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Quand son fils prenait ce ton hautain et glacé, le duc ne trouvait rien à répondre; il s’en indignait, mais c’était plus fort que lui.

– Bast!… fit M. de Courtomieu, si ce coquin-là s’était seulement blessé, nous le saurions…

Ce fut l’opinion de Chupin qui, mandé par le duc, venait d’arriver.

Mais le vieux maraudeur, si loquace d’ordinaire et si empressé, répondit brièvement, et, chose étrange, n’offrit point ses services.

De son imperturbable assurance, de son impudence familière, de son sourire obséquieux et bas, rien ne restait.

Son œil trouble, la contraction de ses traits, son air sombre, le tressaillement qui par intervalles le secouait, tout trahissait la détresse de son âme…

Si visible était le changement, que M. de Sairmeuse le remarqua.

– Quelle mésaventure t’est arrivée, maître Chupin? demanda-t-il.

– Il est arrivé, répondit d’une voix rauque l’ancien braconnier, que pendant que je me rendais ici, les enfants de la ville m’ont jeté de la boue et des pierres… Je courais, ils me poursuivaient en criant: Traître!… Infâme!…

Ses poings se crispaient dans le vide, comme s’il eût médité quelque vengeance, et il ajouta:

– Ils sont contents, les gens de Montaignac, ils savent l’évasion du baron et ils se réjouissent.

Hélas!… cette joie des habitants de Montaignac devait être de courte durée.

Ce jour était désigné pour l’exécution des condamnés à mort.

Jugés par un conseil de guerre, ils devaient être passés par les armes.

C’était un vendredi.

À midi, les portes furent fermées et les troupes prirent les armes.

L’impression fut profonde, terrible, quand les funèbres roulements des tambours annoncèrent les préparatifs de l’épouvantable holocauste.

La consternation et une sorte d’épouvante se répandirent dans la ville; un silence de mort se fit, qui de proche en proche gagna tous les quartiers; les rues devinrent désertes et bientôt on put voir chaque habitant fermer ses fenêtres et ses portes…

Enfin, comme trois heures sonnaient, les portes de la citadelle s’ouvrirent et donnèrent passage à quatorze condamnés, qui s’avancèrent lentement, accompagnés chacun d’un prêtre…

Quatorze!… Pris de remords et d’effroi au dernier moment, M. de Courtomieu et le duc de Sairmeuse avaient suspendu l’exécution de six condamnés, et en ce moment même, un courrier emportait vers Paris six demandes de grâce, signées par la commission militaire.

Chanlouineau n’était pas au nombre de ceux pour qui on sollicitait la clémence royale…

Tiré de son cachot, sans avoir appris si oui ou non sa lettre avait été inutile, il comptait avec une poignante anxiété les condamnés…

Il y eut un moment où ses regards eurent une telle expression d’angoisse, que le prêtre qui l’accompagnait se pencha vers lui en murmurant:

– Qui cherchez-vous des yeux, mon fils?…

– Le baron d’Escorval.

– Il s’est évadé cette nuit.

– Ah!… je mourrai donc content!… s’écria l’héroïque paysan.

Il mourut sans pâlir, comme il se l’était promis, calme et fier, le nom de Marie-Anne sur les lèvres…

XXXIII

Eh bien!… il y eut une femme, une jeune fille, que n’émurent ni ne touchèrent les lamentables scènes dont Montaignac était le théâtre.

Mlle Blanche de Courtomieu demeura souriante comme de coutume, au milieu d’une population en deuil; ses yeux si beaux restèrent secs pendant que coulaient tant de pleurs.

Fille d’un homme qui, durant une semaine, exerça une véritable dictature, elle n’essaya pas d’arracher au bourreau un seul des malheureux qui furent jetés à la commission militaire.

On avait arrêté sa voiture sur le grand chemin!… Voilà le crime que Mlle de Courtomieu ne pouvait oublier…

Elle n’avait dû qu’à l’intercession de Marie-Anne, de n’être pas retenue prisonnière. Voilà ce qu’il était au-dessus de ses forces de pardonner.

Aussi, est-ce avec l’exagération du ressentiment que le lendemain, en arrivant à Montaignac, elle avait raconté à son père ce qu’elle appelait «ses humiliations,» l’incroyable arrogance de la fille de Lacheneur et l’épouvantable brutalité des paysans.

Et quand le marquis de Courtomieu lui demanda si elle consentirait à déposer contre le baron d’Escorval, elle répondit froidement:

– Je crois que c’est mon devoir, et je le remplirai, quoiqu’il soit pénible.

Elle ne pouvait ignorer, on ne lui laissa pas ignorer que sa déposition serait un arrêt de mort, elle persista, parant sa haine et son insensibilité des noms de vertu et de sacrifice à la bonne cause.

Au moins faut-il lui rendre cette justice que son témoignage fut sincère.

Elle croyait réellement, en son âme et conscience, que c’était le baron d’Escorval qui se trouvait parmi les conjurés sur la route de Sairmeuse, et dont Chanlouineau avait invoqué l’opinion.

Cette erreur de Mlle Blanche, qui fut celle de beaucoup de gens, venait de l’habitude où on était dans le pays de ne jamais désigner Maurice que par son prénom.

En parlant de lui, on disait: M. Maurice. Quand on disait M. d’Escorval, c’est qu’il s’agissait du baron.

Du reste, une fois cette accablante déposition écrite et signée de sa jolie et petite écriture aristocratique, bien fine et bien sèche, Mlle de Courtomieu affecta pour les événements la plus profonde indifférence.

Elle voulait qu’il fût bien dit que rien de ce qui touchait des gens de rien, comme ces pauvres paysans, n’était capable de troubler la sérénité de son orgueil.

On ne l’entendit pas adresser une seule question.

Mais cette superbe indifférence était jouée. En réalité, au fond de son âme, Mlle de Courtomieu bénissait cette conspiration avortée qui faisait verser tant de larmes et tant de sang.

Marie-Anne n’était-elle pas, la pauvre jeune fille, emportée par le tourbillon des événements!…

– Maintenant, pensait-elle, le marquis me reviendra, et je lui aurai vite fait oublier cette effrontée qui l’avait ensorcelé.

Chimères!… Le charme s’était évanoui qui avait fait flotter indécise la passion de Martial entre Mlle de Courtomieu et la fille de Lacheneur.

Surpris d’abord par les grâces pénétrantes de Mlle Blanche, il avait fini par distinguer l’expérience cruelle et la profondeur de calcul dissimulées sous les apparences d’une adorable candeur.