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– C’est-à-dire que nous avions dit cela d’abord pour sauver les convenances, répondit Fabien, mais, depuis vous avez appris la vérité, Fernande n’a jamais été mariée.

– En êtes-vous bien sûr? demanda madame de Barthèle.

– Certainement; d’ailleurs, elle vous l’a dit elle-même, reprit Léon.

– Elle a peut-être des raisons pour dissimuler un mariage disproportionné, dit madame de Barthèle, qui tenait à ses idées.

– Non, madame; le seul nom que l’on connaisse à la personne dont nous parlons, est Fernande.

– Elle en a cependant un autre; Fernande est un nom de baptême: quel est son nom de famille?

– Nous l’ignorons; du moins, je parle pour Fabien et moi. Interrogez M. de Montgiroux, madame, il est peut être plus savant que nous.

– Moi? s’écria le comte, qui, n’ayant pas vu venir la botte, n’avait pas eu le temps de la parer. Comment voulez vous que je sache cela?

– Mais, dit Léon, comme on sait une chose que les autres ignorent; il n’y a jamais que la moitié d’un secret dans l’obscurité. Quand vous vous êtes trouvés face à face, Fernande et vous, vous avez eu l’air de vous connaître.

– Certainement; si c’est se connaître cependant que de se rencontrer par hasard aux Bouffes, au Bois, là où tout le monde va… Je connais madame Ducoudray de vue. Mais vous voyez bien, messieurs, que vous détournez la baronne du sujet qui doit tous nous intéresser dans ce moment-ci, de Maurice.

– Eh bien, chère baronne, comment cela s’est-il passé? reprit M. de Montgiroux, certain qu’en s’adressant au cœur de la mère la conversation allait changer à l’instant même.

– À merveille, cher comte! madame Ducoudray d’abord était plus tremblante que nous. À la porte, il a fallu que nous la poussions pour la faire entrer, pauvre femme! L’effet qu’elle a produit sur Maurice, voyez-vous, a été l’effet magique. Et puis elle a chanté… Vous qui êtes un mélomane, mon cher comte, j’aurais voulu que vous entendissiez cela.

– Comment! elle a chanté? demanda M. de Montgiroux tout étonné.

– Oui, un air de Roméo et Juliette: Ombra adorata. Il paraît que c’est un air qu’elle chantait à Maurice quand Maurice lui faisait la cour; car, en entendant cet air, le pauvre enfant revenait à l’existence, comme si les sons admirables qui sortaient de la bouche de cette sirène, lui redonnaient la vie. Ah! mon cher comte, je vous déclare que je conçois qu’un jeune homme soit amoureux fou d’une pareille femme.

– Et même un vieillard, dit Léon de Vaux, qui avait juré de ne pas laisser passer une occasion de boutonner le pair de France.

– Mais, dans tout cela, je vous l’avoue, continua madame de Barthèle, ce qui m’étonne et ce que je ne comprends pas, ce que je ne comprendrai jamais, ce sont les rigueurs de cette femme pour Maurice; deux organisations si bien faites pour s’entendre! c’est incroyable.

– Mais, demanda vivement le pair de France, Maurice a donc dit que Fernande lui avait résisté?

– Eh bien, mais, si elle ne lui avait pas résisté, il me semble qu’il ne serait pas malade de désespoir.

– Pardon, madame, reprit Léon de Vaux; mais il se pourrait qu’une rupture, au contraire, eût produit l’effet que nous déplorons.

– Une rupture! et pourquoi aurait-elle rompu avec mon fils? Où aurait-elle trouvé mieux que lui? Je vous le demande.

– Vous avez raison, madame; mais toutes les liaisons ne se font pas par le cœur; il y en a qui sont dirigées par le calcul.

– Le calcul, fi donc!… Oh! monsieur, vous ne connaissez pas madame Ducoudray, si vous pensez que le calcul… Tenez, moi, je ne l’ai vue que depuis une heure, eh bien, j’en répondrais comme de moi-même. Madame Ducoudray une femme intéressée? Jamais, monsieur, jamais.

– Enfin, ce qu’il y a de certain, madame la baronne, reprit Léon de Vaux, c’est que Maurice a été cruellement repoussé, et repoussé au moment où commençait une intimité nouvelle. Maintenant, les probabilités sont que son successeur aura exigé une rupture.

– Et quel est ce successeur tout-puissant? demanda madame de Barthèle.

– Ah! dame! qui sait cela? reprit Léon. Le sais-tu, Fabien? Le savez-vous, monsieur le comte?

– Comment voulez-vous que je sache de pareilles choses, monsieur?

– En tout cas, si les choses se sont passées comme vous le dites, cela prouve de la conscience de sa part. Bien des femmes de la classe à laquelle vous prétendez qu’elle appartient, auraient promis et n’auraient pas tenu.

– Oui, oui, dit Léon, cela se fait quelquefois en amour, et même en politique, n’est-ce pas, monsieur le comte?

– Laissons continuer madame de Barthèle, répondit le pair de France.

– Eh bien, quand elle a eu chanté, et d’une façon adorable, je dois le dire, elle s’est approchée du lit. Alors mon fils, ravi de la revoir et d’apprendre qu’elle consent à rester ici…

– Comment! sérieusement elle reste? demanda le comte de Montgiroux avec inquiétude.

– Oui, monsieur; si sérieusement, que nous l’avons conduite à son appartement.

– Quoi! madame, elle restera ici, dans cette maison?

– Et où voulez-vous qu’elle aille? à l’auberge?

– Sous le même toit que Maurice?

– Puisque c’est elle qui doit le guérir.

– Le guérir, le guérir! s’écria le pair de France.

– Oui, monsieur, le guérir. Je n’ai qu’un fils, et j’y tiens.

– Mais ma nièce, madame? mais Clotilde?

– Clotilde n’a qu’un mari, et elle doit y tenir.

– Mais, madame, songez donc au monde; le monde, que dira-t-il?

– Le monde dira ce qu’il voudra, monsieur. Ce n’est pas du monde que mon fils est amoureux; ce n’est pas le monde qui lui chantera l’air Ombra adorata. Le docteur n’a pas mis dans son ordonnance qu’on lui amènerait le monde.

Sans doute, la discussion allait devenir plus vive entre le comte et madame de Barthèle, lorsque le bruit d’une voiture se fit entendre, et, avant qu’on eût le temps de regarder qui arrivait et de donner des ordres pour ne pas recevoir, un valet ouvrit la porte et annonça madame de Neuilly.

Ce nom, qui semblait répondre aux craintes de M. de Montgiroux à l’instant même où il les exprimait, fit pâlir madame de Barthèle. Le comte lui-même parut on ne peut plus contrarié; mais madame de Neuilly était une parente, et il était trop tard maintenant pour ne pas la recevoir.