Le moindre petit livre qui inspire une idée poétique, qui suggère un beau sentiment, qui remue l'âme enfin, vaut infiniment mieux, pour l'enfance et pour la jeunesse, que tous vos bouquins bourrés de notions mécaniques.
Il faut des contes aux petits et aux grands enfants, de beaux contes en vers ou en prose, des écrits qui nous donnent à rire ou à pleurer, et qui nous mettent dans l'enchantement.
Je reçois aujourd'hui même, avec bien du plaisir, un livre qui s'appelle Le Monde enchanté, et qui contient une douzaine de contes de fées.
L'aimable et savant homme qui les a réunis, M. de Lescure, montre, dans sa préface, à quel besoin éternel de l'âme répond la féerie.
«Le besoin, dit-il, d'oublier la terre, la réalité, leurs déceptions, leurs affronts, si durs aux âmes fières, leurs chocs brutaux, si douloureux aux sensibilités délicates, est un besoin universel. Le rêve, plus que le rire, distingue l'homme des animaux et établit sa supériorité.»
Eh bien, ce besoin de rêver, l'enfant l'éprouve. Il sent son imagination qui travaille, et c'est pour cela qu'il veut des contes.
Les conteurs refont le monde à leur manière et ils donnent aux faibles, aux simples, aux petits, l'occasion de le refaire à la leur. Aussi ont-ils l'influence la plus sympathique. Ils aident à imaginer, à sentir, à aimer.
Et ne craignez point qu'ils trompent l'enfant en peuplant son esprit de nains ou de fées. L'enfant sait bien que la vie n'a point de ces apparitions charmantes. C'est votre science amusante qui le trompe; c'est elle qui sème des erreurs difficiles à corriger. Les petits garçons qui n'ont point de défiance se figurent, sur la foi de M. Verne, qu'on va en obus dans la lune et qu'un organisme peut se soustraire sans dommage aux lois de la pesanteur.
Ces caricatures de la noble science des espaces célestes, de l'antique et vénérable astronomie sont sans vérité comme sans beauté.
Quel profit tirent les enfants d'une science sans méthode, d'une littérature faussement pratique qui ne parle ni à l'intelligence ni au sentiment?
Il faudrait en revenir aux belles légendes à poésie des poètes et des peuples, à tout ce qui donne le frisson du beau.
Hélas! notre société est pleine de pharmaciens qui craignent l'imagination. Et ils ont bien tort. C'est elle, avec ses mensonges, qui sème toute beauté et toute vertu dans le monde. On n'est grand que par elle. O mères! n'ayez pas peur qu'elle perde vos enfants: elle les gardera, au contraire, des fautes vulgaires et des erreurs faciles.
II DIALOGUE SUR LES CONTES DE FÉES LAURE, OCTAVE, RAYMOND
Laure
La bande de pourpre qui barrait le couchant a pâli et l'horizon s'est teint d'une lueur orangée, au-dessus de laquelle le ciel est d'un vert très pâle, voici la première étoile; elle est toute blanche et elle tremble… Mais j'en découvre une autre et une autre encore, et tout à l'heure on ne pourra plus les compter. Les arbres du parc sont noirs et semblent agrandis. Ce petit chemin, qui descend là-bas entre des haies d'épines et dont je connais tous les cailloux, me paraît, à l'heure qu'il est, profond, aventureux et mystérieux, et je m'imagine, malgré moi, qu'il mène dans des contrées semblables à celles qu'on voit dans les rêves. La belle nuit! et comme il est bon de respirer! Je vous écoute, mon cousin; parlez-nous des contes de fées, puisque vous avez tant de choses curieuses à nous en dire. Mais, de grâce, ne me les gâtez pas. Je vous préviens que je les adore. C'est à ce point que j'en veux un petit peu à ma fille, qui me demande si les ogres et les fées, «c'est vrai».
Raymond
C'est un enfant du siècle. Le doute lui pousse avant les dents de sagesse. Je ne suis pas de l'école de cette philosophe en jupe courte, et je crois aux fées. Les fées existent, cousine, puisque les hommes les ont faites. Tout ce qu on imagine est réel: il n'y a même que cela qui soit réel. Si un vieux moine venait me dire: «J'ai vu le Diable; il a une queue et des cornes», je répondrais à ce vieux moine:
«Mon père, en admettant que, par hasard, le Diable n'existât pas, vous l'avez créé; maintenant, à coup sûr, il existe.
Gardez-vous-en!» Cousine, croyez aux fées, aux ogres et au reste.
Laure
Parlons des fées, et laissons le reste. vous nous disiez tantôt que des savants s'occupent de nos contes bleus. Je vous le répète, j'ai une peur affreuse qu'ils ne me les gâtent.
Tirer le petit Chaperon rouge de la «nursery» pour le mener à l'Institut! Imagine-t-on cela!
Octave
Je croyais les savants d'aujourd'hui plus dédaigneux; mais je vois que vous êtes bons princes et que vous ne méprisez pas des récits parfaitement absurdes et d'une extrême puérilité.
Laure
Les contes de fées sont absurdes et puérils, cela est sûr.
Mais j'ai bien de la peine à en convenir, tant je les trouve jolis.
Raymond
Convenez-en, cousine, convenez-en sans crainte. L'Iliade est enfantine aussi, et c'est le plus beau poème qu'on puisse lire. La poésie la plus pure est celle des peuples enfants. Les peuples sont comme le rossignol de la chanson: ils chantent bien tant qu'ils ont le cœur gai. En vieillissant, ils deviennent graves, savants, soucieux, et leurs meilleurs poètes ne sont plus que des rhéteurs magnifiques. Certes, La Belle au bois dormant est chose puérile.
C'est ce qui la fait ressembler à un chant de l'Odyssée. Cette belle simplicité, cette divine ignorance du premier âge qu'on ne retrouve pas dans les ouvrages littéraires des époques classiques, est conservée en fleur avec son parfum dans les contes et les chansons populaires. Ajoutons bien vite, comme Octave, que ces contes sont absurdes. S'ils n'étaient pas absurdes, ils ne seraient pas charmants.
Dites-vous bien que les choses absurdes sont les seules agréables, les seules belles, les seules qui donnent de la grâce à la vie et qui nous empêchent de mourir d'ennui. Un poème, une statue, un tableau raisonnables feraient bâiller tous les hommes, même les hommes raisonnables. Tenez, cousine, ces volants à votre jupe, ces plissés, ces bouillons, ces nœuds, tout ce jeu d'étoffes est absurde, et c'est délicieux. Je vous en fais mon compliment.
Laure
Ne parlez point chiffons; vous n'y entendez rien. Je vous accorde qu'il ne faut pas être trop uniment raisonnable en art. Mais dans la vie…
Raymond
Il n'y a de beau dans la vie que les passions, et les passions sont absurdes. La plus belle de toutes est la plus déraisonnable de toutes: c'est l'amour. Il y a une passion moins absurde que les autres, c'est l'avarice; aussi est-elle effroyablement laide. «Les fous seuls m'amusent», disait Dickens. Malheur à qui ne ressemble pas quelquefois à don Quichotte et ne prit jamais des moulins à vent pour des géants! Ce magnanime don Quichotte était son propre enchanteur. Il égalait la nature à son âme.