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Mis en garde, il découvrit vite la froide ambitieuse sous la pensionnaire naïve, il comprit la sécheresse de son âme, ses vanités féroces, son égoïsme, et la comparant à la noble et généreuse Marie-Anne, il ne ressentit pour elle qu’éloignement.

Il lui revint cependant, ou du moins il parut lui revenir, mais uniquement par suite de cette légèreté qui était le fond de son caractère, poussé par cet inexplicable sentiment qui parfois nous détermine aux actions qui nous sont le plus désagréables, et aussi par désœuvrement, par découragement, par désespoir, parce qu’il sentait bien que Marie-Anne était perdue pour lui.

Enfin, il se disait qu’il y avait eu parole échangée entre le duc de Sairmeuse et le marquis de Courtomieu, que lui-même avait promis, que Mlle Blanche était sa fiancée…

Etait-ce la peine de rompre des engagements publics?… Ne faudrait-il pas finir par se marier un jour?… Pourquoi ne se pas marier ainsi qu’il était convenu! Autant épouser Mlle de Courtomieu que toute autre, puisqu’il était sûr que la seule femme qu’il eût aimée, la seule qu’il pût aimer, ne serait jamais sienne.

Froid et maître de lui près d’elle, et certain qu’il resterait de même, il lui fut aisé de jouer la comédie merveilleuse de l’amour, avec cette perfection et ce charme que n’atteint jamais, cela est triste à dire, un sentiment vrai.

Son amour-propre, bien qu’il ne fût point fat, y trouvait son compte, et aussi cet instinct de duplicité qui perpétuellement mettait en contradiction ses actes et ses pensées.

Mais pendant qu’il paraissait ne s’occuper que de son mariage, tandis qu’il berçait Mlle Blanche, enivrée, de rêves décevants et des plus doux projets d’avenir, il ne s’inquiétait que du baron d’Escorval.

Qu’étaient devenus, après leur évasion, le baron et le caporal Bavois?… Qu’étaient devenus tous ceux qui étaient allés les attendre, – Martial le savait, – au bas du rocher, Mme d’Escorval et Marie-Anne, l’abbé Midon et Maurice, et aussi quatre officiers à la demi-solde?…

C’était donc dix personnes en tout qui s’étaient enfuies.

Et il en était à se demander comment tant de gens avaient pu disparaître comme cela, tout à coup, sans laisser de traces, sans seulement avoir été aperçues…

– Ah! il n’y a pas à dire, pensait Martial, cela dénote une habileté supérieure… je reconnais la main du prêtre…

L’habileté en effet était grande, car les recherches ordonnées par M. de Courtomieu et par M. de Sairmeuse se poursuivaient avec une fiévreuse activité.

Cette activité même désolait le duc et le marquis, mais qu’y pouvaient-ils?…

Il leur arrivait, ce qui le plus souvent advient aux chefs qui se passionnent tout d’abord. Ils avaient imprudemment excité le zèle de leurs subalternes, et maintenant que ce zèle allait à l’encontre de leurs intérêts et de leurs désirs, ils ne pouvaient ni le modérer, ni même se dispenser de le louer.

Ils ne songeaient cependant pas sans terreur à ce qui se passerait si le baron d’Escorval et Bavois étaient repris.

Tairaient-ils la connivence qui leur avait valu la liberté? Evidemment, non. Ils n’étaient certains que de la complicité de Martial, puisque Martial seul avait parlé au vieux caporal, mais c’était assez pour tout perdre.

Heureusement, les perquisitions les plus minutieuses restaient vaines.

Un seul témoin déclarait que, le matin de l’évasion, au petit jour, il avait rencontré, non loin de la citadelle, un groupe d’une dizaine de personnes, hommes et femmes, qui lui avaient paru porter un cadavre.

Rapproché des circonstances des cordes et du sang, ce témoignage faisait frémir Martial.

Il avait noté un autre indice encore, révélé par la suite de l’enquête.

Tous les soldats de service la nuit de l’évasion ayant été interrogés, voici ce que l’un d’eux avait déclaré:

– «J’étais de faction dans le corridor de la tour plate, quand, vers deux heures et demie, après qu’on eût écroué Lacheneur, je vis venir à moi un officier. Il me donna le mot d’ordre, naturellement je le laissai passer. Il a traversé le corridor et est entré dans la chambre voisine de celle où était enfermé M. d’Escorval et en est ressorti au bout de cinq minutes…»

– «Reconnaîtriez-vous cet officier?» avait-on demandé à ce factionnaire.

Et il avait répondu:

– «Non, parce qu’il avait un manteau dont le collet était relevé jusqu’à ses yeux.»

Quel pouvait être ce mystérieux officier? qu’était-il allé faire dans la chambre où les cordes avaient été déposées?…

Martial se mettait l’esprit à la torture sans trouver une réponse à ces deux questions.

Le marquis de Courtomieu, lui, semblait moins inquiet.

– Ignorez-vous donc, disait-il, que le complot avait dans la garnison des adhérents assez nombreux? Tenez pour certain que ce visiteur qui se cachait si exactement était un complice qui, prévenu par Bavois, venait savoir si on avait besoin d’un coup de main.

C’était une explication et plausible même: cependant elle ne pouvait satisfaire Martial. Il entrevoyait, il pressentait au fond de cette affaire un secret qui irritait sa curiosité.

– Il est inconcevable, pensait-il avec dépit, que M. d’Escorval n’ait pas daigné me faire savoir qu’il est en sûreté!… Le service que je lui ai rendu valait bien cette attention.

Si obsédante devint son inquiétude, qu’il résolut de recourir à l’adresse de Chupin, encore que ce traître lui inspirât une répugnance extrême.

Mais n’obtenait plus qui voulait les offices du vieux maraudeur.

Ayant touché le prix du sang de Lacheneur, ces vingt mille francs qui l’avaient fasciné, Chupin avait déserté la maison du duc de Sairmeuse.

Retiré dans une auberge des faubourgs, il passait ses journées tout seul, dans une grande chambre du premier étage.

La nuit, il se barricadait et buvait… Et jusqu’au jour, le plus souvent, on l’entendait crier et chanter ou lutter contre des ennemis imaginaires.

Cependant il n’osa pas résister à l’ordre que lui porta un soldat de planton, d’avoir à se rendre sur-le-champ à l’hôtel de Sairmeuse.

– Je veux savoir ce qu’est devenu le baron d’Escorval, lui demanda Martial à brûle-pourpoint.

Le vieux maraudeur tressaillit, lui qui était de bronze autrefois, et une fugitive rougeur courut sous le hâle de ses joues.

– La police de Montaignac est là, répondit-il d’un ton bourru, pour contenter la curiosité de monsieur le marquis… Moi je ne suis pas de la police…

Etait-ce sérieux?… N’attendait-il pas plutôt qu’on eût intéressé sa cupidité? Martial le pensa.