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— Morbleu,je me trompe ? maugréait-il.

Maisà ce moment les larmes, comme par enchantement se tarissaientsous ses paupières.

Juve,brusquement, comprenait la méprise.

Fandor,ce cadavre qu’il relevait ? Eh non, ce n’étaitpas Fandor !

Juve,maintenant, penché sur le mort, s’étonna mêmed’avoir pu être victime d’une semblable erreur…

Ildémasquait la lampe scellée au plafond du compartiment,il retournait considérer le mort qu’il venait de couchertout de son long sur la banquette.

EtJuve alors, stupéfait de plus en plus, commençait àcomprendre les causes de son extraordinaire erreur.

Lemort, évidemment, ressemblait à Fandor. Il s’agissaitd’un jeune homme du même âge, d’unecorpulence analogue, dont les traits se rapprochaient singulièrementde ceux du journaliste…

Toutefois,si la confusion avait été possible, si Juve s’étaitainsi abusé, c’était en vérité quela ressemblance naturelle avait été merveilleusementaugmentée, par le plus habile, le plus sinistre desmaquillages.

Maisqui donc avait pu ainsi farder un cadavre, le grimer, oser ceteffroyable sacrilège ? Oh ! Juve n’avait pointbesoin dès lors de réfléchir longuement. Il n’yavait qu’un homme au monde qui fut capable de concevoir et deréaliser un si abominable projet !

Cethomme, c’était Fantômas… le Roi du crime,le Maître de l’épouvante, c’était leTortionnaire, c’était le monstrueux bandit qui sedéclarait lui-même le Maître de tous et de tout !

Juve,demeuré seul dans son compartiment, cependant que tout letrain commentait l’aventure, cependant que les voyageurss’écrasaient dans le couloir, ne laissant pas mêmeplace aux employés de la Compagnie, Juve inventait bien deschoses.

Évidemment,Fandor avait eu raison lorsqu’il avait cru entendre, quelquetemps avant d’arriver à Anvers, la voix de Fantômas.Il était bien réel que Fantômas se trouvait alorsdans le train, il était même probable que le banditavait dû apercevoir Fandor, avait dû noter dans quelcompartiment il se trouvait.

— Ilnous a vus, s’avoua Juve. Il a noté notre présence.C’est bien volontairement qu’il a dû même sefaire entendre par Fandor… Et si Fandor n’a pointrejoint le train, c’est sans doute qu’il est actuellementsur la piste de Fantômas.

Juvene se trompait pas, puisque, au même moment, et sans qu’ilpût le savoir, Fandor était précisément entrain de pourchasser Fantômas dans l’automobile qu’ilvolait au bandit.

Rassurédésormais sur le sort de Fandor, Juve se demandait comment ilétait possible que Fantômas eût pu amener uncadavre dans le train. Or, voilà qu’en examinant de touscôtés le compartiment où il se trouvait, Juveapercevait, dans le filet, abandonnés là, des vêtementsqu’il reconnaissait sans peine.

— Miséricorde,gronda le policier. Il s’agit d’un corsage et d’unejupe de femme… Parbleu, ce sont les vêtements quihabillaient la vieille dame qui s’embarqua avec un paralytiqueà Amsterdam !

Iln’était donc pas difficile pour Juve de deviner lavérité.

Iléventait vite, en effet, la ruse à laquelle avait eurecours Fantômas. Il soupçonnait que le soi-disantparalytique était en réalité le cadavre, etmême, il découvrait comment il se faisait que lui, Juve,venait en somme de se tromper de compartiment, prenant place danscelui où était Fantômas, alors qu’ils’était imaginé s’installer dans celui oùFandor avait voyagé.

Letrain n’avait-il pas, en effet, changé de sens de marcheen partant d’Anvers ? La locomotive, attelée entête, avait été remplacée par unelocomotive attelée en queue. Juve était bien toujoursdans le dernier compartiment du wagon, mais ce compartiment avaitchangé, c’était celui qui s’étaittrouvé tout d’abord être le premier.

Cedétail, toutefois, n’avait qu’une trèsrelative importance. Ce qui pressait Juve, en effet, ce quil’angoissait maintenant, c’était de deviner quiétait ce mort qu’il avait devant lui, ce mort quin’était pas Fandor, ce mort que l’on avait grimé,que l’on avait si bien grimé même, qu’ilserait sans doute à jamais impossible d’enlever lesfards incrustés dans la chair du visage glacé pourtoujours.

