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L'aurore meurt et renaît. Mais le petit Chaperon rouge meurt pour ne plus revenir. Elle eut tort de cueillir des noisettes et d'écouter le loup; toutefois est-ce une raison pour qu'elle soit mangée sans miséricorde? Ne vaudrait-il pas mieux qu'elle sortît du ventre de la bête, comme l'aurore de la nuit?

Raymond

Votre pitié, cousine, est pleine d'esprit. La mort du petit Chaperon rouge ne peut être définitive. La Mère l'Oie n'avait pas bien retenu la fin du conte.

On peut bien oublier quelque chose à son âge.

Mais les aïeules d'Allemagne et d'Angleterre savent bien que le Chaperon rouge meurt et renaît comme l'aurore.

Elles content qu'un chasseur ouvrit le ventre de la bête et en tira l'enfant rose, qui ouvrit de grands yeux et dit:

«Oh! que j'ai eu de frayeur et qu'il faisait noir là-dedans!» Je feuilletais tantôt, dans la chambre de votre fille, un de ces cahiers d'images en couleurs que l'Anglais Walter Crane enlumine avec tant de fantaisie et d'humour. Ce gentleman a l'imagination à la fois savante et familière; i la le sens des légendes et l'amour de la vie; il respecte le passé et goûte le présent. C'est l'esprit anglais. Le cahier que je feuilletais contient le texte et les dessins du Little Red Riding Hood (Le Petit Chaperon rouge de l'Angleterre).

Le loup l'avale; mais un gentleman farmer, en habit vert, culotte jaune et bottes à revers, loge une balle entre les deux yeux luisants du loup, ouvre avec son couteau de chasse le ventre de la bête, et l'enfant en sort, fraîche comme une rose.

Some sportsman (he certainly was a dead shot)

Had aimed at the Wolfwhen she cried;

So Red Riding Hood got sale home did she not?

And lived happily there till she died.

Voilà la vérité, cousine, et vous l'aviez devinée.

Quant à La Belle au bois dormant, dont l'aventure est d'une poésie naïve et profonde…

Octave

C'est l'aurore!

Raymond

Non. La Belle au bois dormant, Le Chat botté et Le Petit Poucet se rattachent à une autre classe de légendes aryennes, à celles qui symbolisent la lutte entre l'hiver et l'été, le renouvellement de la nature, l'éternelle aventure de l'Adonis universel, de cette rose du monde qui se flétrit et refleurit sans cesse. La Belle au bois dormant n'est autre qu'Astéria, claire sœur de Latone, que Cora et que Proserpine. L'imagination populaire fut bien inspirée en donnant à la lumière la forme de ce que la lumière caresse le plus amoureusement sur la terre, la forme d'une belle jeune fille. Pour ma part, j'aime la princesse du bois dormant à l'égal de l'Eurydice de Virgile et de la Brunhild de l'Edda qui, piquées, l'une par un serpent, l'autre par une épine, sont ramenées de l'ombre éternelle, la Grecque par un poète, la Scandinave par un guerrier, tous deux amoureux.

C'est le sort commun des héros lumineux des mythes de s'évanouir à l'atteinte d'un objet aigu, épine, griffe ou fuseau. Dans une légende du Dekan, recueillie par Miss Frere, une petite fille se pique à l'ongle qu'une Rakchasa a laissé dans une porte; aussitôt elle tombe inanimée. Un roi passe, l'embrasse et la réchauffe. Le propre de ces drames de l'hiver et de l'été, de l'ombre et de la lumière, de la nuit et du jour est de recommencer sans cesse. Le conte rapporté par Perrault recommence quand on le croit fini. La Belle épouse le prince et a de ce mariage deux enfants, le petit Jour et la petite Aurore, l'Aithra et l'Héméros d'Hésiode, ou, si vous voulez, Phoebus et Artémis. En l'absence du prince, sa mère, une ogresse, une Rakchasa, c'est-à-dire l'épouvante nocturne, menace de dévorer les deux enfants royaux, les deux jeunes lumières, que sauve le retour du roi soleil. La Belle au bois dormant a, dans l'ouest de la France, une sœur rustique dont l'histoire est contée naïvement dans une très vieille chanson que je vais vous dire:

Quand j'étais chez mon père,

Guenillon,

Petite jeune fille,

Il m'envoyait au bois,

Guenillon,

Pour cueillir la nouzille,

Ah! Ah! Ah! Ah! Ah!

Guenillon, Saute en guenille.

Il m'envoyait au bois

Pour cueillir la nouzille!

Le bois était trop haut,

La belle trop petite…

Le bois était trop haut,

La belle trop petite.

Elle se mit en main

Une tant verte épine…

Elle se mit en main

Une tant verte épine,

À la douleur du doigt

La bell' s'est endormie…

À la douleur du doigt,

La bell' s'est endormie…

Et au chemin passa

Trois cavaliers bons drilles…

Et le premier des trois

Dit: «Je vois une fille.»

Et le second des trois

Dit: «Elle est endormie.»

Et le second des trois,

Guenillon,

Dit: «Elle est endormie.»

Et le dernier des trois,

Guenillon, Dit:

«Ell' sera ma mie.»

Ah! ah! ah! ah! ah!

Guenillon,

Saute en guenille.

Ici la légende divine est tombée au dernier étage de la dégradation, et il serait impossible, si les intermédiaires manquaient, de reconnaître en cette rustique Guenillon la lumière céleste qui languit pendant l'hiver et se ranime au printemps. L'épopée de la Perse, le Schahnameh, nous fait connaître un héros dont la destinée ressemble à celle de la Belle au bois dormant. Isfendiar, qui ne peut être blessé par aucune épée, doit mourir d'une épine qui l'atteindra dans l'œil. L'histoire de Balder, dans l'Edda scandinave, présente avec cette Belle au bois dormant des analogies encore plus saisissantes.

Comme les fées au berceau de la fille du roi, tous les dieux devant le divin enfant Balder jurent de rendre inoffensif pour lui tout ce qui est sur la terre. Mais le gui, qui ne croît pas sur le sol, a été oublié par les immortels comme, par le roi et la reine, la vieille qui filait au faîte de leur tour. Un fuseau pique la belle; une branche de gui tue Balder.

«Ainsi, par terre, gît Balder, mort, et tout autour gisent, amoncelés, glaives, torches, javelots et lances que, pour s'amuser, les dieux avaient jetés sans effet contre Balder, que ne perçait et n'entamait aucune arme; mais dans sa poitrine était enfoncée la fatale branche de gui, que Lok, l'accusateur, donna à Hoder, et que Hoder lança sans pensée mauvaise.»

Laure

Tout cela est fort beau; mais n'avez-vous rien à nous dire de la petite chienne Pouffe qui était sur le lit de la princesse? Je lui trouve un air galant: Pouffe fut élevée sur les genoux des marquises, et je m'imagine que madame de Sévigné la caressa de ces mains qui écrivirent des lettres si belles.

Raymond

Pour vous être agréable, nous donnerons à la petite chienne Pouffe des aïeux célestes; ou ferons remonter sa race à Saramâ, la chienne en quête de l'aurore, et au chien Seirios, gardien des étoiles. voilà, si je ne me trompe, une belle noblesse. Il ne reste plus à Pouffe qu'à faire la preuve de ses quartiers pour être admise comme chanoinesse au chapitre d'un Remiremont-Canin. Un d'Hozier à quatre pattes aurait seul autorité pour établir cette filiation. Je me contenterai d'indiquer un des rameaux de ce grand arbre généalogique. Branche finlandaise: le petit chien Flô, à qui sa maîtresse dit par trois fois: