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– Je me retire, monsieur, prononça-t-il.

Mais le paysan, laissant retomber sa large main sur l’épaule de son hôte, le força à se rasseoir.

– Ce n’est point pour vous chasser que j’ai parlé, monsieur, dit-il. Vous êtes chez moi, vous y resterez jusqu’à ce que je trouve un moyen de pourvoir à votre sûreté…

La jolie paysanne sauta au cou de son mari, et avec l’accent de la passion la plus vive:

– Ah! tu es un brave homme, Antoine! s’écria-t-elle.

Il sourit, embrassa tendrement sa femme, puis lui montrant la porte restée ouverte:

– Veille, dit-il.

M. Lacheneur put croire que la destinée enfin se lassait.

– Je dois vous avouer, monsieur, reprit l’honnête montagnard, que vous sauver ne sera pas facile… Les promesses d’argent ont mis en mouvement tous les mauvais gueux du pays… On vous sait aux environs… Un gredin d’aubergiste a passé la frontière tout exprès pour vous dénoncer aux gendarmes français…

– Balstain.

– Oui, Balstain, et il vous cherche… Ce n’est pas tout. Comme je traversais Saint-Pavin, remontant ici, j’ai vu arriver huit soldats à cheval, guidés par un paysan à cheval comme eux… Ils ont déclaré qu’ils vous savaient caché dans le village et ils se sont mis à visiter toutes les maisons…

Ces soldats n’étaient autres que les chasseurs de Montaignac confiés à Chupin par le duc de Sairmeuse.

Et, en effet, ils faisaient bien ce que disait Antoine.

Cette besogne n’était certes pas de leur goût, mais ils étaient surveillés de près par le sous-officier qui les commandait.

Ce sous-officier n’était pas un méchant homme, mais il avait été, le long de la route, endoctriné par Chupin, lequel avait poussé l’impudence jusqu’à lui promettre l’épaulette, au nom de M. de Sairmeuse, si les investigations étaient couronnées de succès.

Antoine, cependant, exposait à M. Lacheneur ses espérances et ses craintes.

– Epuisé et blessé comme vous l’êtes, lui disait-il, vous ne serez pas en état d’entreprendre une longue marche avant quinze jours… Jusque-là il faut vous cacher… Je connais, par bonheur, une retraite sûre, à deux portées de fusil dans la montagne… Je vous y conduirai, de nuit, avec des provisions pour une semaine…

Un cri étouffé de sa femme l’interrompit.

Il se retourna, et l’aperçut toute défaillante, appuyée au montant de la porte, plus blanche que ses coiffes, le bras roidi vers le sentier qui de Saint-Pavin conduisait à la cabane.

Elle disait:

– Les soldats!… ils viennent!

Plus prompts que la pensée, Lacheneur et l’honnête montagnard se précipitèrent vers la porte, allongeant la tête pour voir sans se montrer.

La jeune femme n’avait dit que trop vrai.

Les chasseurs de Montaignac gravissaient le sentier lentement, embarrassés qu’ils étaient par leurs lourdes bottes éperonnées, mais obstinément.

En avant marchait Chupin, qui de l’exemple, de la voix et du geste les animait.

Une parole imprudente de ce petit berger qu’il avait questionné venait, il n’y avait pas vingt minutes, de décider du sort de M. Lacheneur.

Revenu à Saint-Pavin et apprenant que les soldats cherchaient le chef des conjurés, cet enfant avait dit au hasard:

– Je l’ai rencontré, moi, sur «les hauts,» il m’a demandé son chemin, et je l’ai vu descendre par le sentier qui passe devant la cabane des Antoine.

Et, à l’appui de son dire, il montrait fièrement la pièce blanche que «le monsieur» lui avait donnée.

– Du coup, s’était écrié Chupin transporté, nous tenons notre homme! En route, camarades!…

Et maintenant, le petit détachement n’était pas à plus de deux cents pas de la maison où le proscrit avait trouvé asile…

Antoine et sa femme se regardaient, et une angoisse pareille se lisait dans leurs yeux.

Ils voyaient leur hôte irrémissiblement perdu.

– Cependant, il faut le sauver, dit la jolie jeune femme, il le faut…

– Oui, il le faut!… répéta le mari d’un air sombre. On me tuera avant de porter la main sur mon hôte, dans ma maison!…

– S’il se cachait dans le grenier, derrière les bottes de paille…

– On le trouverait… Ces soldats sont pires que des tigres, et le vil gredin qui les mène doit avoir le flair d’un chien de chasse.

Il s’interrompit, pour prendre un parti, et vivement:

– Venez, monsieur!… dit-il, sautons par la fenêtre de derrière et gagnons la montagne… On nous verra… qu’importe!… Ces cavaliers à pied ne doivent pas être lestes… Si vous ne pouvez pas courir, je vous porterai… On nous tirera sans doute des coups de fusil, mais on nous manquera…

– Et votre femme?… fit Lacheneur.

L’honnête montagnard frissonna, mais il dit:

– Elle nous rejoindra.

Lacheneur lui prit la main qu’il serra avec un attendrissement dont il ne cherchait ni à se cacher ni à se défendre.

– Ah!… vous êtes de braves gens!… dit-il, et Dieu vous récompensera de votre pitié pour le pauvre proscrit… Mais vous avez trop fait déjà… Je serais le plus lâche des hommes si je vous exposais inutilement… Je ne puis plus, je ne veux plus être sauvé.

Il attira à lui la jeune femme qui sanglotait, et l’embrassant sur le front:

– J’ai une fille, murmura-t-il, belle comme vous, mon enfant, comme vous, généreuse et fière… Pauvre Marie-Anne!… Qu’est-elle devenue, elle que j’ai impitoyablement sacrifiée à mes rancunes?… Allez! il ne faut pas me plaindre, quoi qu’il m’arrive… je l’ai mérité.

Le bruit des bottes sur le sentier devenait de plus en plus distinct. Lacheneur se redressa, rassemblant pour l’heure décisive toute l’énergie dont son âme altière était capable…

– Restez!… commanda-t-il à Antoine et à sa femme. Moi, je sors, je ne veux pas qu’on m’arrête chez vous.

Il sortit, en disant cela, d’un pas ferme, le front haut, le regard calme et assuré.

Les soldats arrivaient.

– Holà!… leur cria-t-il d’une voix forte, c’est Lacheneur que vous cherchez, n’est-ce pas?… Me voici!… Je me rends.

Pas une acclamation ne répondit.

La mort qui planait au-dessus de sa tête imprimait à sa personne une si imposante majesté, que les soldats s’arrêtèrent frappés de respect.