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Martial, par ses aveux publics, venait certainement de renverser l’échafaudage de sa fortune politique.

Mais, d’un autre côté, le marquis de Courtomieu n’était-il pas cause qu’on accusait un Sairmeuse d’une trahison dont l’idée seule soulevait le cœur de dégoût?…

Enfoncé dans un fauteuil, les traits contractés par la colère, il suivait les mouvements des domestiques, quand Mme Blanche entra.

Elle se posa devant lui, croisant les bras, et d’une voix sourde:

– Qui donc vous retenait ici, monsieur le duc, prononça-t-elle, pendant que je restais seule, exposée aux dernières humiliations… Ah!… si j’étais un homme!… Tous vos hôtes se sont enfuis, monsieur, tous!…

Brusquement M. de Sairmeuse se dressa:

– Eh bien, s’écria-t-il, qu’ils aillent au diable!…

C’est que de tous ces hôtes qui venaient de quitter ses salons, rompant ainsi violemment avec lui, il n’en était pas un seul que le duc de Sairmeuse regrettât.

Il savait bien qu’il n’avait pas un ami, lui dont l’étonnant orgueil ne reconnaissait pas un égal.

Donnant une fête pour le mariage de son fils, il y avait convié tous les gentilshommes de la contrée. Ils étaient venus… bien! Ils s’enfuyaient… bon voyage!

Si le duc enrageait de cette désertion, c’est qu’elle lui présageait avec une terrible éloquence la disgrâce tant redoutée.

Cependant, il essaya de se mentir à lui-même.

– Ils reviendront, dit-il à Mme Blanche, nous les reverrons repentants et humbles! Fiez-vous à moi!… Mais où donc peut être Martial?

Les yeux de la jeune femme flamboyèrent, mais elle ne répondit pas.

– Serait-il sorti avec le fils de ce scélérat de Lacheneur? reprit le duc.

– Je le crois…

– Il ne saurait tarder à rentrer…

– Qui sait!…

M. de Sairmeuse donna sur la cheminée un coup de poing à briser le marbre.

– Jarnibieu!… s’écria-t-il, ce serait combler la mesure…

La jeune mariée dut croire que le duc s’inquiétait et s’irritait pour elle… Mais elle se trompait. Il ne songeait qu’aux calculs de son ambition déçue.

Quoi qu’il en dit, il s’avouait, à part soi, la supériorité de son fils; il avait confiance en son génie d’intrigue, et avant de rien résoudre, il voulait le consulter.

– C’est lui qui a fait le mal, murmurait-il, c’est à lui de le réparer!… Et, Jarnibieu! il en est bien capable, s’il le veut!…

Et tout haut il reprit:

– Il faut retrouver Martial, il faut…

D’un geste terrible de douleur et de colère, Mme Blanche l’interrompit:

– Il faut chercher Marie-Anne, dit-elle, si vous voulez retrouver… mon mari.

Le duc avait eu une pensée pareille, il n’osa l’avouer.

– Le ressentiment vous égare, marquise, fit-il.

– Je sais ce que je sais!…

– Non!… et la preuve c’est que Martial va reparaître… S’il est sorti, il ne peut être loin… On va le chercher, je le chercherai moi-même…

Il s’éloigna en jurant entre ses dents, et alors seulement la jeune femme s’approcha de son père qui ne semblait point reprendre connaissance.

Elle lui secoua le bras, rudement, et de son accent le plus impérieux:

– Mon père!… appela-t-elle: mon père!

Cette voix, qui tant de fois l’avait fait trembler, agit sur M. de Courtomieu plus efficacement que l’eau de Cologne des domestiques. Il entr’ouvrit languissamment un œil, qu’il referma aussitôt, mais non si vite que sa fille ne s’en aperçût:

– J’ai à vous parler, insista-t-elle, relevez-vous!…

Il n’osa désobéir, et péniblement il se redressa sur la causeuse, la cravate dénouée, le visage marbré de grandes plaques rouges.

– Ah!… que je souffre!… geignait-il, que je souffre!

Sa fille l’écrasa d’un regard méprisant, et d’un ton d’ironie amère:

– Pensez-vous que je suis aux anges?… prononça-t-elle.

– Parle donc, soupira M. de Courtomieu, parle, puisque tu le veux…

Mais la jeune femme ne pouvait se livrer ainsi.

– Retirez-vous! dit-elle aux domestiques.

Ils se retirèrent, et après qu’elle eût poussé le verrou de la porte:

– Parlons de Martial… commença-t-elle.

À ce nom, M. de Courtomieu bondit et ses poings se crispèrent.

– Ah! le misérable!… s’écria-t-il.

– Martial est mon mari, mon père.

– Quoi!… après ce qu’il a fait, vous osez le défendre!…

– Je ne le défends pas, mais je ne veux pas qu’on me le tue.

Qui eût, en ce moment, annoncé la mort de Martial, n’eût pas désespéré M. de Courtomieu.

– Vous l’avez entendu, mon père, poursuivit Mme Blanche, on assigne pour demain, à midi, un rendez-vous à Martial, à la lande de la Rèche… Je le connais, il a été insulté, il s’y rendra… Y rencontrera-t-il un adversaire loyal?… Non. Il y trouvera des assassins… Vous pouvez l’empêcher d’être assassiné.

– Moi, mon Dieu!… et comment?

– En envoyant à la Rèche des soldats qui se cacheront dans le bois, et qui, le moment venu, arrêteront les scélérats qui en veulent aux jours de Martial…

Le marquis hocha gravement la tête:

– Si je faisais cela, dit-il, Martial est capable…

– De tout!… oui, je le sais. Mais que vous importe, si je prends tout sur moi?

Quelle était la véritable intention de «la mariée?» M. de Courtomieu essaya vainement de la pénétrer.

– Il faut expédier des ordres à Montaignac, insista-t-elle…

Moins émue, elle eût vu l’ombre d’une pensée mauvaise voiler les yeux de son père. Il songeait que faire ce que désirait sa fille, c’était se venger de Martial et de la façon la plus cruelle, et le déshonorer, lui qui se souciait si peu de l’honneur des autres.

– Soit!… fit-il. Tu l’exiges, je vais écrire…

Sa fille lui apporta vivement de l’encre et des plumes, et tant bien que mal, car ses mains tremblaient, il minuta des instructions pour le colonel de la légion de Montaignac.