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Ce lui fut seulement une occasion d’exalter les mérites du traître.

– Celui qui a découvert Lacheneur, dit-il, saura bien rattraper le sieur Escorval. Qu’on aille me chercher Chupin!…

Plus calme, M. de Courtomieu prenait ses mesures, afin de remettre, disait-il, le «grand coupable» sous la main de la justice.

Il expédiait des courriers dans toutes les directions, et faisait porter avis de l’événement dans les localités voisines.

Ses commandements étaient précis et brefs: surveiller la frontière, soumettre les voyageurs à un examen sévère, pratiquer de nombreuses visites domiciliaires, répandre à profusion le signalement du sieur Escorval.

Avant tout, il avait donné l’ordre de rechercher et d’arrêter le sieur Midon, ancien curé de Sairmeuse, et le sieur Escorval fils.

Mais parmi tous les officiers présents, il y en avait un, c’était un vieux lieutenant décoré, que le ton du duc de Sairmeuse avait profondément blessé.

Il s’avança, d’un air sombre, en disant que tout cela sans doute était bel et bien, mais que le plus pressé était de procéder à une enquête qui, en faisant connaître les moyens d’évasion, révélerait peut-être les complices.

À ce simple mot: enquête, ni le duc de Sairmeuse ni le marquis de Courtomieu n’avaient été maîtres d’un imperceptible tressaillement.

Pouvaient-ils ignorer à combien peu tient le secret des trames les mieux ourdies!

Que fallait-il, ici, pour dégager la vérité des apparences mensongères? Une précaution négligée, un puéril détail, un mot, un geste, un rien…

Ils tremblèrent que cet officier ne fût un homme d’une perspicacité supérieure, qui avait vu clair dans leur jeu, ou qui, tout au moins, avait des présomptions qu’il était impatient de vérifier.

Non, le vieux lieutenant n’avait aucun soupçon, il avait parlé ainsi au hasard, uniquement pour exhaler son mécontentement. Même son intelligence était si peu subtile qu’il ne remarqua pas le rapide coup d’œil qu’échangèrent le marquis et le duc.

Martial, lui, le surprit, ce regard, et tout aussitôt:

– Je suis de l’avis du lieutenant, prononça-t-il avec une politesse trop étudiée pour n’être pas une raillerie. Oui, il faut ouvrir une enquête… cela est aussi ingénieusement pensé que bien dit.

Le vieil officier décoré tourna le dos en mâchonnant un juron.

– Ce joli coco se fiche de moi, pensait-il, et lui et son père et cet autre pékin mériteraient… mais il faut vivre!…

À s’avancer comme il venait de le faire, Martial sentait fort bien qu’il ne courait pas le moindre risque.

À qui revenait le soin des investigations?… Au duc et au marquis. Ils étaient donc, en vérité, un peu naïfs de s’inquiéter. Ne resteraient-ils pas seuls juges de ce qu’il serait opportun de taire ou de révéler, et complètement maîtres de cacher ce qui serait de nature à trahir leur connivence?…

Ils se mirent donc à l’œuvre immédiatement, avec un empressement qui eût fait évanouir les doutes, s’il y en eût eu parmi les assistants.

Mais qui donc se fût avisé de concevoir des doutes!…

Le succès de la comédie était d’autant plus certain que la fuite du baron d’Escorval paraissait menacer sérieusement les intérêts de ceux qui l’avaient favorisée.

Les détails de l’évasion, Martial pensait les connaître aussi exactement que les évadés eux-mêmes… Il était l’auteur, s’ils avaient été les acteurs du drame de la nuit.

Il s’abusait, il ne tarda pas à se l’avouer.

L’enquête, dès les premiers pas, révéla des circonstances qui lui parurent inexplicables.

Il était clair, et la disposition des lieux le démontrait, que pour recouvrer leur liberté, le baron d’Escorval et le caporal Bavois avaient eu à accomplir deux descentes successives.

Ils avaient dû, d’abord, descendre de la fenêtre de la prison jusque sur la saillie qui se trouvait au pied de la tour plate. Il leur avait ensuite fallu se laisser glisser de cette saillie jusqu’au bas des rochers à pic.

Pour réaliser cette double opération, et les prisonniers l’avaient réalisée, puisqu’ils s’étaient échappés, deux cordes leur étaient indispensables. Martial les avait apportées, on eût dû les retrouver.

Eh bien! on n’en retrouvait qu’une, celle que les paysannes avaient aperçue, pendant de la saillie où elle était accrochée à une pince de fer.

De la fenêtre à la saillie, point de corde…

Ce fait sauta aux yeux de tout le monde.

– Voilà qui est extraordinaire! murmura Martial devenu pensif.

– Tout à fait bizarre!… approuva M. de Courtomieu.

– Comment diable s’y sont-ils pris pour arriver de la fenêtre du cachot à cette étroite corniche?…

– C’est ce qui ne se comprend pas…

Martial allait trouver une bien autre occasion de s’étonner.

Ayant examiné la corde restant, celle qui avait servi pour la seconde descente, il reconnut qu’elle n’était pas d’un seul morceau. On avait noué bout à bout les deux cordes qu’il avait apportées… La plus grosse évidemment ne s’était pas trouvée assez longue.

Comment cela se faisait-il?… Le duc avait-il donc mal évalué la hauteur du rocher?… l’abbé Midon avait-il mal pris ses mesures?…

Il aunait cette grosse corde de l’œil, et positivement il lui semblait qu’elle avait été raccourci… elle lui avait paru avoir un bon tiers en plus, pendant qu’on la lui roulait autour du corps pour l’entrer dans la citadelle.

– Il sera survenu quelque accident imprévu, disait-il à son père et au marquis de Courtomieu; mais lequel?…

– Eh!… que nous importe? répondait le marquis; vous avez la lettre compromettante, n’est-ce pas?…

Mais Martial était de ces esprits qui ne sauraient rester en repos tant qu’ils sont en face d’un problème à résoudre.

Il voulut, quoi que put lui dire M. de Courtomieu, aller inspecter le bas des rochers.

Juste sous la corde, se voyaient de larges taches de sang.

– Un des prisonniers est tombé, fit Martial vivement, et s’est dangereusement blessé!

– Par ma foi!… s’écria le duc de Sairmeuse, le sieur Escorval se serait brisé les os que j’en serais ravi.

Martial rougit, et regardant fixement son père:

– Je suppose, monsieur, prononça-t-il froidement, que vous ne pensez pas un mot de ce que vous dites… Nous nous sommes engagés sur l’honneur de notre nom à sauver M. le baron d’Escorval, s’il s’était tué ce serait un malheur pour nous, monsieur, un très grand malheur!…