— Chacun d’eux possède une combinaison différente, continua le notaire. Elles sont indiquées sur ce feuillet que je ne regarderai pas, ajouta-t-il en le tendant à Aldo.
Ce ne fut pas sans émotion que ce dernier pénétra dans ce lieu aussi sacré qu’un sanctuaire pour lui, dont son beau-père, un jour, lui avait fait les honneurs. Chaque détail de ce moment magique était gravé au burin dans sa mémoire. Et aussi son émerveillement devant les trésors qu’il avait découverts. Ainsi il entendait encore la voix précise de Kledermann disant, indiquant le premier coffre à main droite :
— Celui-ci renferme une partie des bijoux de la Grande Catherine et quelques joyaux russes de provenances diverses.
Aldo revoyait nettement les longs doigts manipulant les deux grosses molettes. Il l’imita, après un coup d’œil au code et commença à tourner : à droite, à gauche, encore et encore, à droite deux fois et encore à gauche. Le lourd battant s’ouvrit dévoilant une pile d’écrins dont il prit le premier frappé de l’aigle impériale russe. Il savait qu’il avait entre les mains la célèbre parure d’améthystes et de diamants de la Sémiramis du Nord…
Sa passion des pierres reprenant le dessus, il eut pour le noble écrin un geste caressant puis l’ouvrit… et, avec un cri, le lâcha comme s’il l’avait brûlé…
Il était vide.
7
Le testament
Un profond silence salua la découverte comme si chacun retenait son souffle.
Aldo se reprit le premier, saisi d’une sorte de frénésie, il sortit les écrins l’un après l’autre, les ouvrit, passa au coffre suivant pour faire la même affolante constatation. Vides ! Ils étaient tous vides !
Envolés les bracelets de Marie-Antoinette, et cet autre composé de diamants provenant du fameux collier de la Reine, envolée la parure de saphirs de la reine Hortense, envolés les nœuds de corsage de la Du Barry, envolées les fantastiques émeraudes d’Aurengzeb, le grand sautoir de la Reine Vierge, les girandoles de diamants de Marie Leczinska, le diadème de l’impératrice Eugénie, les trois diamants de Mazarin, le cimier de rubis de Charles le Téméraire et tant d’autres merveilles patiemment rassemblées par trois générations de collectionneurs aussi patients que riches…
Et soudain, Gaspard Grindel émit une sorte de gloussement :
— Ça, c’est amusant ! Voilà une collection qui ne sera pas difficile à protéger !
Il aurait été mieux inspiré de se taire. Le poing d’Aldo partit comme une catapulte et l’envoya au tapis trop étourdi pour se relever. Lisa poussa un hurlement et voulut se précipiter à son secours mais sa grand-mère la retint avec une force inattendue chez une femme que l’âge aurait dû fragiliser :
— Non, dit-elle. C’est une affaire d’hommes et tu n’as pas à t’en mêler ! D’ailleurs nous allons sortir toutes les deux si maître Hirchberg n’y voit pas d’inconvénient et n’a plus besoin de toi !
— Non, allez vous reposer ! approuva le notaire occupé à aider la « victime » à se relever avant de l’asseoir dans un fauteuil. Nous nous reverrons plus tard pour les signatures. Pour l’heure présente, la parole est à la police que nous attendrons ici après avoir refermé cette chambre forte… dont on pourrait dire qu’elle ne l’était pas tant que ça ! À moins que vous ne désiriez continuer l’inventaire des autres coffres, prince ?
Celui-ci refusa, il serait bien temps d’y procéder tout à l’heure avec les flics. On referma donc afin de débloquer la porte du bureau. Ce qui permit à Mme von Adlerstein d’emmener Lisa sur les pas de laquelle Grindel soudain ressuscité se précipita après avoir jeté un coup d’œil venimeux à son rival en lui prédisant qu’il le lui « paierait avec le reste ! ». Aldo resta seul en compagnie du notaire qui s’était emparé du téléphone.
