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– Oh! oui, oui! s’écria Maurice. Oh! je le crois, j’ai besoin de le croire.

– Eh bien, Maurice, regardez autour de vous maintenant. Voyez trois femmes dont la vie est suspendue à votre existence, et qui vous conjurent de renaître. Songez qu’à deux d’entre elles votre vie rend le bonheur, qu’à la troisième elle épargne un remords, et dites si vous vous croyez toujours le droit de mourir.

Pendant que Fernande parlait, le malade semblait, par ses grands yeux béants, par sa bouche entr’ouverte aspirer chacun des mots qui tombaient de ses lèvres, et l’effet que cette voix produisait sur lui était immédiat et visible, chaque parole semblait, en pénétrant jusqu’au fond de son cœur, y paralyser un principe funeste. Ses nerfs, détendus comme par miracle, rendaient à ses membres roidis un peu de leur ancienne souplesse. Ses poumons oppressés se dilataient, et semblaient remplis d’un air plus pur.

Un sourire passa sur ses lèvres, doux et mélancolique encore, mais enfin le premier sourire qui y eût passé depuis bien longtemps.

Il essaya de parler; cette fois, ce fut son émotion et non sa faiblesse qui l’en empêcha.

Le docteur, enchanté de cette crise dont il avait prévu l’effet salutaire, recommanda par un signe aux différents acteurs de cette scène d’agir avec prudence.

– Mon fils, dit madame de Barthèle en se penchant vers Maurice, Clotilde et moi, nous savons tout comprendre, tout excuser.

– Maurice, ajouta Clotilde, vous entendez ce que dit votre mère, n’est-ce pas?

Fernande ne dit rien, elle poussa seulement un profond soupir.

Quant au malade, trop bouleversé pour percevoir des idées bien nettes, trop ému pour demander des explications, portant alternativement ses regards pleins de doute, de surprise et de joie, sur les trois femmes debout autour de lui, il tendit une main à sa mère, une main à Clotilde, et, tandis que toutes deux se penchaient sur lui, il échangea avec Fernande un regard où Fernande seule pouvait lire.

Le docteur, comme on le pense bien, n’était point resté spectateur indifférent de la scène qu’il avait provoquée. Il avait, au contraire, observé toutes les impressions reçues par son malade, et, voyant qu’elles autorisaient des prévisions favorables, il s’empara de la situation pour la diriger.

– Allons, mesdames, dit-il en intervenant avec une sorte d’autorité respectueuse, ne fatiguons pas Maurice, il a besoin de repos. Vous allez le laisser seul, et, après le déjeuner, vous reviendrez faire un peu de musique pour le distraire.

Une inquiétude vague se peignit alors dans le regard du malade, dont les yeux suppliants se fixèrent sur Fernande; mais, pour le rassurer indirectement, le docteur ajouta en s’adressant à madame de Barthèle et en désignant Fernande:

– Madame la baronne ordonne que l’on conduise madame dans l’appartement qui lui est destiné.

– Comment! s’écria Maurice ne pouvant retenir cette exclamation de joie.

– Oui, dit négligemment le docteur, madame vient passer quelques jours au château.

Un sourire d’étonnement et de joie éclaira les traits du malade, et le docteur continua en affectant un ton magistral:

– Allons, puisqu’on m’a constitué dictateur, il faut que chacun m’obéisse. D’ailleurs, ce n’est pas bien difficile, je ne demande que deux heures de repos.

Et, prenant une potion préparée à l’avance et la présentant à Fernande:

– Tenez, madame, dit-il, donnez ceci à notre ami. Engagez-le à ne plus se tourmenter, et dites-lui bien que nous le gronderons, que vous le gronderez, s’il n’est pas docile à toutes nos prescriptions.

Fernande prit le breuvage et le présenta au malade sans dire une seule parole; mais son sourire était si suppliant, son regard implorait avec une expression si douce, son geste était si gracieux, que le malade, si longtemps rebelle aux ordres du docteur, but en fermant ses paupières, afin de ne pas voir disparaître le prestige de cette réalité douce et incroyable comme un songe. De cette façon il put croire que Fernande était toujours près de lui, et, bercé par cette douce pensée, il ne tarda point à s’assoupir. Aussitôt qu’elles se furent assurées de son sommeil, les trois femmes, s’éloignant sur la pointe du pied, sortirent de la chambre.

Madame de Barthèle était si heureuse du succès de cette entrevue, qu’elle témoigna d’abord sa reconnaissance à Fernande avec plus d’abandon qu’il n’entrait dans son plan de le faire; mais la baronne, comme on l’a vu, était la femme du premier mouvement, et, quand ce mouvement venait du cœur, presque toujours il la conduisait trop loin.

– Mon Dieu! madame, dit-elle en sortant, que vous êtes bonne de venir nous rendre tous à l’espoir et à la vie! Mais, vous le comprenez, vous voilà engagée à ne pas nous quitter brusquement. Vous ne le pouvez pas, vous ne le devez pas. C’est un sacrifice que vous nous faites, nous le savons, en quittant pour nous Paris et ses plaisirs; mais nos soins et nos attentions sauront vous prouver au moins que nous apprécions votre générosité.

Par égard pour la femme de Maurice, dont on eût dit sans cesse que la baronne oubliait la présence, Fernande balbutia quelques paroles. Clotilde sentit son embarras et comprit sa retenue; arrivée à la porte de la chambre destinée à l’étrangère:

– Je me joins à ma mère, madame, dit-elle; accordez-nous ce que nous vous demandons, et notre reconnaissance, croyez-le bien, sera égale au service que vous nous aurez rendu.

– Je me suis mise à vos ordres, mesdames, dit Fernande; je n’ai plus de volonté, disposez donc de moi.

– Merci, dit Clotilde en prenant avec un geste plein de grâce naïve la main de Fernande.

Mais aussitôt elle tressaillit en sentant que cette main était glacée.

– Oh! mon Dieu! madame, s’écria-t-elle, qu’avez-vous donc?

– Rien, dit Fernande, et ce n’est pas pour moi qu’il faut craindre, ce n’est pas de moi qu’il faut s’occuper. Un peu de repos et de solitude m’aura bientôt remise de quelques émotions involontaires dont je vous demande bien humblement pardon.

– Mais cela se conçoit à merveille, que vous soyez émue! s’écria madame de Barthèle avec sa légèreté ordinaire. Le pauvre enfant vous aime tant, qu’il n’y a rien d’étonnant que vous l’aimiez aussi de votre côté; d’ailleurs, il suffit de vous voir pour comprendre tout.

À ces mots, madame de Barthèle s’arrêta par une réticence involontaire, afin de ménager à la fois l’orgueil naturel de sa belle-fille et la modestie de la femme à laquelle elle faisait, par une circonstance si étrange, les honneurs de sa maison.

Pendant que la scène que nous avons racontée, toute de sentiment et de vérité, se passait dans la chambre de Maurice entre le malade et les trois femmes, une scène toute de raillerie et de mensonge se passait au salon, entre M. de Montgiroux et les deux jeunes gens.