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Leur aurait-on donc refusé l’accès de sa prison?… Non, il ne pouvait le croire, il ne pouvait imaginer qu’il existât des hommes assez cruels pour empêcher un malheureux de presser contre son cœur, dans une suprême étreinte, avant de mourir, sa femme et son fils…

C’était donc que ni la baronne ni Maurice n’avaient essayé d’arriver jusqu’à lui. Comment cela se faisait-il?… Certainement, il était survenu quelque chose!… Quoi?

Son imagination lui représentait les pires malheurs… Il voyait sa femme agonisante, morte peut-être… Il voyait Maurice fou de douleur à genoux devant le lit de sa mère…

Mais ils pouvaient encore venir… Il consulta sa montre, elle marquait sept heures…

Mais il attendit vainement… Les tambours battirent la retraite, puis une demi-heure plus tard l’appel du soir… rien… personne!…

– Ah!… mourir ainsi, pensait cet homme si malheureux, c’est mourir deux fois!…

Il se disposait pourtant à écrire, quand des pas retentirent dans le corridor, nombreux, bruyants… Des éperons sonnaient sur les dalles, on entendait le bruit sec du fusil des factionnaires présentant les armes…

Tout palpitant, le baron se dressa en disant:

– C’est eux!…

Il se trompait, les pas s’éloignèrent…

– Une ronde!… murmura-t-il.

Mais au même moment, deux objets lancés par le judas de la porte roulèrent au milieu de la chambre…

M. d’Escorval se précipita…

On venait de lui jeter deux limes.

Son premier sentiment fut tout de défiance. Il savait qu’il est des geôliers qui mettent leur amour-propre à déshonorer leurs prisonniers avant de les livrer à l’exécuteur!…

Qui lui assurait qu’on n’espérait pas l’embarquer dans quelque aventure au bout de laquelle ne serait pas le salut, mais où il laisserait, sinon l’honneur, au moins la renommée de l’honneur.

Etait-elle amie ou ennemie, la main qui lui faisait parvenir ces instruments de délivrance et de liberté?

Les paroles de Chanlouineau et les regards dont elles étaient accompagnées se représentaient bien à sa mémoire, mais il n’en était que plus perplexe.

Il restait donc debout, le front plissé par l’effort de sa pensée, tournant et retournant ces limes fines et bien trempées, lorsqu’il aperçut à terre, plié menu, un papier qu’il n’avait pas remarqué tout d’abord.

Il le ramassa vivement, le déplia et lut:

«Vos amis veillent… Tout est prêt pour votre évasion… Hâtez-vous de scier les barreaux de votre fenêtre… Maurice et sa mère vous embrassent… Espoir, courage!»

Au-dessous de ces quelques lignes, pas de signature, un M.

Mais le baron n’avait pas besoin de cette initiale pour être rassuré. Il avait reconnu l’écriture de l’abbé Midon.

– Ah! celui-là est un véritable ami, murmura-t-il.

Puis, le souvenir des déchirements de son âme lui revenant:

– Voilà donc, pensa-t-il, pourquoi ni ma femme ni mon fils ne venaient veiller ma dernière veille!… Et je doutais de leur énergie, et je me plaignais de leur abandon!…

Une joie immense le pénétrait, il porta à ses lèvres cette lettre qui lui annonçait la vie, la liberté, et résolument il se dit:

– À l’œuvre!… à l’œuvre!…

Il avait choisi la plus fine des deux limes et il allait attaquer les énormes barreaux quand il lui sembla qu’on ouvrait la porte de la chambre voisine.

On l’ouvrait, positivement… On la referma, mais non à la clef… Puis on marcha avec une certaine précaution. Qu’est-ce que cela voulait dire? Etait-ce quelque nouvel accusé qu’on emprisonnait, ou mettait-on là un espion?

Prêtant l’oreille, le baron entendait un bruit absolument inconnu et dont il lui était absolument impossible d’expliquer la cause.

Inquiet, il s’avança à pas muets jusqu’à l’ancienne porte de communication, s’agenouilla et appliqua son œil à l’un des interstices de la légère maçonnerie…

Ce qu’il vit, dans l’autre chambre, faillit lui arracher un cri de stupeur.

Dans un des angles, un homme était debout, éclairé par une grosse lanterne d’écurie placée à ses pieds.

Il tournait sur lui-même, très vite, et par ce mouvement dévidait une longue corde roulée autour de son corps comme du fil sur une bobine…

M. d’Escorval se tâtait, pour s’assurer qu’il était bien éveillé, qu’il n’était pas le jouet d’un de ces rêves décevants, si cruels au réveil, qui bercent les prisonniers de promesses de liberté.

Evidemment cette corde lui était destinée. C’était elle qu’il attacherait à un des tronçons de ses barreaux brisés…

Mais comment cet homme se trouvait-il là, seul?…

De quelle autorité jouissait-il donc dans la citadelle qu’il avait pu, en dépit de la consigne des sentinelles et des rondes, s’introduire dans cette pièce?… Il n’était pas soldat, ou du moins il ne portait pas l’uniforme…

Malheureusement, la fente de la cloison était disposée de telle façon que le rayon visuel n’arrivait pas à hauteur d’homme, et quelques efforts que fit le baron, il lui était impossible d’apercevoir le visage de cet ami – il le jugeait tel – dont la bravoure touchait à la folie.

Cet homme, cependant, continuait son mouvement giratoire, et la corde, sur le carreau, près de lui, s’amoncelait en cercle… Il prenait, pour ne la point emmêler les plus grandes précautions.

Incapable de résister à la curiosité qui le peignait, M. d’Escorval était sur le point de frapper à la cloison pour interroger, quand la porte de la chambre où était celui qu’il appelait déjà son sauveur, s’ouvrit avec fracas…

Un homme y pénétra, dont la figure était également hors du champ de l’œil, et qui s’écria avec l’accent de la stupeur:

– Malheureux!… que faites-vous!…

Le baron, foudroyé, faillit tomber en arrière, à la renverse.

– Tout est découvert!… pensait-il.

Point. Celui que M. d’Escorval nommait déjà son ami, n’interrompit seulement pas son opération de dévidage, et c’est de la voix la plus tranquille qu’il répondit:

– Comme vous le voyez, je me débarrasse de tout ce chanvre, qui me gênait extraordinairement. Il y en a bien soixante livres, n’est-ce pas?… Et quel volume! Je tremblais qu’on ne le devinât sous mon manteau.

– Et pourquoi ces cordes?… interrogea le survenant.

– Je vais les faire passer à M. le baron d’Escorval, à qui j’ai déjà jeté une lime. Il faut qu’il s’évade cette nuit…