Avisant le cabaret de laque posé sur un meuble d’appui, il l’ouvrit, prit deux verres ballons après avoir interrogé Hirchberg du regard, y versa une honnête ration de fine Napoléon hors d’âge, revint poser l’un d’eux sur le bureau, s’assit, huma un instant l’arôme exceptionnel en le réchauffant entre ses mains, en but une gorgée… et se sentit revivre. Amusé d’ailleurs de constater que le notaire se livrait au même cérémonial en y ajoutant un :
— Tudieu ! Cela réchoupille !
Puis sans lâcher son verre :
— Que pensez-vous de cette histoire ? Comment une collection de cette importance a-t-elle pu se volatiliser ? Et sans laisser de traces…
— Son importance ne fait rien à l’affaire… dès l’instant où l’on possède la clef du trésor. Et vous savez peut-être que Kledermann ne s’en séparait jamais et la portait à son cou attachée par une chaîne d’or. L’assassin n’a eu qu’à la cueillir… et venir une belle nuit se servir !
— C’est aussi mon sentiment mais il ne suffisait pas d’ouvrir la chambre forte. Les codes des coffres étaient les principaux obstacles. Et il n’est pas possible que ce soit chez moi qu’on se les soit procurés ! Le mien n’a pas été violé et vous avez pu constater que l’emballage du testament était intact.
Il avala une copieuse gorgée de cognac et Aldo comprit que lui était venue la crainte qu’on ne lui mette sur le dos une quelconque complicité.
— Personne n’en doutera, maître ! fit-il rassurant. Vous l’ignorez sans doute, mais celui que nous avons porté au tombeau hier avait peut-être été torturé. Ses mains n’étaient plus que des lambeaux. La résistance d’un homme à la douleur, même celle de mon beau-père, a ses limites. Et puis on a eu la faculté d’user de chantage en menaçant la vie de sa fille et de ses petits-enfants !
Le notaire laissa échapper un énorme soupir de soulagement… et vida son verre :
— J’ignorais cela ! En ce cas vous devez avoir raison !
— Mais bien sûr que j’ai raison !
Il trouva même un sourire pour appuyer cette affirmation mais, dans son for intérieur, la question restait entière. Que l’on eût pris la clef au cou de Moritz était plus que probable, les codes c’était différent ! Les lui avait-on arrachés d’une façon ou d’une autre ?… Si l’on acceptait cette hypothèse, pourquoi la substitution, à laquelle il croyait de plus en plus à mesure que passait le temps ?
La venue de la police apporta une diversion.
Ce fut assez bref. À l’officier qui se présenta en excusant son patron occupé ailleurs, maître Hirchberg fit le récit de ce qui venait de se passer. On rouvrit la chambre forte, puis cette fois on ouvrit tous les coffres. Pour arriver chaque fois à la même constatation navrante : la collection avait disparu, ne laissant que des écrins vides. Les policiers chargés des empreintes en emportèrent quelques-uns, photographièrent pratiquement tout dans la chambre forte, sans oublier les listes des joyaux fixées à l’intérieur de chaque coffre, ce qui permit à Aldo désolé de constater que la collection était encore plus fabuleuse qu’il ne le croyait – « sa » collection depuis peu, du moins officiellement –, ce qui le faisait trembler à la fois d’excitation et de colère. Et tandis que le travail se poursuivait, il recopia les listes avec l’aide obligeante de maître Hirchberg.
Quand ce fut fini, il déposa une plainte contre X en tant que propriétaire, après quoi les policiers se retirèrent. Aldo referma tout et mit clef et codes dans la poche intérieure de sa veste.
— Qu’allez-vous faire maintenant ? demanda le notaire.
— Dans l’immédiat rentrer à l’hôtel. Je ne crois pas que ma femme souhaite ma présence plus longtemps. Pour aujourd’hui tout au moins ! Puis-je vous poser une question avant de vous quitter ?
— Mais je vous en prie !
— La banque ? Qui va la diriger ? J’ai noté que mon beau-père avait fait don à son neveu de sa succursale française mais qu’en est-il du siège social et du reste ?
— Le Conseil d’administration demeure sous la direction du fondé de pouvoir qui va devenir directeur général. La princesse Morosini n’aura qu’une présidence honoraire. Chez nous, ajouta-t-il avec l’ombre d’un sourire, on ne saurait confier à une femme des affaires d’hommes.