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Ceguide était curieux ; il questionna encore :

— Simonsieur n’est pas trop fatigué, il pourrait peut-êtreme raconter ses ascensions dans les autres montagnes…

Il yavait là une intention sarcastique, une pointe d’ironie,qui n’échappa point au voyageur que son guide avaitappelé monsieur Robert.

Etle voyageur rétorqua, fronçant le sourcil :

— Leshistoires de mes ascensions n’intéressent que moi, monami, et je ne vous ai pas embauché pour me servir d’auditeur,mais bien pour me conduire jusqu’au Casque-de-Néron…

Leguide sursauta :

— Vousprétendez aller jusqu’au sommet ?

— Oui,parfaitement. Ne sont-ce pas là nos conventions ? Je vousdonne quarante francs dans cet unique but…

— Sansdoute, répliqua le guide, j’ai promis… Mais sij’ai un conseil à donner à monsieur, ce sera dene pas nous aventurer sur le glacier. Au commencement du printempsles neiges ne sont pas sûres ; il y a des crevasses parsuite de la fonte…

L’hommeinterrompait :

— N’avons-nouspas de corde pour nous retenir ?… N’êtes-vouspoint guide ?

— Si,monsieur, mais quand même… les accidents, ças’est déjà vu… et dans des montagnes moinsdangereuses que le Casque-de-Néron…

Lesdeux hommes se considérèrent en silence quelquesinstants, puis le touriste se rapprocha du guide et dès lors,nettement, lui déclara :

— Jetiens essentiellement à arriver au sommet du Casque-de-Néronavant quatre heures de l’après-midi, et je vous donneraivingt francs de plus si nous y parvenons. Maintenant, n’essayezpas de m’effrayer avec vos histoires de crevasses et de fontesde neige… S’il faut risquer ma peau, je la risquerai !Je n’ai d’ailleurs aucune crainte, et, sans êtreguide, je sais, par des renseignements que j’ai recueillis, quevous avons à l’heure actuelle franchi les passages lesplus périlleux, est-ce vrai ?

Leguide perdait contenance. Il avait ôté son bonnet delaine, le tournait dans ses mains…

— Jene dis pas, monsieur… je ne dis pas… fit-il.

Soncompagnon insistait :

— C’estdonc, si vous m’empêchez de monter là-haut, quevous avez peur d’autre chose que des dangers habituels de lamontagne ?

Leguide rougit, puis pâlit ; enfin nettement il déclarait :

— Ehbien, mon Dieu, monsieur, j’aime autant vous le dire, j’aipeur du géant !

M. Robertalors prenait par le bras son guide :

— Ehbien, mon ami, fit-il, voilà une peur dont il faudra vousdébarrasser, car c’est précisément poursavoir ce que c’est que ce géant que je vous ai embauchépour me conduire dans la montagne…

Quelétait donc ce M. Robert qui voulait à toute forceparvenir au sommet du Casque-de-Néron ?

M. Robert,c’était Juve !

Lepolicier, par son énergie habituelle et sa froide résolution,triomphait enfin des scrupules de son guide.

Celui-ciavait eu peur, en effet, de s’approcher des cimes neigeuses dela fameuse montagne, depuis qu’il était question qu’ungéant l’habitât.

Maisl’énergique attitude de son client le voyageur, et aussile désir de savoir, qui le tenaillait au cœur, avaitsurexcité la curiosité, l’entrain, ainsi que lecourage du jeune homme.

Aprèsleur entretien au milieu de la montagne, au cours duquel ilss’étaient expliqués l’un et l’autre,Juve et son guide étaient repartis. Il était troisheures exactement lorsqu’ils parvinrent au commencement duglacier.

Cequi paraissait être, vu de Grenoble, un petit lac miroitant, dedimensions restreintes, était en réalité unénorme champ de glace ou, pour mieux dire, une croûtegigantesque sous laquelle grondaient des torrents qui seprécipitaient en flots tumultueux vers les gorges profondes etabruptes creusées au fond des précipices.

Leglacier commençait à se vider en dessous et, commel’avait laissé entendre le guide, il pouvait êtredangereux de s’y aventurer, une crevasse dans la neige ou laglace pouvant conduire à un abîme insondable.

