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Un fiacre vide arrivait au pas, il y monta en commandant au cocher de le conduire à la gare du Nord, par le plus court, et vite.

Il se voyait bien juste le temps de préparer sa mise en scène. Aussi profita-t-il de la route pour payer le cocher et chercher dans son portefeuille, entre toutes les pièces que lui avait confiées M. Segmuller, la pièce dont il allait avoir besoin.

La voiture n’était pas encore arrêtée devant le chemin de fer que Lecoq était à terre. Il courut tout d’un trait à l’hôtel.

Comme la première fois, il trouva la blonde Mme Milner, grimpée sur une chaise devant la cage de son sansonnet, lui serinant obstinément sa phrase allemande, à laquelle l’oiseau répondait avec une obstination égale: «Camille!… où est Camille?»

À l’aspect du garnement qui pénétrait dans son hôtel, la jolie veuve ne daigna pas se déranger.

– Qu’est-ce que vous désirez? demanda-t-elle d’un ton peu encourageant.

Lecoq saluait tant qu’il pouvait, s’efforçant de rehausser par son maintien son déplorable accoutrement.

– Je suis, madame, répondit-il, le propre neveu d’un huissier du Palais de Justice. Étant allé visiter mon oncle, ce tantôt, vu que je suis sans ouvrage, je l’ai trouvé tout perclus de rhumatismes, et il m’a prié de vous apporter ce papier à sa place… C’est une citation pour vous rendre immédiatement près du juge d’instruction.

Cette réponse eut la vertu de décider Mme Milner à abandonner sa chaise. Elle prit le papier et lut… C’était bien ce que lui annonçait ce singulier commissionnaire.

– C’est bien, répondit-elle, le temps de jeter un châle sur mes épaules, et j’obéis…

Lecoq se retira à reculons, la bouche en cœur, saluant toujours… mais il n’avait pas dépassé le seuil, que déjà une grimace significative trahissait son intime satisfaction.

Il venait de rendre à la blonde veuve la monnaie de sa pièce. Elle l’avait dupé, il la jouait.

Le coup était monté. Il traversa la chaussée, et, avisant au coin de la rue de Saint-Quentin une maison en construction, il s’y cacha, attendant…

– «Le temps de passer un châle et un chapeau, et je pars!»

Ainsi avait dit Mme Milner au jeune policier.

Mais elle avait quarante ans sonnés, elle était veuve, blonde, très agréable encore, de l’aveu du commissaire de police de son quartier… Il lui fallut plus de dix minutes pour nouer négligemment les brides de son chapeau de velours gros bleu.

Lecoq, au milieu de ses plâtras, sentait des sueurs perler le long de son échine à l’idée que Mai pouvait arriver d’un instant à l’autre.

Combien avait-il d’avance sur lui?… Une demi-heure peut-être, et encore!… Et il n’avait accompli que la moitié de sa tâche.

Chaque ombre qui apparaissait au coin de la rue Saint-Quentin, du côté de la rue Lafayette, lui donnait le frisson.

Enfin la coquette hôtelière apparut, toute pimpante par cette belle journée de printemps.

Elle tenait sans doute à réparer le temps perdu à sa toilette, car c’est presque en courant qu’elle gagna le bout de la rue.

Dès qu’elle eut disparu, le jeune policier bondit hors de sa cachette, et entra comme une trombe à l’hôtel de Mariembourg.

Fritz, le garçon bavarois, avait dû être prévenu que la maison allait rester sous sa seule garde, pendant quelques heures, et… il gardait.

Il s’était bien et commodément établi dans le propre fauteuil de sa patronne, les jambes allongées sur une chaise, et déjà il dormait presque.

– Debout!… lui cria Lecoq, debout!

À cette voix qui avait l’éclat des trompettes, Fritz se dressa tout effaré.

– Tu vois, poursuivit le jeune policier en lui montrant sa carte, je suis un agent de la Préfecture de police… Si tu veux éviter toutes sortes de désagréments, dont le moindre serait une promenade au Dépôt, il faut m’obéir.

Le vigilant garçon tremblait de tous ses membres.

– J’obéirai, bégaya-t-il… Mais que dois-je faire?

– Peu de chose. Un homme va se présenter ici, à la minute; tu le reconnaîtras à ses vêtements noirs et à sa longue barbe; il s’agit de lui répondre ce que je vais te dire, mot pour mot. Et songe qu’une erreur, même involontaire, te mènerait loin.

– Comptez sur moi, monsieur, dit Fritz, j’ai une mémoire excellente…

La seule perspective de la prison l’avait terrifié; il parlait dans la sincérité de son âme; on pouvait tout obtenir de lui.

Lecoq profita de ces dispositions, et avec la concision et la clarté dont il avait le secret, il expliqua au garçon d’hôtel ce qu’il voulait.

Il s’exprimait d’ailleurs d’un ton à faire pénétrer sa volonté dans l’esprit le plus rebelle, aussi sûrement qu’un marteau enfonce un clou dans une planche.

Lorsqu’il eut achevé ses explications:

– Maintenant, ajouta-t-il, je veux voir et entendre!… Où puis-je me cacher?

Fritz lui montra une porte vitrée.

– Dans le cabinet noir que voici, monsieur l’agent, répondit-il. En laissant la porte entre-bâillée, vous entendrez, et vous verrez tout par le carreau.

Sans un mot, Lecoq se jeta dans le cabinet, la sonnette du portillon de l’hôtel annonçait l’entrée d’un visiteur.

C’était Mai.

– Je désirerais parler à la maîtresse de l’hôtel, dit-il.

– À quelle maîtresse?

– À la femme qui m’a reçu quand je suis descendu ici, il y a six semaines…

– J’y suis, interrompit Fritz, c’est Mme Milner que vous voudriez voir. Vous arrivez trop tard, ce n’est plus elle qui tient cette maison. Elle l’a vendue, le mois passé, après fortune faite, et elle est partie pour son pays, l’Alsace.

Le prévenu frappa du pied en lâchant un juron à faire frémir un charretier embourbé:

– J’ai cependant une réclamation à lui adresser, insista-t-il.

– Voulez-vous que j’appelle son successeur?…

De son trou, le jeune policier ne pouvait s’empêcher d’admirer Fritz: il mentait impudemment avec cet air de candeur parfaite qui donne aux Allemands une si grande supériorité sur les gens du midi, lesquels, même quand ils disent la vérité, ont l’air de mentir.

– Eh!… le successeur m’enverra promener, s’écria Mai. Je venais réclamer des arrhes que j’ai données pour une chambre dont je ne me suis jamais servi!

– Des arrhes ne se rendent jamais.