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Pourque Fantômas n’en ignorât rien, Juve, au lieu departir pour Paris, allait donc au Modem Hôtel, et décidaitde s’y installer.

Il ydonnait son nom, faisait savoir qu’il recevrait toutes lespersonnes qui voudraient lui parler.

Juve,cependant, quelques minutes après son installation, quittaitl’hôtel, et sautait dans le train tramway àdestination de Domène.

Lepolicier, cette fois, arrivait chez Mme Verdon avecl’intention d’être des plus énergiques. Ilsonnait à la grille du jardin et le tintement de la clochettese répercuta longtemps dans le silence de la propriété.

Dick,le molosse, survint en galopant lourdement et flaira longuement lenouveau venu.

Juveallait-il se nommer ?

Iljugeait la chose bien imprudente, et cependant il avait besoin defaire connaître sa personnalité pour obtenir deMme Verdon les réponses aux questions qu’ilallait lui poser.

Combienla paisible demeure de la vieille dame semblait transforméedepuis quelques jours !

Pendantdix ans, Mme Verdon avait vécu seule dans sapropriété, ne recevant l’aide d’une femmede ménage que quelques heures par jour.

Lejardin, mal cultivé, était entretenu, à de longsintervalles, par un vieux jardinier sourd, qui ne faisait pasbeaucoup de besogne et qu’on employait par charité.

Lacuisine de Mme Verdon était simple et frugale,le reste était à l’avenant…

Or,voici que depuis quelques jours, une transformation complètesemblait s’être faite dans la demeure de la mystérieusepersonne. Depuis que le professeur Marcus était sonpensionnaire, il semblait que l’on jetait l’argent parles fenêtres.

Lacave se montait, on faisait des emplettes nombreuses chez lesfournisseurs, il y avait désormais trois domestiquesd’engagés, dont un valet de chambre.

Cela,Juve l’avait appris quelques jours auparavant lorsque, sefaisant passer pour un marchand de tapis, il s’étaitlonguement entretenu avec le cabaretier de Domène.

Cefut le valet de chambre qui vint ouvrir la grille du jardin.

Ils’inclina cérémonieusement, mais sans platitude,devant le visiteur.

— Monsieurdésire ? interrogea-t-il.

— Parlerà Mme Verdon, fit le policier.

Etcomme le domestique lui demandait encore :

— Dela part de qui ?

Juvearticula simplement :

— Ditesque c’est de la part du commissariat de police.

Cettedéclaration faisait assurément son effet, car ledomestique, après avoir jeté un coup d’œilcurieux sur le visiteur, lui ouvrait la grille du jardin etl’invitait à pénétrer dans la propriété.

Juvesuivait le valet de chambre jusqu’au perron de la maison, puison l’introduisait dans le vestibule et on le pria d’attendrequelques instants.

Il yeut un assez long conciliabule, au premier étage entre ledomestique et Mme Verdon, car le policier attenditpendant dix bonnes minutes.

Aprèsquoi le serviteur cependant revint et articulait d’un tonimpassible :

— Madameattend monsieur.

Juvegravissait un escalier aux marches recouvertes d’un épaistapis, puis, après avoir suivi un couloir et traversédeux pièces, assez élégamment meublées ensalon, il parvint dans une chambre à coucher. Près dela fenêtre une dame était assise à moitiéétendue sur une bergère.

Juves’arrêta sur le seuil de la porte, s’inclinaprofondément.

C’étaitMme Verdon.

Lavieille dame, assurément, avait dû être jolieautrefois. Désormais les ans avaient ridé son visage,creusé ses traits, atténué l’éclatde son teint, mais sa physionomie était toujours avenante, sonregard spirituel, son expression fine, distinguée.

Elleavait de longs cheveux d’une éblouissante blancheur,qui, divisés en bandeaux par une raie impeccable au milieu dela tête, faisaient à son visage un cadre fort seyant.

Elleétait toute vêtue de noir, et, en fait de bijoux, neportait qu’une bague ornée d’un saphir, et enfinune alliance d’or.

Mme Verdonarticula, considérant le visiteur :

— Veuillezentrer, monsieur, et m’expliquer le but de votre démarche.

Or,brusquement, Juve, à ces mots, tressaillit des pieds àla tête.

