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— Grindel y siégera-t-il ?

— Il pourra… S’il se maintient dans le groupe en étant propriétaire il lui est loisible de se détacher mais je ne vois pas où serait son intérêt.

— Pourquoi Moritz ne lui a-t-il pas confié la direction générale ? Il est son neveu.

— Il était, corrigea maître Hirchberg qui tenait aux détails… Au point où nous en sommes, je crois pouvoir vous faire une confidence : il ne l’aimait pas, même s’il lui reconnaissait une certaine valeur professionnelle ! Voulez-vous que je vous ramène à l’hôtel ? J’ai ma voiture en bas ! proposa-t-il en remettant en place la montre qu’il venait de consulter.

— Volontiers ! Le temps de saluer cette grande dame qui est devenue ma grand-mère et que j’aime infiniment. Je suppose qu’elle ne va pas s’éterniser à Zurich et j’espère de tout mon cœur que Lisa l’accompagnera.

— Vous pourriez l’y obliger ! En dépit de cette délirante demande en divorce, elle est toujours votre femme légitime et comme telle vous doit obéissance !

— Je sais, mais c’est un droit qu’il me déplairait d’exercer. Elle ne me le pardonnerait pas !

— Hum !… Ne m’en veuillez pas de ma franchise mais je me demande si vous n’avez pas un peu trop tendance à inverser les rôles !

En sortant du cabinet de travail, ils trouvèrent Mme von Adlerstein sur le seuil de la porte, visiblement très soucieuse :

— Savez-vous que Frau Wegener est encore ici et que Lisa s’oppose formellement à son renvoi ? fit-elle d’une voix que la colère faisait trembler.

Aldo échangea un regard avec le notaire dont les sourcils se relevèrent de façon significative.

— Attendez-moi un instant, maître… ou plutôt venez avec moi. Où est-elle ?

— Dans la bibliothèque avec cette femme. J’ajoute que Grindel y est aussi !

— Allons nous joindre à la réunion !

Il bouillait intérieurement mais s’efforça au calme… Jamais encore il n’avait fait preuve d’autorité depuis qu’ils étaient mariés et il détestait y recourir mais il n’y avait vraiment pas d’autre moyen !

La première chose qu’il vit en pénétrant dans la pièce fut la Wegener qui s’apprêtait à lui injecter on ne sait quoi. Elle avait relevé un côté de la jupe de la jeune femme dans l’intention de planter l’aiguille dans le gras de la cuisse au-dessus du bas de soie noire.

— Lâchez ça ! ordonna-t-il en fonçant sur elle.

Surprise, elle émit un glapissement et abandonna la seringue qu’Aldo tendit au notaire en lui disant de l’emballer dans ce qu’il trouverait aux fins d’analyse. Mais déjà Lisa réagissait violemment !

— De quoi vous mêlez-vous ? Sortez ! Vous n’avez rien à voir ici !

Il nota au passage l’emploi nouveau du « vous » mais ne le souligna pas. Il se contenta de hausser les épaules :

— Croyez-vous ? riposta-t-il. Il me semble, à moi, qu’il est largement temps de remettre les choses en place entre vous et moi !

— Il n’y a rien à remettre en place ! Vous avez tout brisé, tout sali…

— Une minute, voulez-vous ? Accordez-moi de faire un peu de ménage… Sortez ! intima-t-il à l’infirmière puis à Gaspard qui, debout devant une fenêtre, regardait dehors à son entrée.

Naturellement celui-ci protesta :

— Pourquoi sortirais-je alors que vous amenez le notaire sans même demander à Lisa si cela lui convient ?

— Maître Hirchberg a bien voulu consentir à servir de témoin… et vous n’avez aucun profit à l’indisposer ! Alors prenez la porte bien gentiment ! Et embarquez votre… acolyte !

— Reste, Gaspard ! s’écria Lisa. Si quelqu’un doit s’en aller ce n’est pas toi. Je suis ici chez moi et j’y reçois qui je veux !

— Pas si je m’y oppose ! Je n’aurais jamais cru qu’un jour viendrait où je devrais vous le rappeler mais je suis votre époux…

— Plus pour longtemps et…

— Si vous voulez ! Il n’en demeure pas moins que jusqu’à ce que soient tranchés entre nous les liens civils et religieux – en admettant que vous y parveniez un jour, ce dont je doute fort ! – vous êtes « ma » femme et comme telle vous m’avez juré obéissance…

— Vous osez ?

