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« Si tu en as la possibilité, aide-moi à découvrir la vérité ! L’homme que l’on vient de déposer auprès de toi a été assassiné, comme toi, mais il ne peut pas être l’époux qui t’aimait tant ! Il mérite sans doute des prières mais pas l’amour qui vous unissait tous les deux ! Et tu ne le supporteras pas !… »

Lui-même avait peine à endurer le chagrin de sa belle-grand-mère qui venait d’éclater en sanglots et que Hilda von Apfelgrüne, sa nièce depuis le mariage avec Frédéric, essayait d’apaiser. Il y avait là quelque chose de vraiment tragique. Le défunt ne méritait pas les larmes de cette noble dame, si forte d’habitude, car Aldo ne l’avait jamais vue pleurer ! Mais peut-être l’état navrant de Lisa entrait-il pour une bonne part dans sa douleur ?

Comme l’assistance se dispersait pour regagner les voitures, il se rapprocha des deux femmes et, adressant un sourire d’excuse à Hilda, il prit le bras de la vieille dame et le glissa sous le sien, heureux de sentir qu’elle s’y appuyait instinctivement.

— Je vais vous raccompagner, dit-il doucement. Je connais votre courage mais cela est trop pour vous !

Elle approuva silencieusement, sortit son mouchoir afin d’essuyer ses yeux, se moucha et se redressant soudain planta son regard dans celui d’Aldo :

— Je ne sais plus qui a dit que Dieu n’envoyait jamais à l’homme plus qu’il ne pouvait supporter mais il n’a pas dû songer à la femme ! J’avoue que je me croyais plus forte mais cette mort épouvantable survenant au milieu de la crise que traverse Lisa, j’ai du mal à l’accepter. Ma petite-fille ne se ressemble plus. Parfois elle monologue, elle monologue sur toutes sortes de sujets ou alors elle reste muette pendant des heures sans qu’on puisse lui arracher une parole. Je sais que son accouchement prématuré l’a beaucoup secouée à un moment où…

— Où je l’ai gravement offensée. Je ne refuse pas mes responsabilités, grand-mère, et je conçois que vous m’en vouliez.

— Moi ? Oh non… Quel mari n’a pas, une fois dans sa vie, été infidèle au serment du mariage ? Vous avez commis une faute, sans doute, mais on s’est acharné à envenimer ce qui aurait pu n’être qu’une égratignure. Lisa a été votre secrétaire pendant deux ans et n’a rien ignoré de votre vie privée. Le principal coupable, c’est ce Grindel qui s’est attribué les ailes du sauveur, l’a enfermée dans cette affreuse clinique d’où elle nous a ramené cette Wegener dont je suis persuadée qu’elle lui a été néfaste…

— Pourquoi ne l’avez-vous pas fait mettre à la porte par le cher Joachim, votre chien de garde ? Je suis sûr qu’il aurait adoré !

L’évocation de son irascible majordome lui arracha un léger sourire :

— On dirait que la hache de guerre n’est pas encore enterrée entre vous deux ? Mais c’est vrai qu’il la déteste.

— Alors pourquoi ?

— Lisa ! Lisa elle-même qui poussait les hauts cris et jurait qu’elle partirait avec elle. Que ses soins lui étaient indispensables…

Le visage d’Aldo se durcit, le ton de sa voix aussi :

— Pardonnez-moi mais… les enfants dans cette histoire ? Mes enfants, appuya-t-il.

— Rassurez-vous ! Ils sont à Rudolfskrone dans leur « maison » et avec mon personnel qui les adore. Je les ai envoyés dès le retour de Lisa. Je ne voulais pas qu’ils voient leur mère dans l’état où on l’a mise. On leur a seulement dit qu’elle était malade et avait besoin d’un long repos… ce qui est plus vrai que jamais ! Et maintenant la mort de son père ! J’en redoute les conséquences !

— Peut-être seront-elles moins dramatiques si Frau Wegener est écartée définitivement… et je pense que c’est chose acquise ! Parlons à présent de Moritz. Évitez, je vous en supplie, toute réaction visible à ce que je vais vous confier !…

— Quoi donc ?

— Je ne suis pas certain que ce soit lui que l’on vient de porter en terre. Vidal-Pellicorne non plus…

Elle leva vers lui un regard effaré :

— Vous êtes sérieux ?

