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La jeune duchesse songeait à une séparation quand elle mourut en donnant le jour à un garçon, qui fut baptisé sous les noms de Anne-Marie-Martial.

Cette mort ne désola pas le duc de Sairmeuse.

Il se retrouvait libre et plus riche qu’il ne l’avait jamais été.

Dès que les convenances le lui permirent, il confia son fils à une parente de sa femme et se remit à courir le monde.

La renommée disait vrai: Il s’était battu, et furieusement, contre la France, tantôt dans les rangs Autrichiens, tantôt dans les rangs Russes.

Et jarnibieu! – c’était un de ses jurons, – il ne s’en cachait guère, disant qu’en cela, il n’avait fait que strictement son devoir. Il estimait bien et loyalement gagné le grade de général que lui avait conféré sur le champ de bataille l’empereur de Russie.

On ne l’avait pas vu, lors de la première Restauration, mais son absence avait été bien involontaire. Son beau-père, lord Holland, venait de mourir, et il avait été retenu à Londres par les embarras d’une immense succession.

Les Cent-Jours l’avaient exaspéré.

Mais «la bonne cause,» ainsi qu’il disait, triomphant de nouveau, il se hâtait d’accourir.

Hélas! Lacheneur soupçonnait bien les véritables sentiments de son ancien maître, quand il se débattait sous les obsessions de sa fille.

Lui qui avait été obligé de se cacher en 1814, il savait bien que les «revenants» n’avaient rien appris ni rien oublié.

Le duc de Sairmeuse était comme les autres.

Cet homme qui avait tant vu n’avait rien retenu.

Il pensait, et rien n’était si tristement grotesque, qu’il suffisait d’un acte de sa volonté pour supprimer net tous les événements de la Révolution et de l’Empire.

Quand il avait dit: «Je ne reconnais pas tout ça!…» il s’imaginait, de la meilleure foi du monde, que tout était dit, que c’était fini, que ce qui avait été n’était pas.

Et si quelques-uns de ceux qui avaient vu Louis XVIII à l’œuvre en 1814, lui affirmaient que la France avait quelque peu changé depuis 1789, il répondait en haussant les épaules:

– Bast!… nous nous montrerons, et tous ces coquins dont la rébellion nous a surpris rentreront dans l’ombre.

C’était bien là, sérieusement, son opinion.

Tout le long de la route accidentée qui conduit de Montaignac à Sairmeuse, le duc, confortablement établi dans le fond de sa berline de voyage, développait ses plans à son fils Martial.

– Le roi a été mal conseillé, marquis, concluait-il, sans compter que je le soupçonne d’incliner plus qu’il ne conviendrait vers les idées jacobines, S’il m’en croyait, il profiterait, pour faire rentrer tout le monde dans le devoir, des douze cent mille soldats que nos amis les alliés ont mis à sa disposition. Douze cent mille baïonnettes ont un peu plus d’éloquence que les articles d’une charte.

C’est seulement lorsque la voiture approcha de Sairmeuse, qu’il s’interrompit.

Il était ému, lui, si peu accessible à l’émotion, en se sentant dans ce pays où il était né, où il avait joué enfant, et dont il n’avait pas eu de nouvelles depuis la mort de sa tante.

Tout avait bien changé, mais les grandes lignes du paysage étaient restées les mêmes, les coteaux avaient gardé leurs ombrages, la vallée de l’Oiselle était toujours riante comme autrefois.

– Je me reconnais, marquis, disait-il avec un plaisir qui lui faisait oublier ses graves préoccupations, je me reconnais!…

Bientôt les changements devinrent plus frappants.

La voiture entrait dans Sairmeuse, et cahotait sur les pavés de la rue unique du village.

Cette rue, autrefois, c’était un chemin qui devenait impraticable dès qu’il pleuvait.

– Eh! eh!… murmura le duc, c’est un progrès, cela!…

Il ne tarda pas à en remarquer d’autres.

Là où il n’y avait jadis que de tristes et humides masures couvertes de chaume, il voyait maintenant des maisons blanches, coquettes et enviables avec leurs contrevents verts, et leur vigne courant au-dessus de la porte.

Bientôt il aperçut la mairie, une vilaine construction toute neuve, visant au monument, avec ses quatre colonnes et son fronton.

– Jarnibieu!… s’écria-t-il, pris d’inquiétude, les coquins sont capables d’avoir bâti tout cela avec les pierres de notre château!…

Mais la berline longeait alors la place de l’Église, et Martial observait les groupes qui s’y agitaient.

– Que pensez-vous de tous ces paysans, monsieur le duc? demanda-t-il à son père, leur trouvez-vous la mine de gens qui préparent une triomphante réception à leur ancien maître?

M. de Sairmeuse haussa les épaules. Il n’était pas homme à renoncer pour si peu à une illusion.

– Ils ne savent pas que je suis dans cette chaise de poste, répondit-il. Quand ils le sauront…

Des cris de «Vive M. le duc de Sairmeuse!» lui coupèrent la parole.

– Vous entendez, marquis? fit-il.

Et tout heureux des cris qui lui donnaient raison, il se pencha à la portière de la voiture, saluant de la main l’honnête famille Chupin, qui courait et criait.

Le vieux maraudeur, sa femme et ses fils, avaient des voix formidables, et il ne tint qu’à M. de Sairmeuse de croire que le pays entier l’acclamait. Il le crut, et lorsque la berline s’arrêta devant la porte du presbytère, il était bien persuadé que le prestige de la noblesse était plus grand que jamais.

Sur le seuil de la cure, Bibiane, la vieille gouvernante, se tenait debout. Elle savait déjà quels hôtes arrivaient à son maître, car la servante du curé est toujours et partout la mieux informée.

– Monsieur le curé n’est pas revenu de l’église, répondit-elle aux questions du duc; mais si ces messieurs veulent entrer l’attendre, il ne tardera pas à arriver, car il n’a pas déjeuné le pauvre cher homme…

– Entrons!… dit le duc à son fils.

Et guidés par la gouvernante, ils pénétrèrent dans une sorte de salon, où une table était dressée.

D’un coup d’œil, M. de Sairmeuse inventoria cette pièce. Les habitudes de la maison devaient lui dire celles du maître. Elle était propre, pauvre et nue. Les murs étaient blanchis à la chaux; une douzaine de chaises composaient tout le mobilier; sur la table, d’une simplicité monastique, il n’y avait que des couverts d’étain.

Ce logis était celui d’un ambitieux ou d’un saint.

– Ces messieurs prendraient peut-être quelque chose? demanda Bibiane.