Изменить стиль страницы

Mme Blanche descendit elle-même cette lettre à un domestique, elle lui commanda de monter à cheval, et c’est seulement quand elle l’eût vu partir au galop qu’elle gagna les appartements qui avaient été préparés pour elle, ces appartements où Martial avait réuni les plus délicates merveilles du luxe, et que devait éclairer la plus radieuse des lunes de miel.

Mais là tout était fait pour raviver le désespoir de la pauvre abandonnée, pour attiser sa haine et exaspérer ses colères…

Ses femmes voulaient la déshabiller, elle les renvoya durement et courut s’enfermer avec la tante Médie dans la chambre nuptiale où l’époux seul manquait…

Affaissée sur un fauteuil, elle se rappelait avec une sorte de rage les flatteries excessives dont elle avait été l’objet quand elle était l’élève des Dames du Sacré-Cœur.

Alors, on s’étudiait à lui persuader qu’en raison de tous ses avantages de naissance, de fortune, d’esprit et de beauté, elle devait être plus heureuse que les autres…

Et c’était à elle, que par une étrange dérive de la destinée, ce malheur arrivait, incroyable, inouï, d’être abandonnée la première nuit de ses noces…

Car elle était abandonnée, elle n’en doutait pas… Elle était sûre que son mari ne rentrerait pas, elle ne l’attendait pas…

Le duc de Sairmeuse battait les environs avec quelques domestiques; mais elle savait bien que c’était peine perdue, qu’ils ne rencontreraient pas Martial…

Où pouvait-il être? Près de Marie-Anne, certainement… Mme Blanche ne pouvait l’imaginer ailleurs…

Et à cette pensée atroce, qui l’obsédait, elle sentait la folie envahir son cerveau; elle comprenait le crime; elle rêvait la vengeance qu’on demande au fer ou au poison…

Martial, à Montaignac, avait fini par s’endormir…

Mme Blanche, quand vint le jour, changea pour des vêtements noirs sa robe blanche de mariée, et on la vit errer comme une ombre dans les jardins de Sairmeuse… Elle n’était plus, véritablement, que l’ombre d’elle-même; cette nuit d’indicibles tortures avait pesé sur sa tête plus que toutes les années qu’elle avait vécues…

Elle passa la journée enfermée dans son appartement, refusant d’ouvrir au duc de Sairmeuse et même à son père…

Dans la soirée seulement, vers les huit heures, on eut des nouvelles…

Un domestique apportait les lettres adressées par Martial à son père et à sa femme.

Pendant plus d’une minute, Mme Blanche hésita à ouvrir celle qui lui était destinée: son sort allait être fixé, elle avait peur…

Enfin elle rompit le cachet et lut:

«Madame la marquise,

«Entre vous et moi, tout est fini, et il n’est pas de rapprochement possible…

«De ce moment, reprenez votre liberté… Je vous estime assez pour espérer que vous saurez respecter le nom de Sairmeuse que je ne puis vous enlever.

«Vous trouverez comme moi, je pense, une séparation amiable préférable au scandale d’un procès.

«Quand mes hommes d’affaires règleront vos intérêts, souvenez-vous que j’ai trois cent mille livres de rentes…

«MARTIAL DE SAIRMEUSE.»

Mme Blanche chancela sous le coup terrible… c’en était fait, elle était abandonnée, et abandonnée, pensait-elle, pour une autre. Mais elle se roidit, et d’une voix stridente:

– Oh! cette Marie-Anne! s’écria-t-elle, cette créature! je la tuerai!…

XL

Les vingt-quatre mortelles heures passées par Mme Blanche à mesurer l’étendue de son horrible malheur, le duc de Sairmeuse les avait employées à tempêter et à jurer à faire crouler les plafonds.

Lui non plus, il ne s’était pas couché.

Après des recherches inutiles aux environs, il était revenu à la grande galerie du château, et il l’arpentait d’un pied furieux.

Il tombait de lassitude, après un accès de colère qui avait duré une nuit et un jour, quand on lui apporta la lettre de son fils…

Elle était brève…

Martial ne donnait à son père aucune explication; il ne mentionnait même pas la rupture qu’il venait de signifier à sa femme.

«Je ne puis me rendre à Sairmeuse, Monsieur le duc, écrivait-il, et cependant, nous voir est de la dernière importance.

«Vous approuverez, je l’espère, mes déterminations, quand je vous aurai exposé les raisons qui les ont dictées.

«Venez donc à Montaignac, le plus tôt sera le mieux, je vous attends.»

S’il n’eût écouté que les suggestions de son impatience, le duc de Sairmeuse eût fait atteler à l’instant même, et se fût mis en route.

Mais pouvait-il, décemment, abandonner ainsi brusquement le marquis de Courtomieu, qui avait accepté son hospitalité, et Mme Blanche, la femme de son fils, en définitive.

S’il eût pu les voir encore, leur parler, les prévenir…

Il l’essaya en vain… Mme Blanche s’était enfermée et refusait d’ouvrir; le marquis s’était mis au lit, avait envoyé chercher un médecin qui l’avait saigné, et il se déclarait à la mort.

Le duc de Sairmeuse se résigna donc à une nuit encore d’incertitudes, vraiment intolérables, pour un caractère comme le sien.

– Attendons, se disait-il, demain à l’issue du déjeuner, je saurai bien trouver un prétexte pour m’esquiver quelques heures sans dire que je vais rejoindre Martial…

Il n’eut pas cette peine…

Le lendemain, sur les neuf heures du matin, comme il finissait de s’habiller, on vint lui annoncer que M. de Courtomieu et sa fille l’attendaient au salon.

Surpris, il se hâta de descendre.

Quand il entra, le marquis de Courtomieu, qui était assis dans un fauteuil, se dressa tout d’une pièce, s’appuyant sur l’épaule de tante Médie…

Et Mme Blanche s’avança d’un pas raide, pâle et défaite, autant que si on lui eût tiré des veines la dernière goutte de sang.

– Nous partons, monsieur le duc, dit-elle froidement, et nous venons vous faire nos adieux.

– Comment, vous partez, vous ne voulez pas…

D’un geste doux la jeune femme l’interrompit, et tirant de son corsage la lettre de rupture, elle la tendit à M. de Sairmeuse en disant:

– Veuillez prendre connaissance de ceci, monsieur le duc.

D’un seul coup d’œil il lut, et son saisissement fut tel qu’il ne trouva même pas un juron.

– Incompréhensible!… balbutia-t-il; inimaginable!…