— On ne peut plus ! Peut-être avez-vous aperçu – ou peut-être pas car ils savent se faire discrets et il y avait beaucoup de monde – deux personnages assez remarquables d’ailleurs, deux hommes de haute taille en costume de voyage. Ils n’ont pas signé les registres et ne parlaient à personne… se contentant d’observer.

— Non. Qui étaient-ce ?

— Le Chief Superintendant Gordon Warren, de Scotland Yard, et le grand patron de la Sûreté française Pierre Langlois avec lesquels nous avons lié amitié, Adalbert et moi. Vous pensez bien que des hommes de cette envergure ne se déplacent pas aisément même pour une personnalité comme Kledermann.

— Et vous, comment en êtes-vous venu à… ce que vous venez de dire ?

Aldo raconta alors sa visite à l’institut médico-légal, l’impression ressentie en face de l’affreux cadavre, l’intervention de Grindel et comment il avait emporté la décision sur une « preuve irréfutable » que Lisa avait d’ailleurs confirmée par téléphone à Langlois…

— Bizarre en effet tout cela ! Et que comptez-vous faire à présent ?

— Essayer de retrouver mon beau-père et de confondre les assassins avec l’aide d’Adalbert… et de quelques autres ! Aussi ne désespérez pas, chère grand-mère !… et parlez-moi des petits ! Ils me manquent, vous savez ?

— Et vous leur manquez aussi ! Surtout aux jumeaux bien sûr ! Avec l’imagination qui commence à leur venir, ils voient en vous une sorte d’aventurier génial, un chasseur de trésors doublé d’un chevalier voué – Dieu sait pourquoi ! – à la protection de la veuve et de l’orphelin ! Antonio estime même que vous avez, cachée dans un endroit secret, une armure que vous revêtez avant de vous lancer à la chasse aux brigands. Ce qui exaspère sa mère en bonne Suissesse qui se respecte !

— Ne les détrompez pas ! Laissez-les rêver ! Et embrassez-les pour moi ! J’espère que vous allez ramener leur mère auprès d’eux ?

— Je le voudrais mais je ne sais pas quand ! Cela va dépendre un peu du testament ! Mon Dieu ! Je l’avais oublié celui-là ! Et après ce que vous venez de me dire cela paraît tellement absurde ! Enfin nous verrons bien !

— L’ouverture a lieu quand ?

— Demain après-midi, à la Résidence ! Vous avez dû recevoir une convocation ?

— Non, mais il est possible qu’elle m’attende à Paris ou à Venise si elle a été envoyée ces jours derniers… À quelle heure ?

— Trois heures ! Soyez exact ! Maître Hirchberg, le notaire, est très pointilleux là-dessus. Les portes seront fermées à trois heures cinq !

— Je n’en doute pas un seul instant !

Le souvenir qu’il gardait du notaire zurichois quand il était allé à Vienne pour la signature de son contrat de mariage avec Lisa… il y avait déjà quelques années, était celui d’un homme aussi peu récréatif que possible. Et qui n’avait pas dû beaucoup changer. De taille moyenne mais sec comme un sarment sous des cheveux poivre et sel taillés en brosse, des traits sévères, un grand nez chaussé d’un lorgnon derrière lequel il abritait la seule originalité de sa personne – des yeux vairons : un brun, un gris. Il suivait une mode qui n’avait pas bougé depuis le début du siècle : redingote noire, gilet noir barré d’une chaîne de montre grosse comme un câble d’amarrage. Sauf que la brosse grise était devenue blanche, c’était toujours le même personnage et, quand il l’avait vu pour la première fois, Aldo avait pensé qu’il était l’image même de la loi et que la robe de juge aurait dû lui convenir, mais quand le nouveau marié avait fait part de ses réflexions à celui qui devenait son beau-père, celui-ci s’était mis à rire :

— Je vous accorde qu’il n’est pas d’une franche gaieté mais il pourrait poser pour la statue de l’intégrité. Il ne badine ni avec le code ni avec l’argent des autres !

Aussi Aldo fut-il surpris quand, pénétrant dans le cabinet de travail de Moritz, maître Hirchberg lui avait serré la main avec quelque chose qui ressemblait à de la chaleur en disant :

— J’aurais préféré, prince, vous revoir en d’autres circonstances. Veuillez accepter mes condoléances attristées et prendre place !