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Il se tut. Mai reparaissait métamorphosé de la tête aux pieds.

Il était maintenant vêtu d’un pantalon de grosse toile bleue et d’une sorte de vareuse de laine noire. Un foulard à carreaux lui entourait le cou, et il était coiffé d’une casquette à double fond mou, qu’il portait sur l’oreille, un peu en arrière, à la crâne.

Réellement, il n’avait pas, en son genre, la mine plus rassurante que Lecoq; à décider lequel on eût préféré rencontrer au coin d’un bois, on eût hésité.

Lui, paraissait heureux de sa transformation, comme s’il se fut senti plus à l’aise et plus libre sous des vêtements auxquels il était accoutumé.

Il y avait du défi dans le regard qu’il promena autour de lui, comme s’il eût essayé de démêler entre tous les gens qu’il apercevait ceux qui étaient chargés de l’épier et de surprendre son secret.

Du reste, il ne s’était pas défait de son costume de drap; il le portait sous son bras, noué dans un mouchoir. Il avait acheté et non troqué, dépensé et non augmenté son capital. Il n’avait abandonné que son chapeau de soie à haute forme.

Lecoq eût bien voulu entrer chez le marchand pour questionner; mais il comprit que ce serait une imprudence. Mai venait d’assurer sa casquette sur sa tête d’un geste qui ne pouvait laisser de doutes sur ses intentions.

La seconde d’après, il détalait dans la rue du Temple. La chasse sérieuse commençait, et bientôt les deux limiers n’eurent pas trop de toute leur expérience et de tout leur flair pour suivre à vue un gibier qui semblait doué de l’agilité du cerf.

Mai avait probablement habité l’Angleterre et l’Allemagne, puisqu’il parlait la langue de ces pays aussi couramment que les natifs, mais à coup sûr il connaissait son Paris aussi bien que le plus vieux Parisien.

Cela fut démontré rien que par la façon dont il se jeta brusquement rue des Gravilliers et à la sûreté de sa course au milieu de ce lacis de petites rues bizarrement percées, qui s’enchevêtrent entre la rue du Temple et la rue Beaubourg.

Ah! il savait ce quartier sur le bout du doigt, et comme s’il y eût vécu la moitié de son existence. Il savait les maisons à deux issues, les passages tolérés par certaines cours, les longs couloirs tortueux et sombres débouchant sur plusieurs rues.

Par deux fois il faillit dépister les policiers. Au passage Frépillon, son salut ne tint qu’à un fil. S’il fût resté une minute encore immobile dans un coin obscur où il s’était blotti, derrière des tonneaux vides, les deux agents s’éloignaient.

La poursuite présentait d’horribles difficultés. La nuit était venue, et en même temps s’était élevé ce léger brouillard qui suit invariablement les premières belles journées du printemps. Le gaz des réverbères brûlait rouge dans la brume sans projeter de lueurs.

Et pour comble, c’était l’heure où ces rues laborieuses sont le plus peuplées; les ouvriers sortent des ateliers, les ménagères courent aux provisions pour le souper, devant toutes les maisons des centaines de locataires bourdonnent comme des abeilles autour de leur ruche.

Mai profitait de tout, pour égarer les gens acharnés après lui. Groupes, embarras de voitures, travaux de voirie, il utilisait tout, avec une merveilleuse présence d’esprit et une adresse si rare qu’il glissait comme une ombre, à travers la foule, sans heurter personne, sans soulever sur son passage la moindre réclamation.

Il avait fini par s’engager dans la rue des Gravilliers et gagnait les larges voies.

Après s’être fait battre dans une étroite enceinte, il voulait essayer de l’espace. Il avait lutté de ruses, il allait lutter de vitesse et de fond.

Arrivé au boulevard de Sébastopol, il tourna à gauche, du côté de la Seine, et prit son élan…

Il filait avec une prestigieuse rapidité, les coudes au corps, ménageant son haleine, cadençant son pas avec la précision d’un professeur de gymnastique.

Rien ne l’arrêtait, il ne détournait pas la tête, il courait…

Et c’est du même train égal et furieux, qu’il descendit le boulevard de Sébastopol, qu’il traversa la place du Châtelet et les ponts, et qu’il remonta le boulevard Saint-Michel.

Près du musée de Cluny, des fiacres stationnaient. Mai s’arrêta devant la première file, adressa quelques mots au cocher, et monta du côté de la chaussée.

Le fiacre aussitôt partit à fond de train.

Mais le prévenu n’était pas dedans. Il n’avait fait que le traverser, et pendant que le cocher s’éloignait pour une course imaginaire payée à l’avance, Mai se glissait du côté du trottoir cette fois dans une voiture qui quitta la station au galop.

Peut-être, après tant de ruses, après un formidable effort, après ce dernier stratagème, peut-être Mai se croyait-il libre… Il se trompait.

Derrière le fiacre qui l’emportait, s’appuyant aux ressorts pour se délasser, un homme courait… Lecoq.

Le pauvre père Absinthe, lui, était tombé à moitié chemin, devant le Palais-de-Justice, épuisé, hors d’haleine. Et le jeune policier ne comptait plus guère le revoir, ayant eu assez à faire de se maintenir, sans crayonner des flèches indicatrices.

Mai avait donné à son cocher l’ordre de le conduire à la place d’Italie, et lui avait surtout recommandé de s’arrêter court au beau milieu de la place, à cent pas de ce poste où il avait été enfermé avec la veuve Chupin.

Quand il y fut arrivé, il se précipita hors du fiacre, et d’un coup d’œil prompt et sûr, il explora les environs, cherchant s’il ne découvrirait pas quelque ombre suspecte.

Il ne vit rien. Surpris par le brusque arrêt de la voiture, le jeune policier avait eu le temps de se jeter à plat ventre sous la caisse, au risque de se faire broyer par les roues.

De plus en plus rassuré vraisemblablement, Mai paya la course et revint sur ses pas du côté de la rue Mouffetard.

D’un bond, Lecoq fut debout, plus acharné sur sa piste qu’un dogue après un os. Il atteignait l’ombre projetée par les grands arbres des boulevards extérieurs, quand un coup de sifflet étouffé retentit à son oreille.

– Le père Absinthe!… fit-il, stupéfait et ravi.

– Moi-même, répondit le bonhomme, et reposé, qui plus est, grâce à un sapin qui m’a ramassé là-bas. J’ai pu de cette façon…

– Oh! assez! interrompit Lecoq, assez… ouvrons l’œil.

Mai rôdait alors, avec une indécision manifeste, autour des nombreux cabarets du quartier. Il semblait chercher quelque chose.

Enfin, après avoir été coller son visage aux carreaux de trois de ces bouges, il se décida, et entra dans le quatrième.

La porte n’était pas refermée, que les deux policiers étaient à la vitre, regardant de tous leurs yeux.