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«Vous lui avez, en effet, porté des cordes pour qu’il puisse s’évader, mais d’avance, sans qu’il y parût rien, elles avaient été coupées, et mon père a été précipité du haut des roches de la citadelle.

«Vous avez forfait à l’honneur, Monsieur, et souillé votre nom d’un opprobre ineffaçable. Tant qu’une goutte de sang me restera dans les veines, par tous moyens, je poursuivrai la vengeance de votre lâche et vile trahison.

En me tuant, vous échapperiez il est vrai à la flétrissure que je vous réserve… Consentez à vous battre avec moi… Dois-je vous attendre demain sur les landes de la Rèche?… À quelle heure? Avec quelles armes?…

«Si vous êtes le dernier des hommes, vous pouvez me donner rendez-vous et envoyer des gendarmes qui m’arrêteront. C’est un moyen.

«MAURICE D’ESCORVAL.»

Le duc de Sairmeuse était désespéré. Il voyait le secret de l’évasion du baron livré… c’était sa fortune politique renversée.

– Malheureux, disait-il à son fils, malheureux!… tu nous perds!…

Martial n’avait pas seulement paru l’entendre. Quand il eut terminé:

– Eh bien?… demanda-t-il au marquis de Courtomieu.

– Je continue à ne pas comprendre… dit froidement le vieux gentilhomme, qui avait eu le temps de se remettre.

Martial eut un si terrible mouvement, que tout le monde crut qu’il allait frapper cet homme qui était son beau-père depuis quelques heures.

– Eh bien!… moi, je comprends!… s’écria-t-il. Je sais maintenant qui était cet officier qui s’est introduit dans la chambre où j’avais déposé les cordes… et je sais ce qu’il y allait faire!

Il avait froissé la lettre de Maurice entre ses mains, il la lança au visage de M. de Courtomieu, en disant:

– Voilà votre salaire… lâche!

Ainsi atteint, le baron s’affaissa sur un fauteuil, et déjà Martial sortait entraînant Jean Lacheneur, quand sa jeune femme éperdue lui barra le passage.

– Vous ne sortirez pas, s’écria-t-elle exaspérée, je ne le veux pas!… Où allez-vous?… Rejoindre la sœur de ce jeune homme, que je reconnais maintenant!… Vous courez retrouver votre maîtresse…

Hors de soi, Martial repoussa sa femme…

– Malheureuse, fit-il, vous osez insulter la plus noble et la plus pure des femmes… Eh bien!… oui, je vais retrouver Marie-Anne… Adieu!…

Et il passa…

XXXV

Étroite était la saillie de rocher où avaient dû prendre pied en fuyant le baron d’Escorval et le caporal Bavois.

À son point le plus large, elle ne mesurait pas plus d’un mètre et demi.

Elle était extrêmement inégale, en outre, glissante, toute rugueuse, et coupée de fissures et de crevasses.

S’y tenir debout, en plein jour, avec le mur de la tour plate derrière soi, et devant un précipice, eût été considéré comme une grave imprudence.

À plus forte raison était-il périlleux de laisser glisser de là, en pleine nuit, un homme attaché à l’extrémité d’une longue corde.

Aussi, avant de hasarder la descente du baron, l’honnête Bavois avait-il pris toutes les précautions possibles pour n’être pas entraîné par le poids qu’il aurait à soutenir.

Sa pince de fer logée solidement dans une fente, servit à son pied de point d’appui, il s’assit solidement sur ses jarrets, le buste bien en arrière, et c’est seulement quand il fut bien sûr de sa position qu’il dit au baron:

– J’y suis, et ferme… laissez-vous couler, bourgeois!…

La corde rompant tout à coup, le baron tombant, l’effort devenant inutile, le brave caporal fut lancé violemment contre le mur de la tour, et rejeté en avant par le contre-coup.

Sans son inaltérable sang-froid, c’en était fait de lui…

Pendant plus d’une minute, tout le haut de son corps fut suspendu au-dessus de l’abîme où venait de rouler M. d’Escorval, et ses bras se crispèrent dans le vide.

Un mouvement brusque, et il était précipité.

Mais il eut cette puissance de volonté merveilleuse de ne tenter aucun effort violent. Prudemment, mais avec une énergie obstinée, il s’accrocha des genoux et du bout des pieds aux aspérités du roc, ses mains cherchèrent un point d’appui, il obliqua doucement, et enfin reprit plante…

Il était temps, car une crampe lui vint, si violente qu’il fut contraint de s’asseoir.

Que le baron se fut tué sur le coup, c’est ce dont il ne doutait pas… Mais cette catastrophe ne pouvait troubler l’intelligence de ce vieux soldat, qui, aux jours de bataille, avait eu tant de camarades emportés à ses côtés par le brutal.

Ce qui le confondait, c’était que la corde se fût rompue au raz de sa main… une corde si grosse, qu’on eût jugée, à la voir, solide assez pour supporter dix fois le poids du corps du baron.

Comme il ne pouvait, à cause de l’obscurité, voir le point de rupture, Bavois promena son doigt dessus, et à son inexprimable étonnement, il le trouva lisse…

Point de filaments, point de brins de chanvre, comme après un arrachement… la section était nette.

Le caporal comprit, comme Maurice avait compris en bas, et il lâcha son plus effroyable juron.

– Cent millions de tonnerres!… Les canailles ont coupé la corde!…

Et un souvenir qui ne remontait pas à quatre heures lui revenant:

– Voilà donc, pensa-t-il, la cause du bruit qu’avait entendu ce pauvre baron dans la chambre à côté!… Et moi qui lui disais: «Bast! c’est les rats!»

Cependant il songea qu’il avait un moyen simple de vérifier l’exactitude de ses conjectures. Il passa la corde sur la pince et tira dessus de toutes ses forces et par saccades… Elle se rompit en trois endroits.

Cette découverte consterna le vieux soldat.

– Vous voici dans de beaux draps, caporal, grommela-t-il.

Une partie de la corde était tombée avec le malheureux baron, et il était clair que tous les morceaux réunis ne suffiraient pas pour atteindre le bas du rocher.

De cette saillie isolée, il était impossible de gagner le terre-plein de la citadelle.

Avec ce rapide coup d’œil des gens d’exécution, l’honnête Bavois envisagea la situation sous toutes ses faces, et il la vit désespérée.

– Allons, murmura-t-il, vous êtes flambé, caporal, il n’y a pas à dire mon bel ami! Au jour, on arrive et on trouve vide la prison du baron… On met le nez à la fenêtre, et on vous aperçoit ici, comme un saint de pierre sur son piédestal… Naturellement, on vous repêche, on vous juge, on vous condamne, et on vous mène faire un tour dans les fossés de la citadelle… Portez armes!… Apprêtez armes!… Joue!… Feu!… Et voilà l’histoire.