s’étaitdressé sur son chariot.

Ilrejetait en arrière les couvertures qui l’enveloppaient,se dressait, vêtu seulement d’une chemise et d’uncaleçon, et il braquait son revolver dans la direction del’ouvrier.

Àla vue de ce spectacle extraordinaire, les quelques gens qui setrouvaient de l’autre côté de la glace sans tainpoussaient des cris d’épouvante, et s’enfuirent endésordre.

Unescène, dramatique au possible, en effet, se jouait désormaisà l’intérieur du frigorifique !

Fandor,comme s’il avait été pris soudain d’unefolie furieuse, venait de décharger son revolver dans ladirection de l’ouvrier. Mais celui-ci s’étaitaccroupi derrière le chariot de l’homme-tronc enpoussant un rauque rugissement, et à son tour il ajustaitFandor… il tira deux fois…

Lejournaliste s’en doutait évidemment, car, plus vif quela pensée il avait sauté à bas de son chariot etse dissimulait derrière ce rempart improvisé.

Toutefois,un grand vacarme retentissait alors, et une bouffée d’airtiède pénétrait dans le frigorifique, cependantque des éclats de verre jaillissaient de tous côtés.

Aucours de leur fusillade, les deux hommes avaient brisé lagrande glace sans tain qui séparait la salle des morts ducouloir réservé au public. Un trou béants’ouvrait dans cette glace, et l’ouvrier, avec unelégèreté insoupçonnable, bondissait parce trou et s’enfuyait à toute allure.

Endépit de l’extraordinaire costume dans lequel il setrouvait, Fandor cependant se précipitait à sa suite,tandis que Bouzille, accouru dans le frigorifique, s’efforçâtégalement de passer par l’ouverture pratiquée àtravers la glace dans le couloir du public.

— Fantômas !…Fantômas !

Cenom sinistre avait été prononcé, ce mot terribleavait retenti et c’était Fandor qui l’avaitarticulé ! Bouzille ne pouvait pas avoir de doute, et sesappréhensions de l’instant précédentétaient, en somme, justifiées.

Fandors’élançait à la poursuite de l’ouvrier,et l’ouvrier n’était autre que Fantômas !

Ques’était-il donc passé ?

Laveille au soir, à Grenoble, tandis que Juve, aprèsmille difficultés, ramenait le corps de Daniel arrachéau glacier, un homme s’était trouvé dans la fouledes curieux, un homme qui avait eu connaissance de ce qui venait dese passer.

Cethomme n’était autre que Fantômas, et il n’avaitpu retenir un juron de dépit en apprenant que le cadavre deDaniel était découvert.

— Vraiment,avait grogné le bandit, ce n’était pas la peinede l’emporter si haut, pour que Juve aille le reprendre !

— Maisalors, avait pensé Fantômas, quel peut bien êtrel’homme que l’on exhibe à la morgue et qui passeactuellement pour le cadavre de Daniel ?

Fantômas,en réalité, s’était fait le mêmeraisonnement que Juve, et il s’était dit :

— Lecorps exposé à la morgue est un corps vivant… Lecadavre, c’est Fandor, aussi bien portant que le Pont-Neuf…

Fantômass’imaginait qu’il y avait là une supercherie faitede connivence avec Juve, et, tout vibrant de colère, le banditétait aussitôt parti par le premier train pour Paris.

Ildébarquait à la gare de Lyon à la premièreheure, et, dès lors, voulant à toute force s’introduiredans le frigorifique, il imaginait, avec beaucoup d’audace, dese faire passer pour un ouvrier chargé de réparerl’installation de l’appareil à entretenir lefroid.