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Fantômasregagna son compartiment, s’enveloppa d’une couverture delaine, baissa la lampe bleue de son wagon, et s’endormit.

Ilétait difficile au Maître de l’effroi, toutefois,de sommeiller tranquillement alors qu’il connaissait, dans lemême train que lui, la présence de cet adversaireacharné qu’était Jérôme Fandor.

Fantômas,bientôt, renonça à dormir, et se prit àsonger :

— Quediable a pu télégraphier cet infernal journaliste ?…pensait-il.

Eten dépit de son flegme, Fantômas devenait, au fur et àmesure que les heures passaient, quelque peu nerveux.

— Jesuis peut-être imprudent ? se demandait-il. Je ne m’occupepas assez de ce qui se trame contre moi…

Àla frontière, pendant les opérations de douane,Fantômas courut au télégraphe.

Là,avec un toupet infernal, il expédiait une dépêcheau commissariat spécial de la gare du Nord :

Avez-vousbien reçu mon télégramme ?… Pourla bonne règle, réexpédiez-le moi en double…

Etil signait : Fandor,etil donnait comme adresse le dernier arrêtdu train avant son arrivée à Paris.

Leschoses se passaient tout naturellement comme l’avait prévuFantômas. Au commissariat spécial de la gare du Nord, onimaginait que le journaliste, inquiet de savoir si ses ordres avaientbien été scrupuleusement exécutés,demandait une confirmation, on répondait fort régulièrementpour le tranquilliser.

Fandor,de son côté, ne se doutait nullement qu’untélégramme l’attendait au bureau de la gare, nesongeait pas à y aller. Fantômas retirait la dépêche,lisait ce qu’avait câblé Fandor et se frottait lesmains…

— Trèsbien, murmurait-il. Je n’ai pas perdu mon temps. Désormaisje puis être sans inquiétude !

Ayantregagné son wagon, Fantômas en effet prenait sa valiseet se rendait au cabinet de toilette pour s’y habiller.

Lavalise en effet contenait des vêtements de rechange, bientôtFantômas n’était plus l’apache que Fandoravait vu à Bruxelles et qu’il avait signalé àParis, il était au contraire un fort élégantgentleman. La conclusion avait toutes les chances du monde de seproduire, elle se produisait en effet.

Fantômas,au cours de la lutte que les agents de la Sûretésoutenaient contre Fandor, que, dans leur affolement, ils prenaientquelques secondes pour le Génie du crime, avait reçu debons horions.

Uncoup de poing notamment l’avait atteint en pleine figure, etcela lui avait fait si mal qu’il avait cru un instantdéfaillir. L’incident n’avait pas grandeimportance, et Fantômas, descendant la rue La Fayette,s’applaudissait de fort bon cœur des résultats deses ruses.

— Évidemment,pensait-il, Jérôme Fandor ne sera pas longtempsprisonnier ; l’erreur est une question de quelquesminutes, et dans quelques minutes Fandor sera libre. Pendant ce tempstoutefois, j’aurai eu tout le loisir du monde pour disparaître,et, par conséquent, je n’aurai plus rien àcraindre.

Fantômasn’était pas inquiet de l’attitude de JérômeFandor, mais en revanche se montrait beaucoup moins rassurésur les faits et gestes de Juve.

Iln’avait plus de nouvelles du policier, en somme, depuisl’instant où il l’avait perdu de vue, debout surle marche-pied du train de Paris, appelant Fandor, et quelquesinstants avant qu’il ne fût amené àdécouvrir tout naturellement le cadavre de Daniel habilementgrimé, de façon à ressembler au journaliste.

Qu’avaitfait Juve depuis lors ? Où en était-il de sesenquêtes et de ses recherches ? Soupçonnait-il lavérité ?

Fantômasse le demandait avec anxiété, et par moment fronçaitles sourcils.

— Moiqui sais qui est Daniel, murmurait-il, moi qui n’ignore pas enraison des papiers que j’ai volés dans son portefeuille,ce qu’il était venu faire à Amsterdam je puis àbon droit redouter que Juve n’arrive à connaîtrela vérité !

LeMaître de l’effroi, qui descendait toujours la rue LaFayette, tourna à la hauteur de Saint-Vincent-de-Paul, prit larue d’Hauteville, et délibérément entradans un immeuble de vilaine apparence où sa présence enhomme chic pouvait surprendre.