Juve,toutefois, avec la témérité inconsciente dutouriste qui n’a pas l’habitude des montagnes, s’avançaitsur la surface polie comme un miroir du grand glacier.

Ilallait toujours, la carte à la main, repérant saposition avec une minutie de géographe, et semblant chercherquelque chose avec une attention soutenue.

Juvetourna sur la droite, s’avança vers le cœur duglacier.

Leguide le suivait à distance. Les deux hommes étaientreliés par une corde.

Lemontagnard était stupéfait de l’audace tranquillede son client, mais il était surtout inquiet, troublé,à l’idée que l’heure à laquelle onvoyait le géant approcher, et qu’en réalitéil se trouvait, lui et le touriste, sur le champ de glace oùd’ordinaire on voyait étendu l’homme auxproportions gigantesques.

Allait-ilsurgir soudain, ce géant ?

Etsi cette apparition se produisait, qu’adviendrait-il du guideet de son client ?

Leguide était de moins en moins rassuré, tandis que Juveétait de plus en plus perplexe.

Lepolicier transpirait à grosses gouttes, malgré le froidqui régnait sur le glacier. Tout à coup, il rebroussachemin, et s’en vint se placer à côté duguide.

— Oùsommes-nous exactement ? lui demanda-t-il.

Àvoix basse le guide répondit :

— Exactement,monsieur, à l’endroit où s’installe legéant. Moi, qui connais la montagne, je puis vous assurer qu’àdix mètres au-dessus de nous, près de ce bloc de glacequi miroite actuellement au soleil, le géant, d’ordinaire,pose son pied gauche… vous savez… celui qui estdéchaussé !

Instinctivement,les yeux des deux hommes se dirigeaient vers le bloc de glace, que leguide avait désigné et placé à quelquesmètres au-dessus d’eux.

Or,à ce moment précis, tandis que les deux hommes fixaientleur attention sur le bloc de glace, ils poussèrent unhurlement de surprise :

— Lepied du géant ! crièrent-ils.

Et,en effet, à leurs yeux stupéfaits, se révélaitune vision extraordinaire :

C’étaitun pouce, un pouce énorme… un pouce de pied nu, quileur apparaissait à travers la transparence de la glace, unpouce qu’ils apercevaient, maintenant que le soleil frappaitdirectement sur le glacier !

Cependantque le guide reculait d’épouvante, Juve se précipitaiten avant. La corde se tendait entre lui et son guide ; il lacoupait d’un coup de hachette et, sans se douter du dangerqu’il courait, il se glissait sur le bloc de glace. Dèslors Juve demeura cramponné à une aiguille qui fondaitsous la chaleur de son corps, abasourdi, stupéfait de ce qu’ilvoyait.

Oh !la chose était désormais facile à comprendre, etle policier, en l’espace d’une seconde, avaitl’explication des apparitions extraordinaires qui avaienttellement troublé, depuis quarante-huit heures, la populationde Grenoble et des environs.

Lesgens ne s’étaient pas trompés en disant qu’ily avait quelqu’un dans la montagne, mais leurs sens avaient étéabusés lorsqu’ils avaient pris ce quelqu’un pourun géant !

C’était,au contraire, un homme petit, fluet et mince, un homme mort…un cadavre !

Juve,qui avait pâli en le voyant, serrait les poings en lecontemplant. Car, cette fois, il n’y avait plus de doute, etles soupçons qu’il avait formés la veille dans letramway qui le reconduisait à Grenoble se précisaientnettement dans son esprit.

Juveétait en présence du cadavre de l’infortunéDaniel, et le cadavre du malheureux garçon étaitemprisonné dans une enveloppe de glace, comme une statue dansson moule.

Or,il s’était passé un phénomène queJuve comprenait très bien : chaque fois que le soleildardait ses rayons, selon un certain angle, sur cette glace épaisse,celle-ci formait une véritable lentille, grossissantdémesurément les corps qu’on voyait partransparence au milieu du bloc de glace.

Voilàpourquoi le cadavre de l’infortuné Daniel, aperçuà un certain moment de la soirée, lorsque le soleill’éclairait, semblait, vu de Grenoble et des environs,être le cadavre d’un géant !

Juve,s’il avait découvert, en raisonnant, ce simple problèmede physique, l’explication du mystère qui troublaitGrenoble, était pour son compte terriblement stupéfait !