Iln’avait éprouvé cependant aucune émotionen apercevant Mme Verdon. Mais la voix de cettedernière, lorsqu’elle avait parlé, déterminaitchez le policier un trouble considérable.

Ilsemblait à Juve qu’il avait déjà entenducette voix, que son timbre lui était connu, familier,sympathique, et cependant le policier avait l’impression biennette et bien certaine qu’il ne s’était jamaistrouvé en présence de Mme Verdon.

Etdès lors Juve, l’homme calme, impassible, l’hommede fermeté réfléchie, et d’irréductiblevolonté, était si troublé qu’ilbalbutiait, ne sachant plus ce qu’il devait dire àMme Verdon.

Maiscelle-ci, cependant, s’étonnait de l’attitude deson interlocuteur.

Unpeu dédaigneuse, hautaine, Mme Verdondésignant un siège à Juve, reprit :

— Veuillezvous asseoir, monsieur, et me faire connaître le but de votredémarche. Je vous reçois dans ma chambre, et vous m’enexcuserez, mais je suis un peu souffrante.

Juvealors seulement remarquait qu’il était, en effet, dansune chambre à coucher élégamment décorée.

Aufond, une porte entrebâillée laissait entrevoir uneassez vaste salle de bain, avec une baignoire de métalreluisant.

Lacheminée de la chambre était encombrée debibelots, de souvenirs ; et au-dessus du lit, était unportrait, une petite photographie, que Juve cherchait à voir,bien qu’il en fût très éloigné, maisc’est à peine s’il parvenait à se rendrecompte, au bout de quelques secondes d’un examen attentif,qu’il s’agissait là de la photographie d’untrès jeune enfant.

Juven’avait pas cru devoir se nommer à Mme Verdon.

Ilprit l’attitude hésitante et lourde d’un vagueemployé d’un commissariat de province.

— Voilà,fit-il, donnant à sa conversation la tournure de l’emploi,je viens comme ça, Madame Verdon, de la part de mon chef lecommissaire, vous demander si vous n’avez pas desrenseignements à me communiquer sur le nommé Daniel ?

Mme Verdonleva les mains au ciel :

— MonDieu, monsieur, fit-elle, on a bien tort de m’interroger sanscesse sur le cas de ce malheureux garçon : je ne saurais,en aucune façon, vous renseigner… Assurément,vous le connaissez mieux que moi, puisque M. Daniel s’occupaitde choses de police. J’ai dit tout ce que je savais, lors despremières enquêtes. M. Daniel me faisait l’effetd’un gentil garçon, il avait besoin de gagner sa vie. Ilm’a demandé de l’aider à faire un voyage enHollande qu’il méditait et je l’y ai aidé,voilà tout…

Juveécoutait distraitement ce que disait Mme Verdon.

Enréalité, il écoutait surtout cette voix, cettevoix harmonieuse, agréable, qui faisait croire à Juve,lorsqu’il fermait les yeux, que c’était quelqu’und’autre qui parlait, quelqu’un connu de lui, mais qui ?Juve ne pouvait parvenir à le savoir.

Il yeut cependant un silence, pendant lequel le policier se remémorace que Mme Verdon venait de lui dire.

Puis,posément, la fixant dans les yeux, Juve articula :

— Cene sont pas là les renseignements, madame, que vous avezfournis, lorsque, par commission rogatoire, M. Juve,l’inspecteur de police, vous a fait questionner ?

Mme Verdonpâlissait légèrement.

EtJuve pâlissait à son tour.

Précédemment,le timbre de la voix de Mme Verdon l’avaitfrappé ; désormais c’était saphysionomie, ses traits, qui, peu à peu, se révélaientà l’inspecteur de police.

Aprèsavoir eu une impression de déjà entendu par la voix deMme Verdon, Juve allait-il avoir une impression dedéjà vu en considérant le visage de la vieilledame ?

Non,certes, il était bien certain que le policier ne laconnaissait pas, et cependant, il y avait quelque chosed’extraordinaire dans les traits de cette personne. Juvesentait son cœur battre, il était haletant, il ne savaitplus que dire, et, cependant que Mme Verdonl’interrogeait à son tour, il reprit :