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— Onattendra quoi ? demanda la Rouquine.

Fantômasfoudroya du regard celle qui se permettait de l’interroger.

— Voicice qui se passera, continua-t-il. Dans vingt minutes à peuprès, vous entendrez un coup de sifflet. À ce moment,vous commencerez à surveiller le courant de la Seine.Quelqu’un viendra, que vous accrocherez au bout de vos gaffes.Ce quelqu’un ce sera…

Fantômasbrusquement s’interrompait.

— Aufait, murmurait-il, je n’ai pas besoin de vous expliquer toutcela. Soyez là où je vous dis pour me prêter mainforte, le cas échéant, et c’est l’essentiel.

Fantômasachevait de parler, haussait les épaules en homme qui se moquepas mal après tout des entreprises qu’il est sur lepoint de tenter, puis, sans ajouter un mot, hautainement redressé,s’éloignait, marchant à grands pas, ayant l’airde profondément mépriser ceux qu’il appelaitpourtant ses amis.

Fantômas,à ce moment, se perdait dans la nuit, marchant volontairementdans les coins d’ombre, évitant l’auréolelumineuse des becs de gaz. Il allait vite et sans bruit… Rienqu’à le voir, on eût deviné qu’ilétait l’ami de l’ombre, qu’il étaitl’ami des ténèbres, le familier des nuitsobscures…

Fantômasne témoignait d’ailleurs d’aucune hésitationni d’aucune inquiétude. Quel que fût le plan qu’ilallait tenter de mettre à exécution, il n’étaitpas évidemment inquiet à son sujet ; ilconsidérait sa réussite comme certaine.

Maisquel était donc ce plan ? Quelle résolutionFantômas avait-il donc arrêtée lorsqu’ilétait sorti de chez Trois-et-Deux, le contre-policier, qu’ilavait vu cette nuit-là même ?

Quelquesminutes plus tard, Fantômas atteignait la petite place surlaquelle s’élèvent encore les bâtiments dela morgue qu’il est toujours question de démolir, etdont la municipalité parisienne ne parvient pas, malgrétout, à débarrasser l’île Saint-Louis.

Fantômasavait pour le lugubre bâtiment, refuge dernier de tant dedésespérés, de tant d’inconnus, quicherchent dans la mort l’oubli parfait et éternel, unregard de pitié méprisante.

Ilsemblait mesurer du geste la hauteur des murailles, il semblaitsonder du regard la profondeur, l’épaisseur du monument.

— Bien !fit-il enfin d’un ton pensif. Ce qui est nécessaire estnécessaire, et d’ailleurs, je n’ai pas le choixdes moyens…

Frissonnantun peu, secoué, semblait-il, d’une très réelleémotion, Fantômas longea la morgue et se penchapar-dessus le parapet de pierre qui domine à pic les flotsboueux de la Seine, battant l’île Saint-Louis.

— Jepense, murmurait-il, que le chemin est toujours praticable…

Maisde quel chemin s’entretenait-il ? À quoi pouvait-ilbien faire allusion, puisque, à l’endroit où ilse penchait, le fleuve baigne directement les murailles, et qu’iln’existe, au bas de la morgue, aucune espèce de berge.

Fantômasévidemment employait un terme pour un autre… Le chemindont il s’agissait n’était pas un véritablechemin, c’était tout bonnement un moyen de pénétrerdans le monument, car, ainsi qu’il l’avait dit au Bedeau,Fantômas prétendait s’introduire cette nuit-làdans la morgue.

Fantômas,d’ailleurs, penché sur les flots de la Seine, témoignaitbien vite d’une certaine satisfaction.

— Trèsbien ! disait-il. Rien n’est changé, et je ne vaispas avoir la moindre difficulté…

MaisFantômas assurément exagérait, car il semblaittout au contraire qu’il s’apprêtait à selivrer à l’un de ces périlleux exercices danslesquels il était passé maître, qu’ilaccomplissait d’ordinaire comme en se jouant, en véritableamoureux de la gymnastique, en homme aussi qui aime àaffronter le danger, à défier la mort, à vaincrele péril…

D’unrapide coup d’œil, le Génie du crime s’assuraittout d’abord que nul ne pouvait épier ses faits etgestes. À droite et à gauche de la morgue, les pontssemblaient déserts. Bien évidemment nul passant àcette heure ne se souciait de flâner aux environs de lasinistre maisonnette. Les gardiens de la paix, d’autre part,n’effectuaient pas de faction à cet endroit. Fantômasétait donc tranquille, libre d’agir.

