Изменить стиль страницы

Hélas! oui. Et quand Blanche de Courtomieu, désormais la marquise de Sairmeuse, accusait Marie-Anne, la clairvoyance de sa jalousie ne la trompait pas absolument…

Martial, qui eût dédaigné l’opinion du monde entier, fut comme frappé de vertige, à l’idée que Marie-Anne le méprisait sans doute, et qu’elle le tenait pour un traître et pour un lâche…

C’est pour elle que, dans un accès de rage, il avait voulu une éclatante justification.

S’il suppliait Jean de le conduire près de Maurice d’Escorval, c’est que près de Maurice il espérait trouver Marie-Anne pour lui dire:

– Les apparences étaient contre moi, mais je suis innocent, et je l’ai prouvé en démasquant le coupable.

C’est à Marie-Anne qu’il eût voulu remettre le brouillon qu’il avait conservé, se disant qu’à tout le moins il l’étonnerait à force de générosité…

Son attente avait été trompée, et il n’apercevait plus de réel qu’un scandale inouï.

– Ce sera le diable à arranger, cet esclandre… se dit-il; mais bast!… personne n’y pensera plus dans un mois. Le plus court est d’aller au devant des commentaires… Rentrons!…

Il disait cela: «rentrons,» du ton le plus délibéré. Le fait est qu’à mesure qu’il approchait du château, sa résolution chancelait.

La fête de ses noces, qui devait être si magnifique, était déjà terminée; les invités ne se retiraient pas, ils s’enfuyaient…

Martial réfléchissait qu’il allait se trouver seul entre sa jeune femme, son père et le marquis de Courtomieu. Que de reproches alors, de cris, de larmes, de colère et de menaces!… Et il affronterait tout cela…

– Ma foi! non!… prononça-t-il à demi-voix, pas si bête… Laissons-leur la nuit pour se calmer, je reparaîtrai demain…

Mais où passer la nuit?… Il était en costume de cérémonie, nu-tête, et il commençait à avoir froid… La maison occupée par le duc à Montaignac était une ressource.

– J’y trouverai un lit, songea-t-il, des domestiques, d’autres habits, du feu, et demain un cheval pour revenir.

C’était une longue traite à faire à pied, mais dans sa disposition d’esprit cela ne lui déplut pas.

Le domestique qui vint lui ouvrir, quand il frappa, faillit tomber de son haut en le reconnaissant…

– Vous, monsieur le marquis!…

– Oui, moi!… Allume-moi un grand feu dans le salon et apporte-m’y des vêtements pour me changer…

Le valet obéit, et bientôt Martial se trouva seul, étendu sur un canapé devant la cheminée.

– Il serait beau de dormir, se disait-il, car le railleur reprenait le dessus.

Il essaya, mais il n’était pas de cette force.

Sa pensée lui échappait pour s’envoler à Sairmeuse, dans cette chambre nuptiale où il avait prodigué les plus exquises recherches du luxe.

Il eut dû y être à cette heure, près de Blanche, cette jeune femme si jolie qui était la sienne, qu’il n’aimait pas, mais dont il était passionnément aimé…

Pourquoi l’avoir abandonnée?… Etait-elle donc responsable de l’infamie du marquis de Courtomieu?

– Pauvre fille!… pensait-il, quelle nuit de noces!…

Au jour, cependant, il s’endormit d’un sommeil fiévreux, et il était plus de neuf heures quand il s’éveilla.

Il se fit servir à déjeuner, décidé à rentrer à Sairmeuse, et il mangeait de bon appétit, quand tout à coup:

– Qu’on me selle un cheval, s’écria-t-il. Vite!… très vite!…

Il venait de se rappeler le rendez-vous de Maurice… Pourquoi ne pas s’y rendre!…

Il s’y rendit, et, grâce à la rapidité de son cheval, il mettait pied à terre à la Rèche comme sonnait la demie de onze heures.

Les autres ne devant pas être arrivés encore; il attacha son cheval à un arbre du petit bois de sapins, et lestement il gagna le point culminant de la lande.

Là avait été autrefois la masure de Lacheneur… Il n’en restait que les quatre murs, noircis par l’incendie et à demi-éboulés…

Depuis un moment, Martial contemplait ces ruines, non sans une violente émotion, quand il entendit un grand froissement dans les ajoncs.

Il se retourna: Maurice, Jean et le caporal Bavois arrivaient…

Le vieux soldat portait sous le bras un long et étroit paquet enveloppé de serge: c’était des épées que, pendant la nuit, Jean Lacheneur était allé chercher à Montaignac, chez un officier à demi-solde.

– Nous sommes fâchés, monsieur, commença Maurice, de vous avoir fait attendre. Remarquez toutefois qu’il n’est pas midi… Puis nous comptions peu sur vous…

– Je tenais trop à me… justifier, interrompit Martial, pour n’être pas exact.

Maurice haussa dédaigneusement les épaules.

– Il ne s’agit pas de se justifier, monsieur, dit-il d’un ton rude jusqu’à la grossièreté, mais de se battre.

Si insultants que fussent le geste et le ton, Martial ne sourcilla pas.

– Ou le malheur vous rend injuste, dit-il doucement, ou M. Lacheneur ici présent ne vous a rien dit.

– Jean m’a tout raconté…

– Eh bien, alors?…

Le sang-froid de Martial devait jeter Maurice hors de soi.

– Alors, répondit-il, avec une violence inouïe, ma haine est pareille, si mon mépris a diminué… Vous me devez une rencontre, monsieur, depuis le jour où nos regards se sont croisés sur la place de Sairmeuse, en présence de Mlle Lacheneur… Vous m’avez dit ce jour-là: «Nous nous retrouverons!» Nous voici face à face… Quelle insulte vous faut-il pour vous décider à vous battre?…

Un flot de sang empourpra le visage du marquis de Sairmeuse; il saisit une des épées que lui présentait le caporal Bavois, et tombant en garde:

– Vous l’aurez voulu, dit-il d’une voix stridente… Le souvenir de Marie-Anne ne peut plus vous sauver…

Mais les fers étaient à peine croisés, qu’un cri de Jean et du caporal Bavois arrêta le combat.

– Les soldats!… crièrent-ils, fuyons!…

Une douzaine de soldats, en effet, approchaient courant de toutes leurs forces.

– Ah! je l’avais bien dit!… s’écria Maurice, le lâche est venu, mais il avait prévenu les gendarmes!…

Il bondit en arrière, et brisant son épée sur son genou, il en lança les tronçons à la face de Martial en disant:

– Voilà ton salaire, misérable!…