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– Rassurez-vous, disait-elle à Maurice, qu’elle voyait dévoré d’inquiétude, je connais des herbes, cueillies dans la montagne, au clair de lune… vous verrez…

Connaissait-elle des herbes, en effet, la nature violentée reprit-elle seule son équilibre, toujours est-il que dans la soirée du troisième jour, on entendit Marie-Anne murmurer quelques paroles.

– Pauvre jeune fille!… disait-elle, pauvre malheureuse!…

C’était d’elle-même qu’elle parlait.

Par un phénomène fréquent, après les crises où a sombré l’intelligence, elle doutait de soi, ou pour mieux dire, elle se percevait double.

Il lui semblait que c’était une autre qui avait été victime de tous les malheurs dont le souvenir, peu à peu, lui revenait, trouble et confus comme les réminiscences d’un rêve pénible, au matin…

Toutes les scènes douloureuses et sanglantes qui avaient empli les derniers mois de sa vie, se déroulaient devant elle, comme les actes divers d’un drame sur un théâtre.

Que d’événements, depuis ce dimanche d’août, où, sortant de l’église avec son père, elle avait appris l’arrivée du duc de Sairmeuse.

Et tout cela avait tenu dans huit mois!…

Quelle différence entre ce temps où elle vivait heureuse, honorée et enviée, dans ce beau château de Sairmeuse dont elle se croyait la maîtresse, et l’heure présente, où elle gisait fugitive et abandonnée, dans une misérable chambre d’auberge, soignée par une vieille femme qu’elle ne connaissait pas, sans autre protection que celle d’un vieux soldat qui avait déserté, et celle de son amant proscrit… Car elle avait un amant!…

De ce grand naufrage de ses chères ambitions et de toutes ses espérances, de sa fortune, de son bonheur, et de son avenir, elle n’avait pas même sauvé son honneur de jeune fille!…

Mais était-elle responsable toute seule?

Qui donc lui avait imposé le rôle odieux qu’elle avait joué entre Maurice, Martial et Chanlouineau?

À ce dernier nom traversant sa pensée, toute la scène du cachot, soudainement, lui apparut comme aux lueurs d’un éclair.

Chanlouineau, condamné à mort, lui avait remis une lettre en lui disant:

– Vous la lirez quand je ne serai plus…

Elle pouvait la lire, maintenant qu’il était tombé sous les balles!… Mais qu’était-elle devenue?… Depuis le moment où elle l’avait reçue elle n’y avait pas pensé…

Elle se souleva, et d’une voix brève:

– Ma robe!… demanda-t-elle à la vieille assise près du lit, donnez-moi ma robe!…

La vieille obéit, et d’une main fiévreuse Marie-Anne palpa la poche.

Elle eut une exclamation de joie, elle sentait un froissement sous l’étoffe, elle tenait la lettre.

Elle l’ouvrit, la lut lentement à deux reprises et, se laissant retomber sur son oreiller, fondit en larmes…

Inquiet, Maurice s’approcha.

– Qu’avez-vous, mon Dieu!… demanda-t-il d’une voix émue.

Elle lui tendit la lettre en disant:

– Lisez.

Chanlouineau n’était qu’un pauvre paysan.

Toute son instruction lui venait d’un vieil instituteur de campagne, dont il avait fréquenté l’école pendant trois hivers, et qui s’inquiétait infiniment moins de l’application de ses élèves que de la grosseur de la bûche qu’ils apportaient chaque matin.

Sa lettre, écrite sur le papier le plus commun, avait été fermée avec un de ces maîtres pains à cacheter, larges et épais comme une pièce de deux sous, que l’épicier de Sairmeuse débitait au quarteron.

Pénible était l’écriture. Lourde et toute tremblée, elle trahissait la main roide de l’homme qui a manié la bêche plus que la plume.

Les lignes s’en allaient en zig-zag, vers le haut ou vers le bas de la page, et les fautes d’orthographes s’y enlaçaient…

Mais si l’écriture était d’un paysan vulgaire, la pensée était digne des plus nobles et des plus fiers, des plus hauts selon le monde.

Voici ce qu’avait écrit Chanlouineau, la veille, très probablement, du soulèvement:

«Marie-Anne,

«Le complot va donc éclater. Qu’il réussisse ou qu’il échoue, j’y serai tué… Cela a été décidé par moi et arrêté le jour où j’ai su que vous ne pouviez plus ne pas épouser Maurice d’Escorval.

«Mais le complot ne réussira pas, et je connais assez votre père pour savoir qu’il ne voudra pas survivre à sa défaite.

«Si Maurice et votre frère Jean venaient à être frappés mortellement, que deviendriez-vous, ô mon Dieu?… En seriez-vous donc réduite à tendre la main aux portes?…

«Je ne fais que penser à cela en dedans de moi, continuellement. J’ai bien réfléchi et voici ma dernière volonté:

«Je vous donne et lègue en toute propriété, tout ce que je possède:

«Ma maison de la Borderie, avec le jardin et les vignes qui en dépendent, les taillis et les pâtures de Bérarde et cinq pièces de terre au Valrollier.

«Vous trouverez le détail de cela et de diverses choses encore dans mon testament en votre faveur, déposé chez le notaire de Sairmeuse…

«Vous pouvez accepter sans craindre, car n’ayant point de parents je suis maître de mon bien.

«Si vous ne voulez pas rester dans le pays, le notaire vous trouvera aisément du tout une quarantaine de mille-francs…

«Mais vous ferez bien, surtout en cas de malheur, de rester dans notre contrée. La maison de la Borderie est commode à habiter, depuis que j’ai fait diviser le bas en trois pièces, et que j’ai fait réparer le fourneau de la cuisine.

«Au premier est une chambre qui a été arrangée par le plus fameux tapissier de Montaignac… qu’elle devienne la vôtre.

«J’avais voulu qu’on y mit tout ce qu’on connaît de plus beau, dans un temps où j’étais fou, et où je me disais que peut-être cette chambre serait la nôtre. Les droits de «main-morte» seront chers, mais j’ai un peu de comptant. En soulevant la pierre du foyer de la belle chambre, vous trouverez dans une cachette trois cent vingt-sept louis d’or et cent quarante écus de six livres…

«Si vous refusiez cette donation, c’est que vous voudriez me désespérer jusque dans la terre… Acceptez, sinon pour vous, du moins pour… je n’ose pas écrire cela, mais vous ne me comprenez que trop.

«Si Maurice n’est pas tué, et je tâcherai d’être toujours entre les balles et lui, il vous épousera… Alors, il vous faudra peut-être son consentement pour accepter ma donation. J’espère qu’il ne le refusera pas. On n’est pas jaloux de ceux qui sont morts!