Juveen était là de ses réflexions, lorsqu’unemain se posait sur son épaule.

— Quiêtes-vous ? lui demandait-on.

C’étaitle chef de train qui, prévenu par la rumeur publique, faisaitson apparition.

Juve,à vrai dire, le reçut fort mal. Il avait bien autrechose à faire qu’à renseigner les importuns.Aussi se contentait-il tout bonnement de hausser les épaulesde repousser le pauvre employé, d’articuler enfin :

— Vous,mon bonhomme, fichez-moi le camp… Fermez la portière,tirez les rideaux bleus, faites-moi réserver le wagon.

Etcomme ses ordres eussent été incompréhensiblesde la part de l’inconnu, Juve mettait sous les yeux del’employé stupéfait sa carte d’inspecteurde la police.

— Obéissez,faisait-il… Service de la Sûreté…D’ailleurs, je suis accrédité en Belgique, voicila lettre qui le prouve. De plus, le wagon est français, et,par conséquent…

L’employén’en demandait pas plus.

C’étaitun vieux chemineau qui perdait absolument la tête. Il nepensait nullement à désobéir à Juve, ilne pensait guère à le questionner ; son seul désirétait de s’en aller au plus vite et d’échapperà toutes les responsabilités, à tous les ennuis,dont il prévoyait naturellement la très imminentemenace.

— Àvos ordres, répondit-il.

Là-dessus,il disparut.

Juve,à nouveau, était seul avec le cadavre. Il y restajusqu’à ce que le train stoppe en gare de Bruxelles. Là,il faisait mander le commissaire spécial et, rapidement, endeux mots, le mettait au courant de la situation.

— Aupoint de vue droit, disait Juve, il est certain, monsieur lecommissaire, que le crime ayant été commis en Belgique,c’est à vous qu’il appartient d’instrumenter.Toutefois, vous savez combien les affaires de Fantômas sont desaffaires compliquées, et combien la justice françaises’en est préoccupée… J’ai en poche,émanant de votre ministre de la Justice, une autorisation derequérir la police belge et d’agir au mieux des intérêtsgénéraux. Voulez-vous, en conséquence,m’autoriser à ramener ce cadavre en France, celasimplifiera les formalités, et, naturellement, cela m’aideradans la tâche que je poursuis ?

Juveavait évidemment toutes les chances du monde de ne pointobtenir ce qu’il demandait. Par bonheur, il s’adressait àun fonctionnaire qui était, sans qu’il s’endoutât, l’un des ses plus enthousiastes admirateurs.

Lecommissaire de police de la gare de Bruxelles ne demandait donc pasmieux que de faciliter la tâche de Juve. La police bruxelloiseavait eu récemment fort à faire avec le crime simulépar Fantômas, grâce à la complicité de MaPomme. Les recherches étaient naturellement demeuréesinfructueuses, on ne devait évidemment pas tenir beaucoup, enhaut lieu, à recommencer l’instruction d’uneaffaire qui semblait au moins aussi délicate.

— Faitescomme vous le jugerez bon, décida immédiatement lecommissaire de police. L’autorisation dont vous me parlezcouvre ma responsabilité, je vous laisse donc entièrementlibre…

Unquart d’heure plus tard, on attelait en queue du train de Parisun wagon supplémentaire dans lequel on transportait le cadavreque Juve ne quittait pas une minute.

Etlorsque l’express repartait, Juve, à nouveau, seul avecce mort, commençait à le considérer, àl’interroger presque, voulant lui arracher son secret, savoirson nom, deviner pourquoi et comment il était tombésous les coups de Fantômas…

Or,il était vraiment dit que Juve irait, en ses enquêtes,de surprise en stupéfaction.

Commeil promenait, en effet, les rayons de sa lampe électrique surle visage du mort, Juve, brusquement, sursautait.

Parbleu,s’il faisait abstraction de certaines modifications apportéespar le maquillage, s’il imaginait noirs les yeux bleus que l’onavait pu injecter, s’il supposait châtain foncéles cheveux que l’on avait pu teindre, si, par la pensée,il allongeait la pointe des moustaches rasées courtes, voilàque le mort, en son esprit, prenait une tout autre apparence, neressemblait plus à Fandor, incarnait au contraire aux yeux dupolicier, un personnage qui précisément l’avaitdéjà fort intrigué.