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– Eh bien!… je vous aiderai, monsieur Lecoq, s’écria-t-il. Oui, je veux que vous confondiez vos railleurs… Je vais me lever, à l’instant, et me rendre au Palais avec vous. Je verrai M. le procureur général, je parlerai, j’agirai, je répondrai de vous!…

La joie de Lecoq fut immense.

Jamais, non, jamais, il n’eût osé se flatter d’obtenir un tel concours.

Ah!… M. Segmuller pouvait désormais lui demander de passer dans le feu pour lui; il était prêt à s’y précipiter.

Cependant il fut assez prudent, il eut assez d’empire sur soi pour garder sa physionomie soucieuse. Il est comme cela, des victoires qu’il faut se garder de laisser soupçonner, sous peine d’en perdre à l’instant tout le bénéfice.

Certes, le jeune policier n’avait rien avancé qui ne fût rigoureusement exact, mais encore est-il des façons de présenter la vérité, et il avait déployé un peu trop d’habileté pour mettre le juge de moitié dans ses rancunes et s’en faire un auxiliaire intéressé.

M. Segmuller, cependant, après le cri arraché à sa vanité adroitement blessée, après la première explosion de sa colère, revenait à son calme accoutumé.

– Je suppose, dit-il à Lecoq, que vous avez réfléchi au stratagème à employer pour lâcher le prévenu sans que la connivence de l’administration éclate.

– Je n’y ai pas pensé une minute, monsieur, je l’avoue. À quoi bon, d’ailleurs! Cet homme sait trop de quels soupçons et de quelle surveillance inquiète il est l’objet, pour ne se pas tenir sur le qui-vive. Si ingénieusement que je m’y prenne pour lui ménager une occasion de filer, il reconnaîtra ma main et se défiera. Le plus court et le plus sûr est de lui laisser tout bonnement la porte ouverte…

– Peut-être avez-vous raison?…

– Seulement, il est une précaution que je crois nécessaire, indispensable, qui me parait une condition essentielle du succès…

Le jeune policier paraissait chercher si péniblement ses mots, que le juge crut devoir l’aider.

– Voyons cette précaution? fit-il.

– Elle consisterait, monsieur, à donner l’ordre de transférer Mai dans une autre prison… Oh! n’importe laquelle, à votre choix.

– Pourquoi, s’il vous plaît?

– Parce que, monsieur, je voudrais que durant les quelques jours qui précéderont son évasion, Mai fût mis dans l’impossibilité absolue de donner de ses nouvelles au dehors, de prévenir son insaisissable complice…

La proposition parut étrangement surprendre M. Segmuller.

– Vous l’estimez donc mal gardé au Dépôt? fit-il.

– Oh! monsieur, je ne dis pas cela. Je suis même persuadé que depuis l’affaire du billet, le directeur a redoublé de vigilance… Mais, enfin, ce mystérieux meurtrier avait des intelligences au Dépôt, nous en avons eu la preuve matérielle, évidente, irrécusable, et de plus…

Il s’arrêta devant l’expression de sa pensée, comme tous ceux qui sentent bien que ce qu’ils vont dire paraîtra une énormité.

– Et de plus?… insista le juge intrigué.

– Eh bien! donc, monsieur, tenez, je serai complètement franc avec vous… Je trouve que Gévrol jouit au Dépôt d’une liberté trop grande; il y est comme chez lui, il va, vient, monte, descend, sort et rentre, sans que personne jamais songe à lui demander ce qu’il fait, où il va, ce qu’il veut… Pour lui, pas de consigne, et il ferait voir au directeur, qui est un bien honnête homme, des étoiles en plein midi… Moi, je me défie de Gévrol…

– Oh!… monsieur Lecoq!…

– Oui, je le sais, l’accusation est téméraire, mais on n’est pas maître de ses pressentiments et Gévrol m’inquiète. Le prévenu savait-il, oui ou non, que je l’observais du grenier et que j’avais surpris un premier billet? Évidemment oui, sa dernière scène le démontre…

– Tel est mon avis.

– Comment donc a-t-il su cela?… Il ne l’a pas deviné, sans doute. Voici huit jours que je me mets l’esprit à la torture pour trouver la solution de ce problème… J’y perds mes peines. L’intervention de Gévrol explique tout.

M. Segmuller, à cette seule supposition, pâlit de colère.

– Ah!… si je pouvais croire cela, s’écria-t-il, si j’étais sûr!… Avez-vous quelque preuve, existe-t-il des indices?

Le jeune policier hocha la tête.

– J’aurais les mains pleines de preuves, répondit-il, que je ne sais trop si je les ouvrirais. Ne serait-ce pas me fermer tout avenir? Je dois, si je réussis dans mon métier, m’attendre à de bien autres trahisons. Toutes les professions n’ont-elles pas leurs rivalités et leurs haines? Et notez, monsieur, que je n’attaque pas la probité de Gévrol. Pour cent mille francs, écus comptant, sur table, il ne lâcherait pas un prévenu… Mais il déroberait dix accusés à la justice, sur la seule espérance de me faire pièce, à moi qui lui porte ombrage.

Que de choses ces quelques mots expliquaient, de combien d’énigmes restées obscures ils donnaient la clef!… Mais le juge ne pouvait suivre le jeune policier sur ce terrain.

– Il suffit, lui dit-il, passez dans le salon quelques instants, je m’habille et je suis à vous… Je vais envoyer chercher une voiture; il faut que je me hâte si je veux voir aujourd’hui M. le procureur général…

Soigneux d’ordinaire, jusqu’à la minutie, M. Segmuller ne mit pas, ce jour-là, un quart d’heure à sa toilette.

Bientôt il parut dans la pièce où Lecoq attendait, et d’un ton bref lui dit:

– Partons.

Ils allaient monter en voiture, quand un domestique dont la tenue correcte annonçait un serviteur de bonne maison, s’avança rapidement vers M. Segmuller.

– Ah!… c’est vous, Jean, dit le juge, comment va votre maître?

– De mieux en mieux, monsieur. Il m’envoyait prendre des nouvelles de monsieur et lui demander où en est l’affaire.

– Toujours au point que je lui disais dans ma lettre. Saluez-le de ma part et dites-lui que je suis rétabli.

Le domestique salua, Lecoq prit place près de son juge d’instruction, et le fiacre se mit en route.

– Ce garçon, reprit M. Segmuller, est le valet de chambre de d’Escorval.

– Le juge qui…

– Précisément. Il me l’envoie tous les deux ou trois jours, afin de savoir ce que nous faisons de notre énigmatique Mai.

– M. d’Escorval s’en préoccupe?

– Prodigieusement, et je le conçois, puisque c’est lui, en définitive, qui a ouvert l’information, et qui la poursuivrait sans sa funeste chute. Peut-être regrette-t-il cette instruction et se dit-il qu’il l’eût mieux menée que moi. Nous nous entendrions bien, si c’était possible, car je donnerais bonne chose de le voir à ma place…