Изменить стиль страницы

– Inimaginable, en effet!… répéta la jeune femme d’un ton triste, mais sans amertume… Je suis mariée d’hier et me voici abandonnée… Il eût été généreux de réfléchir la veille et non le lendemain… Dites pourtant à Martial que je lui pardonne d’avoir brisé ma vie, d’avoir fait de moi la plus misérable des créatures… Je lui pardonne aussi cette insulte suprême de me parler de sa fortune… Je souhaite qu’il soit heureux. Allons… Adieu, monsieur le duc, nous ne nous reverrons plus… Adieu!…

Elle prit le bras de son père et ils allaient se retirer… M. de Sairmeuse, qui s’était un peu remis, n’eut que le temps de se jeter devant la porte.

– Vous ne partirez pas ainsi!… s’écria-t-il, je ne le souffrirai pas… Attendez au moins que j’aie vu Martial, il n’est peut-être pas coupable autant que vous le croyez…

– Oh! assez!… interrompit le marquis, assez!…

Il dégagea de son bras, le bras de sa fille, et d’une voix affaiblie:

– À quoi bon des explications!… poursuivit-il. Hélas!… il est de ces outrages qui ne se réparent pas… Puisse votre conscience vous pardonner comme je vous pardonne moi-même… Adieu!…

Cela fut dit si parfaitement, avec une intonation si juste et un tel accord de gestes, que M. de Sairmeuse en fut ébloui.

C’est d’un air absolument ahuri qu’il regarda s’éloigner le marquis et sa fille, et ils étaient déjà loin quand il s’écria:

– Cafard!… me croit-il sa dupe!…

Dupe!… M. de Sairmeuse l’était si peu que sa seconde pensée fut celle-ci:

– Où veut-il en venir, avec cette comédie? Il dit qu’il nous pardonne… c’est donc qu’il nous réserve quelque coup de jarnac!…

Cette conviction l’emplit d’inquiétude. En vérité il ne se sentait pas de force à lutter de perfidie contre le marquis de Courtomieu.

– Mais Martial lui damera le pion… s’écria-t-il… Oui, il faut voir Martial!…

Si grande était son anxiété et telle son impatience, que de sa main il aida à atteler la voiture qu’il avait commandée, et que, prenant le fouet, il voulut conduire lui-même.

Tout en poussant furieusement ses chevaux il s’efforçait de réfléchir, mais les idées les plus contradictoires tourbillonnaient dans sa tête, il n’y voyait plus clair, et la rapidité de la course fouettant son sang ravivait sa colère.

Il entra comme un ouragan dans la chambre de Martial, à Montaignac.

– J’imagine que vous êtes devenu fou, marquis! s’écria-t-il dès le seuil. C’est, jarnibieu! la seule excuse valable que vous puissiez présenter…

Mais Martial, qui attendait la visite de son père, avait eu le temps de se préparer.

– Jamais, au contraire, je ne me suis senti si sain d’esprit, répondit-il… Daignez me permettre une question: Est-ce vous qui avez envoyé des soldats au rendez-vous que Maurice d’Escorval m’avait loyalement assigné?…

– Marquis!…

– Bien!… c’est donc encore une infamie du marquis de Courtomieu?…

Le duc ne répondit pas. En dépit de ses travers, de ses défauts et de ses vices, cet homme orgueilleux avait conservé les qualités essentielles de la vieille noblesse française: la fidélité à la parole jurée et une admirable bravoure.

Il trouvait tout naturel que Martial se battît avec Maurice… Il jugeait ignoble ce fait d’envoyer des soldats saisir un ennemi loyal et confiant.

– C’est la seconde fois, poursuivit Martial, que ce misérable essaie de déshonorer le nom de Sairmeuse… Pour qu’on me croie, quand je l’affirmerai, il faut que je rompe avec sa fille… j’ai rompu. Je ne le regrette pas, puisque je ne l’avais vraiment épousée que par condescendance pour vous, par faiblesse, parce qu’il faut se marier et que toutes les femmes, hormis une seule que je ne puis avoir, ne me sont rien…

Mais cela ne rassurait pas le duc de Sairmeuse.

– C’est fort joli ce galimatias sentimental, dit-il; vous n’en avez pas moins perdu la fortune politique de notre maison.

Un fin sourire glissa sur les lèvres de Martial:

– Je crois au contraire que je la sauve, dit-il. Ne nous abusons pas, toute cette affaire du soulèvement de Montaignac est abominable, et vous devez bénir l’occasion qui vous est offerte de dégager votre responsabilité. Avec un peu d’adresse, vous pouvez rejeter tout l’odieux des représailles sur le marquis de Courtomieu et ne garder pour vous que le prestige du service rendu…

Le duc se déridait, il entrevoyait le plan de son fils.

– Jarnibieu!… marquis, s’écria-t-il, savez-vous que c’est une idée cela!… Savez-vous que dès maintenant, je crains infiniment moins le Courtomieu?…

Martial était devenu pensif.

– Ce n’est pas lui que je crains, murmura-t-il, mais sa fille… ma femme.

XLI

Il faut avoir vécu au fond des campagnes pour savoir au juste avec quelle prestigieuse rapidité une nouvelle s’y propage et vole de bouche en bouche. Parfois, c’est à confondre l’esprit.

Ainsi, le soir même des scènes du château de Sairmeuse, la rumeur en arrivait aux infortunés cachés à la ferme du père Poignot.

Il n’y avait pas trois heures que Maurice, Jean Lacheneur et le caporal Bavois s’étaient éloignés en promettant de repasser la frontière cette nuit même.

Après mûres réflexions, l’abbé Midon avait décidé qu’on ne dirait rien à M. d’Escorval de la brusque apparition du son fils et qu’on lui dissimulerait même la présence de Marie-Anne.

Son état était si alarmant encore, que la moindre émotion pouvait décider quelque complication mortelle.

Vers les dix heures, le baron s’étant assoupi, l’abbé Midon et Mme d’Escorval étaient descendus dans une salle basse de la ferme, pour causer librement avec Marie-Anne, quand l’aîné des fils Poignot parut la figure bouleversée.

Ce grave gars était sorti après souper avec plusieurs de ses camarades, pour aller admirer de loin les splendeurs des fêtes de Sairmeuse, et il revenait en toute hâte apprendre aux hôtes de son père les étranges événements de la soirée.

– C’est inconcevable!… murmurait l’abbé Midon abasourdi.

Pas si inconcevable, le prêtre l’eût bien compris, si l’idée lui fût venue d’observer Marie-Anne.

Elle était devenue plus rouge que le feu, elle baissait la tête, et autant que possible s’écartait du cercle de la lumière.

C’est qu’il ne lui était pas possible de méconnaître un trait de cette grande passion que le jeune marquis de Sairmeuse lui avait déclaré, le soir où il lui avait offert son nom en même temps qu’il lui avouait son aversion pour sa fiancée.