Изменить стиль страницы

Mai n’était pas bien loin.

Il s’en allait le plus paisiblement du monde, les mains dans ses poches, la tête haute et la mine assurée.

Avait-il réfléchi qu’il est très dangereux de courir aux environs d’une prison dont on vient de s’enfuir? Ne se disait-il pas plutôt que si on l’avait laissé s’évader, ce n’était pas, à coup sur, pour le reprendre tout de suite?

Bientôt il fut clair que cette dernière considération dictait seule sa conduite, et qu’il s’estimait fort en sûreté, tout en sachant bien qu’il devait être surveillé.

Il ne se hâta nullement, lorsqu’il eût dépassé le pont au Change, et c’est du même train insolemment tranquille d’un promeneur, qu’il suivit le quai aux Fleurs et s’engagea dans la rue de la Cité.

Rien de suspect en lui ne trahissait le prisonnier évadé. Depuis que sa malle, – cette fameuse malle qu’il prétendait avoir déposée à l’hôtel de Mariembourg, – lui avait été rendue, il ne manquait jamais, quand il allait à l’instruction, de mettre ses plus beaux effets.

Il portait, ce jour-là, une redingote, un gilet et un pantalon de drap noir. On devait, en le voyant passer, le prendre pour un ouvrier aisé, endimanché en l’honneur de la Saint-Lundi.

Mais lorsqu’après avoir passé la Seine il arriva rue Saint-Jacques, ses allures changèrent.

Il parut s’orienter en homme qui ne se reconnaît plus dans un quartier qui lui était autrefois familier. Sa marche, parfaitement sûre jusqu’alors, devint indécise. Il avançait maintenant le nez en l’air, regardant de droite et de gauche, épiant les enseignes.

– Évidemment il cherche quelque chose, pensait Lecoq, mais quoi?…

Il ne tarda pas à le savoir. Une boutique de marchand de vieux habits s’étant rencontrée, Mai y entra avec un empressement visible.

– Eh! eh!… murmura le jeune policier, je parierais volontiers que ce soi-disant saltimbanque a été étudiant, et qu’il lui est arrivé de vendre par ici le superflu de sa garde-robe pour aller danser à la Chaumière…

Il s’était réfugié en face, sous une porte cochère, et semblait fort occupé à allumer une cigarette. Le père Absinthe crut pouvoir s’approcher sans inconvénient.

– Eh bien!… monsieur Lecoq, dit-il, voici notre homme en train de troquer ses habits de drap contre des vêtements grossiers. Il demandera du retour, on lui en donnera. Vous qui me disiez ce matin: «Mai sans le sou…, c’est la plus belle carte de notre jeu!»

– Bast! avant de nous désoler, attendons. Qui nous dit qu’on va lui donner de l’argent? Les marchands d’habits n’achètent guère aux passants que sous la condition d’aller les payer à domicile.

Le père Absinthe, là-dessus, s’éloigna. Il se payait de ces raisons, mais non Lecoq, qui les lui donnait.

Au dedans de lui, le jeune policier s’adressait les injures les plus fortes.

Encore une étourderie, une faute, une arme laissée aux mains de l’ennemi.

Comment lui, qui se croyait si ingénieux, n’avait-il pas su prévoir ce qui arrivait? Il était si facile de ne laisser en possession du prévenu que ses misérables loques de prison!

Son repentir fut moins cuisant, quand il vit Mai sortir de la boutique comme il y était entré. La chance, dont il avait parlé au père Absinthe sans y croire, se décidait en sa faveur.

Le prévenu chancelait aux premiers pas qu’il fit dans la rue. Son visage trahissait l’angoisse suprême du noyé qui sent s’enfoncer la frêle planche sur laquelle il fondait son seul espoir de salut.

Mais que s’était-il passé? Lecoq voulait le savoir.

Il modula d’une certaine façon un vigoureux coup de sifflet, signal convenu pour avertir son compagnon qu’il lui abandonnait la poursuite, et un coup de sifflet pareil lui ayant répondu, il entra dans la boutique.

Le marchand d’habits était encore à son comptoir. Lecoq ne s’amusa pas à parlementer. Il exhiba sa carte, preuve de sa profession, et d’un ton bref demanda des renseignements.

– Que voulait l’homme qui sort d’ici?…

Le négociant parut se troubler.

– C’est tout une histoire, balbutia-t-il.

– Contez-la-moi! ordonna Lecoq, surpris de l’embarras de cet homme.

– Oh! c’est bien simple. Il y a une douzaine de jours de cela, je vois entrer ici un individu, portant un paquet sous le bras, qui demande à me parler de la part d’un de mes «pays,» qu’il me nomme.

– Vous êtes Alsacien?

– Oui, monsieur!… Pour lors, je vais avec ce particulier chez le marchand de vins du coin, il demande une bouteille de supérieur, et quand nous avons trinqué, il me demande si je veux consentir à garder chez moi le paquet qu’il porte, jusqu’à ce qu’un de ses cousins vienne me le réclamer. Crainte d’erreur, ce cousin devait me dire certaines paroles de reconnaissance, un mot de passe, quoi! Moi je refuse net. Justement le mois passé j’ai failli me trouver pris dans une affaire de recel pour une obligeance pareille! Non, jamais vous n’avez vu d’homme si surpris, ni si vexé. Ah! je peux dire qu’il a tout fait pour me décider, il a été jusqu’à me promettre une bonne somme pour ma peine… Tout cela ne faisait qu’augmenter ma défiance, et j’ai tenu bon…

Il s’arrêta pour reprendre haleine, mais Lecoq était sur des charbons ardents.

– Et après?… insista-t-il durement.

– Après? Dame! Cet individu a payé la bouteille et est parti. J’avais oublié cela, quand tout à l’heure, entre un autre particulier qui me demande si je n’ai pas pour lui un paquet déposé par un de ses cousins, et qui tout de suite se met à bredouiller une phrase, le mot d’ordre, sans doute. Quand j’ai répondu que je n’avais rien, il est devenu blanc comme un linge, et j’ai cru qu’il s’évanouissait. Tous mes doutes me sont revenus. Aussi, quand il m’a proposé d’acheter ses vêtements… bernique!

Tout cela était fort clair.

– Et comment était ce cousin d’il y a quinze jours? demanda le jeune policier.

– C’était un homme d’assez forte corpulence, un bon gros rougeaud, avec des favoris blancs. Ah! je le reconnaîtrais bien.

– Le complice! exclama Lecoq.

– Vous dites?

– Rien qui vous intéresse. Merci!… je suis pressé, vous me reverrez, salut!…

Lecoq n’était pas resté cinq minutes chez le marchand d’habits; pourtant, lorsqu’il sortit, Mai et le père Absinthe avaient disparu.

Mais il n’y avait rien là d’inquiétant.

Lorsqu’il avait arrêté avec son vieux collègue le plan de cette chasse à l’homme à travers Paris, le jeune policier s’était évertué à en imaginer toutes les difficultés afin de les résoudre à l’avance.