LeMaître de l’effroi, cependant, connaissait àmerveille l’art de duper ceux dont il ne tenait pas àexciter la curiosité.

Tranquillementil allait donc à la loge de la concierge et demandait :

— M. Durand,s’il vous plaît…

Fantômasdonnait ainsi le nom d’une boutique d’avocat-conseil dontil avait lu les qualités sur une plaque d’émailaccrochée à la porte.

— Aupremier étage, escalier B, répondit la concierge.

— Merci,fit Fantômas.

Maisau lieu d’écouter les indications qu’on luidonnait, au lieu de se diriger chez ce M. Durand, Fantômaspassait devant l’escalier B, longeait les voûtes, ets’engageait dans un boyau noir désigné sous lenom d’escalier C.

Fantômasmonta cinq étages de marches branlantes et couvertes desaletés. La concierge, très évidemment, nenettoyait jamais ce dernier escalier, qui constituait la honte de lamaison, qui conduisait à d’horribles logements louésà de misérables crève-la-faim.

Fantômasmonta les cinq étages, puis s’orienta, et délibéréments’en alla frapper à une porte.

— Quiest là ? s’informa une voix.

Fantômasfrappa encore. Il frappait d’ailleurs d’une certainefaçon et cette façon devait être significativecar immédiatement la porte s’ouvrait.

DevantFantômas se dressait alors un petit homme à la figureravagée par la misère, aux épaules voûtées,aux doigts tachés d’encre, qui sentait d’une lieueson expéditionnaire ou son employé de bureau.

— Trois-et-Deux…commença Fantômas, je viens aux renseignements !

Trois-et-Deux,car tel était le nom du personnage, tel était sonsobriquet plutôt, s’inclina.

— Tuviens aux renseignements, demandait-il, à cette heure-ci,Maître ?

Ilétait en effet tout près d’une heure du matin, etce n’était vraiment pas le moment de dérangerd’honnêtes citoyens.

Fantômas,pourtant, devait évidemment savoir à quoi s’entenir sur la mentalité de Trois-et-Deux.

Aussibien le personnage était connu ; son extraordinairesobriquet venait de ce qu’il passait dans la pègre pouravoir commis deux crimes abominables. Lors du premier, il avait tuétrois personnes, lors du second, il en avait tué deux.

Trois-et-Deuxtoutefois n’était pas un assassin ordinaire.

Loinde dilapider, en effet, la petite fortune que ses deux crimes luiavaient rapportée, il s’occupait à la géreret la gérait de si habile façon qu’il étaiten quelque sorte devenu un véritable petit rentier, touchant,affirmaient les gens bien informés, près de huit centsfrancs d’intérêts par an !

Trois-et-Deux,évidemment, ne pouvait songer, avec ces revenus, àvivre largement, mais comme c’était un sage, il ne seplaignait point de son sort. Tout rentier qu’il fût,d’ailleurs, Trois-et-Deux n’avait pas renoncé àtravailler. Par exemple, il avait une profession bizarre, ils’intitulait tout simplement contre-policier.

Trois-et-Deux,en effet, s’occupait principalement de faire de lacontre-police. C’est ainsi que lorsqu’un crime secommettait, il se chargeait, moyennant une honnête rétributionversée d’avance, de surveiller les agissements de lapolice, et de filer les inspecteurs de la Sûreté quicherchaient eux-mêmes à filer le criminel.

Trois-et-Deuxétait inattaquable, car la prescription couvrait ses méfaitspassés, et, d’autre part, il avait bien soin de vivrehonorablement désormais. Trois-et-Deux opérait donc entoute liberté d’esprit.

Cetextraordinaire bonhomme trouvait moyen de s’insinuer un peupartout, de traîner à la Préfecture de police,d’être bien avec les commissariats, d’apprendreenfin tous les mouvements concernant les affaires criminelles. Iltenait des fiches, avait un répertoire fort en ordre, c’étaiten réalité un homme précieux et que lescriminels instruits avaient tout intérêt àfréquenter.

Fantômasconnaissait depuis longtemps, naturellement, l’existence deTrois-et-Deux. Il utilisait rarement cependant les avis du bonhomme.Fantômas était en effet si parfaitement intelligent, sisupérieurement documenté par ses propres complicesqu’il n’avait guère besoin des services d’autrui.