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– Je voudrais bien voir le pauvre homme?… demanda-t-il tristement.

– Approchez, mon brave, ne craignez rien, avancez!…

Il s’avança, et à la lueur tremblante d’une bougie que tenait Marie-Anne, il vit un spectacle qui le remua, lui qui pourtant, plus d’une fois, avait fait la «corvée du champ de bataille.»

Le baron était étendu à terre, tout de son long, sur le dos, la tête appuyée sur les genoux de Mme d’Escorval…

Il n’était pas défiguré; la tête n’avait point porté dans la chute, mais il était pâle comme la mort même, et ses yeux étaient fermés…

Par intervalles, une convulsion le secouait, il râlait, et alors une gorgée de sang sortait de sa bouche, glissait le long de ses lèvres et coulait jusque sur sa poitrine…

Ses vêtements avaient été hachés, littéralement, et on voyait que tout son corps n’était pour ainsi dire qu’une effroyable plaie.

Agenouillé près du blessé, l’abbé Midon, avec une dextérité admirable, étanchait le sang et fixait des bandes qui provenaient du linge de toutes les personnes présentes.

Maurice et un officier à la demi-solde l’aidaient.

– Ah! si je tenais le gredin qui a coupé la corde, murmurait le caporal violemment ému; mais patience, je le retrouverai…

– Vous le connaissez?…

– Que trop!

Il se tut; l’abbé Midon venait déterminer tout ce qu’il était possible de faire là, et il haussait un peu le blessé sur les genoux de Mme d’Escorval.

Ce mouvement arracha au malheureux un gémissement qui trahissait des souffrances atroces. Il ouvrit les yeux et balbutia quelques paroles… c’étaient les premières.

– Firmin!… murmura-t-il, Firmin!…

C’était le nom d’un secrétaire qu’avait eu le baron autrefois, qui lui avait été absolument dévoué, mais qui était mort depuis plusieurs années.

Le baron n’avait donc pas sa raison, qu’il appelait ce mort!…

Il avait du moins un sentiment vague de son horrible situation, car il ajouta d’une voix étouffée, à peine distincte:

– Ah!… que je souffre!… Firmin, je ne veux pas tomber vivant entre les mains du marquis de Courtomieu… Tu m’achèveras plutôt… tu entends, je te l’ordonne…

Et ce fut tout: ses yeux se refermèrent, et sa tête qu’il avait soulevée retomba inerte. On put croire qu’il venait de rendre le dernier soupir.

Les officiers le crurent, et c’est avec une poignante anxiété qu’ils entraînèrent l’abbé Midon à quelques pas de Mme d’Escorval.

– Est-ce fini, monsieur le curé? demandèrent-ils; espérez-vous encore?…

Le prêtre hocha tristement la tête, et du doigt montrant le ciel:

– J’espère en Dieu!… prononça-t-il.

L’heure, le lieu, l’émotion de l’horrible catastrophe, le danger présent, les menaces de l’avenir, tout se réunissait pour donner aux paroles du prêtre une saisissante solennité.

Si vive fut l’impression, que pendant plus d’une minute les officiers à demi-solde demeurèrent silencieux, remués profondément, eux, de vieux soldats, dont tant de scènes sanglantes avaient dû émousser la sensibilité.

Maurice qui s’approcha, suivi du caporal Bavois, les rendit au sentiment de l’implacable réalité.

– Ne devons-nous pas nous hâter d’emporter mon père, monsieur l’abbé? demanda-t-il. Ne faut-il pas qu’avant ce soir nous soyons en Piémont?…

– Oui!… s’écrièrent les officiers, partons!

Mais le prêtre ne bougea pas, et d’une voix triste:

– Essayer de transporter M. d’Escorval de l’autre côté de la frontière, serait le tuer, prononça-t-il.

Cela semblait si bien un arrêt de mort que tous frémirent.

– Que faire, mon Dieu!… balbutia Maurice, quel parti prendre!

Pas une voix ne s’éleva. Il était clair que du prêtre seul on attendait une idée de salut.

Lui réfléchissait, et ce n’est qu’au bout d’un moment qu’il reprit:

– À une heure et demie d’ici, au-delà de la Croix-d ’Arcy, habite un paysan dont je puis répondre, un nommé Poignot, qui a été autrefois le métayer de M. Lacheneur. Il exploite maintenant, avec l’aide de ses trois fils, une ferme assez vaste. Nous allons nous procurer un brancard et porter M. d’Escorval chez cet honnête homme.

– Quoi!… monsieur le curé, interrompit un des officiers, vous voulez que nous cherchions un brancard à cette heure aux environs!

– Il le faut.

– Mais cela ne va pas manquer d’éveiller des soupçons.

– Assurément.

– La police de Montaignac nous suivra à la piste.

– J’y compte bien.

– Le baron sera repris…

– Non.

L’abbé s’exprimait de ce ton bref et impérieux de l’homme qui assumant toute la responsabilité d’une situation, veut être obéi sans discussion.

– Une fois le baron déposé chez Poignot, reprit-il, l’un de vous, messieurs, prendra sur le brancard la place du blessé, les autres le porteront, et tous ensemble vous tâcherez de gagner le territoire piémontais. Seulement, entendons-nous bien. Arrivés à la frontière, mettez toute votre adresse à être maladroits, cachez-vous, mais de telle façon qu’on vous voie partout…

Tout le monde, maintenant, comprenait le plan si simple du prêtre.

De quoi s’agissait-il?… simplement de créer une fausse piste destinée à égarer les agents que lanceraient M. de Courtomieu et le duc de Sairmeuse.

Du moment où il paraîtrait bien prouvé que le baron avait été aperçu dans les montagnes, il serait en sûreté chez Poignot…

– Encore un mot, messieurs, ajouta l’abbé. Il importe de donner au cortège du faux blessé toutes les apparences de la suite qui eût accompagné M. d’Escorval… Mlle Lacheneur vous suivra donc, et aussi Maurice. On sait que je ne quitterais pas le baron, qui est mon ami, et ma robe me désigne à l’attention; l’un de vous revêtira ma robe… Dieu nous pardonnera ce travestissement en faveur du motif…

Il ne s’agissait plus que de se procurer le brancard, et les officiers délibéraient pour décider à quelle porte prochaine ils iraient frapper, quand le caporal Bavois les interrompit.

– Pardon, excuse, fit-il; ne vous dérangez pas, je connais, à dix enjambées d’ici, un coquin d’aubergiste qui aura mon affaire…

Il dit, partit en courant, et moins de cinq minutes plus tard, reparut, portant une manière de civière, un mince matelas et une couverture. Il avait pensé à tout…