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Si invraisemblable était cette scène, que le baron n’en voulait pas croire ses oreilles.

– «Il est clair que tout en me croyant fort éveillé, je rêve,» se disait-il.

Cependant le nouveau venu avait à demi étouffé un terrible juron, et d’un ton presque menaçant, il poursuivait:

– C’est ce qu’il faudra voir!… Si vous devenez fou, j’ai toute ma raison, Dieu merci!… Je ne permettrai pas…

– Pardon!… interrompit froidement l’homme à la corde, vous permettrez… Ceci est le résultat de votre… crédulité. C’est quand Chanlouineau vous demandait à recevoir la visite de Marie-Anne, qu’il fallait dire: «Je ne permets pas!» Savez-vous ce qu’il voulait, ce garçon? Simplement remettre à Mlle Lacheneur une lettre de moi, si compromettante que si jamais elle arrivait entre les mains de tel personnage que je sais, mon père et moi n’aurions plus qu’à retourner à Londres. Alors, adieu les projets d’union entre nos deux familles…

Le dernier venu eut un gros soupir accompagné d’une exclamation chagrine, mais déjà l’autre poursuivait:

– Vous-même, marquis, seriez sans doute compromis… N’avez-vous pas été quelque peu chambellan de Bonaparte, du vivant de votre seconde ou de votre troisième femme? Ah! marquis, comment un homme du votre expérience, pénétrant et subtil, a-t-il pu se laisser prendre aux simagrées d’un grossier paysan!…

Maintenant, M. d’Escorval comprenait…

Il ne dormait pas; c’était le marquis de Courtomieu et Martial de Sairmeuse qui causaient de l’autre côté du mur…

Même, ce pauvre M. de Courtomieu avait été si prestement et si habilement écrasé par Martial, qu’il ne discutait plus.

– Et cette terrible lettre?… soupira-t-il.

– Marie-Anne l’a remise à l’abbé Midon, qui est venu me trouver en disant: «Ou le baron s’évadera, ou cette lettre sera portée à M. le duc de Richelieu.» J’ai opté pour l’évasion. L’abbé s’est procuré tout ce qui était nécessaire, il m’a donné rendez-vous dans un endroit écarté sur le rempart, il m’a entortillé toute cette corde autour du corps, et me voici…

– Ainsi, vous pensez que si le baron s’échappe on vous rendra la lettre?…

– Parbleu!…

– Pauvre jeune homme!… détrompez-vous. Le baron sauvé, on vous demandera la vie d’un autre condamné avec les mêmes menaces…

– Point!

– Vous verrez!

– Je ne verrai rien, par une raison fort simple, c’est que j’ai cette lettre dans ma poche… L’abbé Midon me l’a restituée en échange de ma parole d’honneur…

Le cri de M. de Courtomieu prouva qu’il tenait le curé de Sairmeuse pour un peu plus simple qu’il ne convient.

– Quoi!… fit-il, vous tenez la preuve et… Mais c’est de la démence! Brûlez à la flamme de cette lanterne ce papier maudit, laissez le baron où il est et allez dormir un bon somme.

Le silence de Martial trahit une sorte de stupeur.

– Feriez-vous donc cela, vous, monsieur le marquis? demanda-t-il.

– Certes!… et sans hésiter…

– Eh bien! je ne vous en fais pas mon compliment.

L’impertinence était si forte, que M. de Courtomieu eut comme une velléité de colère et presque l’envie de se fâcher.

Mais ce n’était pas un homme de premier mouvement, cet ancien chambellan de l’empereur, devenu grand prévôt de la Restauration.

Il réfléchit… Devait-il, pour un mot piquant, se brouiller avec Martial, avec ce prétendant inespéré qu’avait agréé sa fille… Une rupture… plus de gendre! Le ciel lui en enverrait-il un autre? Et quelle ne serait pas la fureur de Mlle Blanche.

Il avala donc l’amère pilule, et c’est avec l’accent d’une indulgence toute paternelle qu’il dit:

– Vous êtes jeune, mon cher Martial…

Toujours agenouillé contre la porte murée, retenant son haleine, l’œil et l’oreille au guet, toutes les forces de son esprit tendues jusqu’à la souffrance, le baron d’Escorval respira…

– Vous n’avez que vingt ans, mon cher Martial, poursuivait M. de Courtomieu d’un ton paterne, vous avez l’ardente générosité de votre âge… Achevez donc votre entreprise, je n’y mettrai pas obstacle, seulement songez que tout peut être découvert, et alors…

– Rassurez-vous, monsieur, interrompit le jeune homme, toutes mes mesures sont bien prises… Avez-vous rencontré un soldat le long des corridors? Non. C’est que mon père, sur ma prière, a réuni tous les hommes de garde, même les factionnaires, sous prétexte de prescrire des précautions exceptionnelles… Il leur parle en ce moment. Voilà comment j’ai pu monter ici sans être aperçu… Nul ne me verra quand je sortirai… Qui donc après l’évasion oserait me soupçonner!…

– Si le baron s’évade, la justice se demandera qui l’a aidé…

Martial riait.

– Si la justice cherche, répondit-il, elle trouvera un coupable de ma façon… Allez, j’ai tout prévu… Je n’avais qu’une personne à craindre: vous. Un homme sûr vous a prié de ma part de me rejoindre ici, vous êtes venu, vous avez vu, vous me promettez de rester neutre… je suis tranquille. Le baron sera en Piémont, respirant l’air à pleins poumons, quand le soleil se lèvera.

Il avait fini d’arranger les cordes, il prit la lanterne et continua d’un ton léger:

– Mais sortons… mon père ne peut éternellement haranguer les soldats.

– Cependant, insista M. de Courtomieu, vous ne m’avez pas dit…

– Je vous dirai tout, mais ailleurs… venez, venez…

Ils sortirent, la serrure et les verroux grincèrent, et alors le baron se redressa.

Toutes sortes d’idées contradictoires, de suppositions bizarres, de doutes et de conjectures se pressaient dans son esprit.

Que contenait donc cette lettre?… Comment Chanlouineau ne s’en était-il pas servi pour son propre salut?… Qui jamais eût cru Martial si fidèle à une parole arrachée par des menaces?… Il s’inquiétait surtout de la façon dont lui parviendraient les cordes.

Mais c’était le moment d’agir, non de réfléchir… les barreaux étaient énormes et il y en avait deux rangées…

M. d’Escorval se mit à la besogne.

Il avait jugé sa tâche difficile!… Elle l’était mille fois plus qu’il ne l’avait soupçonné, il le reconnut tout d’abord.

C’était la première fois qu’il se servait d’une lime, et il ne savait comment la manœuvrer. Elle mordait, il est vrai, elle entamait le fer, mais avec une lenteur désespérante, et bien plus en surface qu’en profondeur.

Et ce n’était pas tout… Quelques précautions que prit le baron, chaque coup de lime rendait un son aigre, strident, qui glaçait son sang dans ses veines… Si on allait entendre ce bruit!… il lui paraissait impossible qu’on ne l’entendit pas, tant il lui semblait formidable!…