— Oui, j’ose ! Et ne vous en prenez qu’à vous-même ! En conséquence de quoi vous priez votre cousin d’aller à ses affaires et d’emmener avec lui cette Wegener dont votre grand-mère ne supporte plus la présence chez elle et que moi je ne veux plus autour de vous !

Elle eut un petit rire qui passa comme un fer rouge sur les nerfs d’Aldo puis, le dédaignant, elle s’en prit à Mme von Adlerstein :

— Grand-mère ! Je ne vous aurais jamais crue capable de vous plaindre de moi à ce débauché !

— Jamais je ne me suis plainte de toi ! Et tu le sais parfaitement, mais tu sais aussi que cette femme m’est odieuse…

— Mais j’en ai besoin !

— Non ! On a réussi à t’en persuader… et c’est un désastre ! Tu n’es plus la même, Lisa ! Ce qui me navre ! Bien sûr tu es sous le coup de deux douleurs immenses auxquelles on ne peut que compatir : la perte de cet enfant et surtout celle de ton père mais ces blessures-là ce n’est pas à coups de drogue qu’on les soigne. C’est en les confiant à ceux qui nous aiment… On les laisse vous envelopper de leur tendresse… et de leur amour !

— Leur amour ? fit-elle avec amertume. Si vous faites allusion à celui de cet homme il y a longtemps déjà que je l’ai perdu ! Croyez-vous que je ne sache pas ce qu’il vaut, moi qui le regarde vivre depuis des années ? Je sais tout de lui : les noms de ses maîtresses, la durée de ses liaisons…

Un discret grincement de porte se fit entendre mais aucun des trois protagonistes de la scène n’y fit attention : le notaire, un doigt sur la bouche, avait entraîné Grindel par le bras avec fermeté et l’évacuait hors de la pièce ainsi que Wegener. Lisa d’ailleurs poursuivait :

— … mais la plus dangereuse était à venir : cette Pauline Belmont qui l’aime passionnément, qui a eu le culot de me l’écrire…,

— … et de t’en demander pardon, coupa la vieille dame. Elle t’a écrit aussi qu’il ne l’aimait pas et qu’en cette malheureuse affaire de train, elle lui avait tendu un piège…

— … dans lequel il s’est laissé prendre avec bonheur !

— Non, Lisa, corrigea Aldo. Je l’ai regretté aussitôt… Je n’ai pas cessé de t’aimer !

— Et moi je ne vous aime plus ! Allez-vous-en ! Nous nous reverrons au tribunal !

Elle avait dit cela du ton qu’elle aurait pris pour congédier un domestique indélicat. La colère d’Aldo s’enflamma :

— Ne me poussez pas à bout ! Si nous devions nous retrouver devant des juges vous pourriez vous en repentir car jamais je ne permettrai que mes enfants…

— Laissez-les tranquilles, ils sont à moi !

— Croyez-vous ? Que vous ne vouliez plus être une Morosini cela vous regarde après tout mais eux le resteront… et aussi catholiques ! Comme mes pères… et le vôtre dont vous faites si bon marché ! Comment pensez-vous qu’il réagirait s’il était présent à cette heure ?

— J’ai toujours fait ce que j’ai voulu !

— Peut-être mal et il y a une fin à tout et cette fin c’est moi ! Quant à ce tribunal que vous réclamez à si grands cris, sachez bien qu’il ne confiera pas mes enfants à une malade – car vous l’êtes que vous l’admettiez ou non !… Tombée au pouvoir de je ne sais quelle drogue et en passe de devenir complètement cinglée !…

— Vous osez ?

— Oui, j’ose ! Mais, bon Dieu, regardez-vous ! Le chagrin que vous éprouvez n’explique pas tout ! À commencer par ce changement qui pourrait laisser supposer qu’il y a en vous deux femmes : celle que j’ai aimée… et que je continue à aimer avec sa beauté chaleureuse, son rire, son cœur immense, son charme que je ne reconnais plus ! Et une autre, froide, dure, butée à la limite de la stupidité… un visage de glace, des yeux vides, et j’ai grandement peur de savoir où cette femme-là est née…

— S’il vous plaît, Aldo, pria la comtesse Valérie. Un peu de pitié ! Songez à ce qu’elle a souffert !

— Mais j’y songe, grand-mère, j’y songe, soyez-en sûre ! Je connais mes fautes et j’étais prêt à tomber à ses pieds ! Aux pieds d’une Lisa blessée, douloureuse, plus proche de vous qu’auparavant alors que…