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Il venait d’apercevoir une difficulté imprévue, et dans sa pensée presque insurmontable.

– Avons-nous des intelligences dans la citadelle? murmura-t-il. Le concours d’un subalterne, d’un geôlier ou d’un soldat nous est indispensable.

Il se retourna vers son père, et brusquement:

– Avez-vous, lui demanda-t-il, un homme sur qui on puisse compter absolument?

– J’ai trois ou quatre espions… on pourrait les tâter…

– Jamais! le misérable qui trahit ses camarades pour quelques sous, nous trahirait pour quelques louis… Il nous faut un honnête homme, partageant les idées du baron d’Escorval… un ancien soldat de Napoléon, s’il est possible.

Il tomba dans une rêverie profonde, en proie évidemment aux pires perplexités…

– Qui veut agir doit se confier à quelqu’un, murmurait-il, et ici une indiscrétion perd tout!…

De même que Martial, Marie-Anne se torturait l’esprit, quand une inspiration qu’elle jugea divine lui vint.

– Je connais l’homme que vous demandez! s’écria-t-elle.

– Vous!

– Oui, moi!… À la citadelle!…

– Prenez garde!… Songez bien qu’il nous faut un brave capable de se dévouer et de risquer beaucoup… Il est clair que l’évasion venant à être découverte, les instruments seraient sacrifiés.

– Celui dont je vous parle est tel que vous le voulez… Je réponds de lui.

– Et c’est un soldat?…

– C’est un humble caporal… Mais par la noblesse de son cœur il est digne des plus hauts grades… Croyez-moi, monsieur le marquis, nous pouvons nous confier à lui sans crainte.

Si elle parlait ainsi, elle qui eût donné sa vie pour le salut du baron, c’est que sa certitude était complète, absolue.

Ainsi pensa Martial.

– Je m’adresserai donc à cet homme, fit-il, comment le nommez-vous?

– Il s’appelle Bavois et il est caporal à la 1re compagnie des grenadiers de la légion de Montaignac.

– Bavois!… répéta Martial, comme pour se bien fixer ce nom dans la mémoire, Bavois!… Mon père trouvera bien quelque prétexte pour le faire appeler.

– Oh! le prétexte est tout trouvé, monsieur le marquis. C’est ce brave soldat qui avait été laissé en observation à Escorval, après la visite domiciliaire…

– Tout va donc bien de ce côté, fit Martial, poursuivons…

Il s’était levé et il était allé s’adosser à la cheminée, se rapprochant ainsi de son père.

– Je suppose, monsieur, commença-t-il, que le baron d’Escorval a été séparé des autres condamnés…

– En effet… il est seul dans une chambre spacieuse et fort convenable.

– Où est-elle située, je vous prie?

– Au second étage de la tour plate.

Mais Martial n’était pas aussi bien que son père au fait des êtres de la citadelle de Montaignac; il fut un moment à chercher dans ses souvenirs.

– La tour plate, fit-il, n’est-ce pas cette tour si grosse qu’on aperçoit de si loin, et qui est construite à un endroit où le rocher est presque à pic?

– Précisément.

À l’empressement que M. de Sairmeuse mettait à répondre, empressement bien loin de son caractère si fier, il était aisé de comprendre qu’il était prêt à tenter beaucoup pour la délivrance du condamné à mort.

– Comment est la fenêtre de la chambre du baron? continua Martial.

– Assez grande… haute surtout… elle n’a pas d’abat-jour comme les fenêtres des cachots, mais elle est garnie de deux rangs de barres de fer croisées et scellées profondément dans le mur.

– Bast!… on vient aisément à bout d’une barre de fer avec une bonne lime… de quel côté ouvre cette fenêtre?

– Elle donne sur la campagne.

– C’est-à-dire sur le précipice… Diable!… c’est une difficulté cela… il est vrai que d’un autre côté c’est un avantage. Place-t-on des factionnaires au pied de cette tour?…

– Jamais… À quoi bon… Entre la maçonnerie et le rocher à pic, il n’y a pas la place de trois hommes de front… Les soldats, même en plein jour, ne se hasardent pas sur cette banquette qui n’a ni parapet, ni garde-fou.

Martial s’arrêta, cherchant s’il n’oubliait rien.

– Encore une question importante, reprit-il. À quelle hauteur est la fenêtre de la chambre de M. d’Escorval?

– Elle est à quarante pieds environ de l’entablement…

– Bon!… Et de cet entablement au bas du rocher, combien y a-t-il?

– Ma foi!… je ne sais pas trop… Une soixantaine de pieds au moins.

– Ah!… c’est haut!… c’est terriblement haut!… Le baron, par bonheur, est encore leste et vigoureux… puis il n’y a pas d’autre moyen.

Il était temps que l’interrogatoire finît, M. de Sairmeuse commençait à s’impatienter.

– Maintenant, dit-il à son fils, me ferez-vous l’honneur de m’expliquer votre plan.

Après avoir mis, en commençant, une certaine âpreté à ses questions, Martial, insensiblement, était revenu à ce ton railleur et léger qui avait le don d’exaspérer si fort M. de Sairmeuse.

– Il est sûr du succès, pensa Marie-Anne.

– Mon plan, disait Martial, est la simplicité même… Soixante et quarante font cent… Il s’agit de se procurer cent pieds de bonne corde… Cela fera un volume énorme, je le sais bien, mais peu importe!… Je roule tout ce chanvre autour de moi, je m’enveloppe d’un large manteau et je vous accompagne à la citadelle… Vous demandez le caporal Bavois, vous me laissez seul avec lui dans un endroit obscur, je lui expose nos intentions…

M. de Sairmeuse haussait les épaules.

– Et comment vous procurerez-vous cent pieds de corde, dit-il, à cette heure, à Montaignac?… Allez-vous courir de boutique en boutique? Autant publier votre projet à son de trompe.

– Ce que je ne puis faire, monsieur, les amis de la famille d’Escorval le feront…

Le duc allait élever de nouvelles objections, il l’interrompit.

– De grâce, monsieur, fit-il avec vivacité, n’oubliez pas quel danger nous menace et combien peu de temps nous avons… J’ai commis la faute, laissez-moi la réparer…

Et se retournant vers Marie-Anne:

– Vous pouvez considérer le baron comme sauvé, poursuivit-il, mais il faut que je m’entende avec un de vos amis… Retournez vite à l’hôtel de France et envoyez le curé de Sairmeuse me rejoindre sur la place d’Armes, où je vais l’attendre…