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— Ehbien, mon garçon, dit-il, il faut croire que ça n’apas marché !… Vous avez l’air trèsennuyé !

— Oui,reconnut Juve, cette dame n’a même pas voulu merecevoir !

— Bast !fit le cabaretier. Un client de perdu, dix de retrouvés…Il faut se faire une raison, mon ami. Vous avez l’air fatigué ;à votre place, je déjeunerais bien tranquillement iciet ensuite je m’en irais à Grenoble, où je seraissûr de faire plus d’affaires.

— Peut-êtreavez-vous raison, poursuivit Juve qui s’attablait et,mélancoliquement, commençait le repas que lui avaitconseillé de faire le cabaretier.

Juve,en effet, n’avait pas été reçu chezMme Verdon.

Iln’avait pas insisté pour arriver jusqu’auprèsd’elle, ce qui lui aurait été aisé s’ilavait voulu faire connaître sa qualité d’inspecteurde police, s’il avait simplement prononcé son nom.

MaisJuve, dans cette affaire, tenait à faire ses enquêtesincognito, et les domestiques lui ayant répondu d’un tonbourru que madame ne le recevrait certainement pas, il s’enétait allé.

Dansl’après-midi, Juve regagnait lentement Grenoble. Ilpouvait être environ trois heures et demie ou quatre heures,lorsque soudain, dans le tramway où il se trouvait, une viveémotion sembla se déterminer soudainement.

Onétait arrêté dans une petite gare, et les voisinsde Juve, des campagnards et des campagnardes, avaient tous quittéleur place, s’étaient portés en masse d’unseul côté du train-tramway et, ayant abaissé lesvitres pour regarder par les fenêtres ouvertes, scrutaient leciel d’un air anxieux et intrigué.

Juvese demandait quel pouvait bien être le motif de cette attentionsubite qui se portait dans une direction déterminée.

Ilécoutait les conversations, il entendait s’échangercertains propos bizarres :

— Jecrois que je vais avoir bien peur ! articulait une jeune fillequi pinçait jusqu’au sang le bras de son voisin, unjeune homme, son amoureux probablement.

Unvieux paysan, au chef branlant, secouait la tête et souriait del’air désabusé et ironique des gens qui ont vubien des choses.

Ilétait à côté de Juve, et familièrement,le prit à témoin :

— Croyez-vous,tout de même, que cette jeunesse est naïve ! Parceque le bruit en a couru hier dans les cabarets, ils s’imaginentqu’ils vont le voir, comme ça, à l’heuredite, comme s’il avait d’ailleurs existé !

— Évidemment !fit Juve, qui voulait avoir l’air de comprendre et qui necomprenait pas…

L’employédu train allait donner le signal du départ, mais il se heurtaà une protestation indignée de tous les voyageurs.

— Attendezdonc cinq minutes ! lui criait-on. Voilà le soleil quibaisse… il est tout près du pic le plus élevé,et nous n’allons pas tarder à le voir…

Etc’était alors des petits cris de femmes apeurées,des ricanements bêtes de gens qui ont un peu peur, deschuchotements de tous côtés…

— Levoilà ! le voilà ! criait-on.

Ettous les regards se portaient dans la direction du sommet d’unemontagne que Juve savait être le Casque-de-Néron.

Leconducteur du train n’avait pas donné le signal dudépart, et il était lui-même, oubliant son rôleofficiel, parmi les plus excités à l’idéede ce que l’on allait voir.

Or,les voyageurs s’étaient évidemment trompés,car il y eut un murmure de désappointement qui succédaaux cris d’allégresse ; on ne voyait rien,absolument rien d’anormal, sur la montagne aux cimes couronnéesde neige, et que dorait un soleil couchant dans le faisceau lumineuxde ces derniers rayons du soir.

Juve,comme les autres, regardait, et il n’osait, de peur de se faireremarquer, demander ce que l’on attendait, ce que l’onespérait voir.

Ilallait cependant poser la question à son voisin, le vieuxpaysan au chef branlant, lorsqu’une clameur immense s’élevade la foule des voyageurs du train-tramway :

— Levoilà ! le voilà !

— Cettefois il n’y a pas de doute… regardez donc comme il estgrand !

— Biensûr, puisque c’est un géant…

— Commeil a l’air méchant !