Etdès lors, en effet, il se hâtait…

LeMaître de l’effroi, tout d’abord, commençaitpar enjamber le parapet. Il se retenait à la pierre, et selaissait pendre dans le vide. Ses pieds rasèrent alors lamuraille, cherchant un point d’appui. Il finit par trouver, entâtonnant, un gros anneau de fer, mis là évidemmentpour aider au sauvetage de quelque péniche en danger denaufrage en ce coin du fleuve où les courants sont toujourstrès violents.

Fantômas,appuyé sur cet anneau, risquait alors la plus périlleusedes gymnastiques : il se collait littéralement àla muraille, puis, lâchant les mains, il se laissait tomber surla droite, ses pieds posant sur l’anneau, lui permettant de setendre, de s’allonger…

Or,en tombant de la sorte, Fantômas finissait par pouvoir attraperdes deux mains un autre anneau de fer auquel il semblait ne seretenir qu’une seconde à peine.

Fantômas,en effet, lâchait à ce moment l’appui de sespieds. Son corps tombait, tournant au bout de ses bras, un coup derein augmentait son élan, et cette fois il bondissait dans levide…

Etce bond de Fantômas, ce bond qu’il réussissaitainsi, ayant pris par sa chute calculée une sorte d’élanfactice, était merveilleusement voulu.

Loinde tomber, en effet, loin de rouler dans le fleuve qui clapotait endessous de lui, Fantômas se jetait littéralement contreles grillages d’une sorte de petite fenêtre percéedans les murs même de la morgue et qui surplombe le fleuve. Ils’agrippait aux barreaux, bandait ses muscles, unrétablissement, un coup de rein encore, lui permettaient de serelever, de prendre pied sur la fenêtre.

Lereste, dès lors, n’était qu’un jeud’enfant !… Fantômas, étendant lebras, pouvait atteindre en effet au-dessus de sa tête le rebordde la gouttière du toit. Il l’empoignait àpleines mains, faisait encore un effort prodigieux et se hissait danscette gouttière.

Lebandit n’avait plus alors qu’à traverser le toit àplat ventre pour sauter dans la courette intérieure. Une foislà, il lui était évidemment facile de pénétrerdans les différentes salles dont les portes intérieuresn’étaient naturellement pas fermées.

Fantômas,quelques instants plus tard, en effet, se trouvait seul dans la courintérieure de la morgue. D’abord, il commençaitpar s’asseoir sur le brancard d’une civière quitraînait là, à l’abandon, ayant étéprobablement déposée très tard par les porteursde quelque hôpital.

Fantômas,sans souci du tragique endroit où il se trouvait, tirait unecigarette de sa poche, l’allumait, en aspirait quelquesbouffées…

Etc’était seulement lorsqu’il s’étaitreposé quelques secondes que Fantômas se décidaità se lever.

— Inutilede flâner maintenant, murmurait-il ; je dois songer auplus pressé.

Fantômasjeta sa cigarette et, semblant fort décidé, paraissantse diriger vers un but très net, entra dans une sorte de petitcorridor qui, longeant l’amphithéâtre oùsont professés les cours de médecine légale,aboutissait à la salle où le public est admis àdéfiler devant les cadavres inconnus que la police tient àfaire identifier.

— Jene suppose pas, murmurait Fantômas, que Juve l’a faitmettre parmi les morts exposés… Voyons tout de même !

Arrivédans la salle du public, dans cette salle macabre, séparéeen deux par une grande vitre, derrière laquelle sont exposésles morts, Fantômas s’arrêtait interdit.

Certes,le Maître de l’épouvante avait maintes et maintesfois commis d’épouvantables horreurs. Certes, lui qui sevantait à juste titre d’être le plus raffinédes tortionnaires, avait assisté à des spectacles plusabominables encore.

Maisl’impression qui se dégageait de la vision nocturnequ’il avait sous les yeux, de ces morts inconnus qui étaientlà, roidis dans une pose conventionnelle ayant l’air dedormir d’un sommeil de cauchemar, lui causait un malaiseindéfinissable et cette sensation nouvelle le forçaitsans doute à réfléchir que lui, qui avait tanttué, serait un jour tout comme un autre, un pauvre etmisérable cadavre, puisque la mort est égale pour tous,étant une loi inéluctable, une loi courbant sous sontranchet les forts, les puissants, les riches, aussi bien que lespauvres et les faibles…