— Vousne pouvez pas savoir, on ne voit pas sa figure…

— Etses pieds !… Sont-y gros !… Voyez sachaussure ; on dirait une charrette à foin !

Cettefois, Juve, dont le regard avait suivi les regards de la foule etdont les oreilles entendaient ce qui se disait autour de lui, devintpâle, très pâle.

Certes,il était à cent lieues de s’attendre au spectaclequ’il voyait désormais, spectacle assurémentnouveau pour lui, mais qui semblait être familier aux habitantsde la région.

Lepolicier, en effet, venait de voir peu à peu se révélerla silhouette fantastique et gigantesque d’un homme auxdimensions monstrueuses, qui semblait dormir ou alors s’êtrefigé dans le sommeil rigide de la mort, au sommet de lamontagne, homme immense et gigantesque, homme qu’au premierabord on pouvait estimer long de vingt mètres et large enproportion.

Cela,c’était inadmissible. Et si les populations naïvespar plaisanterie ou ignorance croyaient à un géant,Juve immédiatement se déclarait à lui-mêmeque cela ne se pouvait pas, qu’il y avait là simplementun mystère dont il ne saisissait pas nettement le secret.

Maisce n’était pas cela qui avait rendu Juve si pâle,ce n’était pas cela qui déterminait chez luisoudain une sorte de tremblement nerveux.

Lepolicier, comme tout le monde, apercevait pendant quelques secondes,juste le temps pendant lequel le rayon de soleil couchantl’éclairait, le visage gigantesque du soi-disant dormeurde la montagne.

Or,le policier n’avait pu faire cette constatation sans uneviolente émotion.

Illui semblait, en effet, qu’il connaissait les traits de cevisage, et qu’il s’agissait là d’un visagequi lui était bien familier, du visage d’un homme qu’ilavait longuement contemplé depuis quelques jours, d’unvisage auquel la mort avait donné une effrayante rigidité…

Qu’est-ceque tout cela signifiait ?

Quepouvait-il bien s’être passé ?

C’étaitle lendemain, il pouvait être une heure de l’après-midi,et, tandis que dans Grenoble les uns allaient et venaient animés,actifs, joyeux, sur le flanc escarpé du Casque-de-Néron,deux hommes qui étaient reliés l’un àl’autre par une corde grimpaient péniblement.

Ilsétaient en route depuis l’aube, et s’ils avaientfait peu de chemin, ils n’en étaient pas moins déjàfatigués. L’un d’eux, un homme au visage rasé,à la carrure robuste, lorsqu’il fut parvenu à unpetit cirque creusé dans une anfractuosité de roche, selaissa choir sur un bloc de pierre, et souffla bruyamment.

Soncompagnon, un gaillard au teint basané, aux allures de paysan,venait s’asseoir à côté de lui. Il défitd’un geste las le sac qu’il portait sur les épauleset le posa à terre.

Puisayant considéré en silence son compagnon qui demeuraittaciturne et absorbé, il se décida cependant àlui adresser la parole :

— Alors,comme ça, monsieur Robert, c’est pour votre plaisir quevous faites des ascensions ?

— Pourmon plaisir uniquement, répliqua l’homme auquels’adressait cette question.

— Ahtrès bien ! poursuivit le campagnard qui, en raison deson accoutrement, avait l’air d’un guide de montagne.

C’enétait un, en effet. Celui-ci reprit :

— Etmonsieur a l’habitude de visiter comme ça les beauxpaysages ?

— Oui,mon ami, oui !

Leguide hésitait encore à parler, il s’y décidanéanmoins :

— Ily a dans la région de plus jolies montagnes que celles-ci, etplus faciles à escalader. Je ne comprends pas que monsieur aitvoulu faire le Casque-de-Néron, du moment qu’il pouvaitaller au Grand-Som, à Beldone, ou partout ailleurs, àson gré.

— J’aidéjà fait toutes ces montagnes, répliqua letouriste, il ne manquait à ma collection que le grandCasque-de-Néron.

Leguide considéra son voyageur avec un air de méfiance,et il pensait :

— Pourun homme qui a fait tant de montagnes, il n’a pas l’aird’être bien habitué aux ascensions. Il a fallu queje l’attache dès le premier passage… il est vraique le Casque-de-Néron passe pour être difficile…