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– Alors, fit Martial, d’une voix hésitante, c’est donc… Jean qui est… prisonnier?

– Mon frère est en sûreté, et il échappera à toutes les recherches s’il survit à ses blessures…

De blême qu’il était, le marquis de Sairmeuse devint rouge comme le feu. Au ton de Marie-Anne, il comprit qu’elle connaissait le duel. Il n’essaya pas de nier, il voulut se disculper:

– C’est Jean qui m’a provoqué, dit-il. Je ne voulais pas… je n’ai fait que défendre ma vie, dans un combat loyal, à armes égales…

Marie-Anne l’interrompit.

– Je ne vous reproche rien, monsieur le marquis, prononça-t-elle.

– Eh bien!… moi, je suis plus sévère que vous… Jean a eu raison de me provoquer, il avait deviné mes espérances… Oui, je m’étais dit que vous seriez ma maîtresse… C’est que je ne vous connaissais pas, Marie-Anne… Je vous croyais comme toutes les autres, vous si chaste et si pure!…

Il cherchait à lui prendre les mains, elle le repoussa avec horreur et éclata en sanglots.

Après tant de coups qui la frappaient sans relâche, celui-ci, le dernier, était le plus terrible et le plus douloureux.

Quelle épouvantable humiliation que cette louange passionnée, et quelle honte! Ah! maintenant la mesure était comble. «Chaste et pure», disait-il. Amère dérision!… Le matin même, elle avait cru sentir son enfant tressaillir dans son sein.

Mais Martial devait se méprendre à la signification du geste de cette infortunée.

– Oh! je comprends votre indignation, reprit-il, avec une exaltation croissante. Mais si je vous ai dit l’injure, c’est que je veux vous offrir la réparation… J’ai été un fou, un misérable vaniteux, car je vous aime, je n’aime et je ne puis aimer que vous. Je suis marquis de Sairmeuse, j’ai des millions. Marie-Anne, voulez-vous être ma femme?…

Marie-Anne écoutait, éperdue de stupeur…

Le vertige, à la fin, s’emparait d’elle, et il lui semblait que sa raison vacillait au souffle furieux de toutes ces passions.

Tout à l’heure, c’était Chanlouineau qui, du fond de son cachot, lui criait qu’il mourait pour elle… C’était Martial, maintenant, qui prétendait lui sacrifier ses ambitions et son avenir.

Et le pauvre paysan condamné à mort et le fils du tout-puissant duc de Sairmeuse, enflammés d’un délire semblable, arrivaient pour le traduire, à des expressions pareilles.

Martial, cependant, s’était arrêté. Tout enfiévré d’espérances, il attendait une réponse, un mot, un signe… Mais Marie-Anne demeurait muette, immobile et glacée…

– Vous vous taisez! reprit-il avec une véhémence nouvelle. Douteriez-vous de ma sincérité? Non, c’est impossible! Pourquoi donc ce silence?… Auriez-vous peur de l’opposition de mon père?… Je saurai lui arracher son consentement. Que nous importe d’ailleurs sa volonté! Ai-je besoin de lui?… Ne suis-je pas mon maître? ne suis-je pas riche, immensément riche!… Je ne serais qu’un misérable sot, si j’hésitais entre des préjugés stupides et le bonheur de ma vie…

Il s’efforçait, évidemment, de prévoir toutes les objections, afin de les combattre et de les détruire…

– Est-ce votre famille, qui vous inquiète? continuait-il. Votre père et votre frère sont poursuivis et la France leur est fermée… Eh bien! nous quitterons la France et ils viendront vivre près de nous. Jean ne m’en voudra plus, quand vous serez ma femme… Nous nous fixerons en Angleterre ou en Italie… Maintenant, oui, je bénis ma fortune, qui me permettra de vous créer une existence enchantée. Je vous aime… je saurai bien, à force de tendresses, vous faire oublier toutes les amertumes du passé!…

Marie-Anne connaissait assez le marquis de Sairmeuse pour bien comprendre tout ce que révélaient de passion ses propositions inouïes…

Mais pour cela, précisément, elle hésitait à lui dire qu’il avait inutilement dompté les révoltes de son orgueil.

Elle se demandait avec épouvante à quelles extrémités le porteraient les rages de son amour-propre offensé et si elle n’allait pas trouver en lui un ennemi qui ferait échouer toutes ses tentatives.

– Vous ne répondez pas?… interrogea Martial dont l’anxiété était visible.

Elle sentait bien qu’il fallait répondre, en effet, parler, dire quelque chose, mais elle ne pouvait desserrer les lèvres…

– Je ne suis qu’une pauvre fille, monsieur le marquis, murmura-t-elle enfin… Je vous préparerais, si j’acceptais, des regrets éternels!…

– Jamais!…

– D’ailleurs, vous avez perdu le droit de disposer de vous-même. Vous avez donné votre parole. Mlle Blanche de Courtomieu est votre fiancée…

– Ah!… dites un mot, un seul, et ces engagements que je déteste sont rompus.

Elle se tut. Il était clair que son parti était pris irrévocablement et qu’elle refusait.

– Vous me haïssez donc? fit tristement Martial.

S’il lui eût été permis de dire toute la vérité, Marie-Anne eût répondu: «Oui.» Le marquis de Sairmeuse lui inspirait une aversion presque insurmontable.

– Je ne m’appartiens pas plus que vous ne vous appartenez, monsieur, prononça-t-elle.

Un éclair de haine, aussitôt éteint, brilla dans l’œil de Martial.

– Toujours Maurice!… dit-il.

– Toujours.

Elle s’attendait à une explosion de colère, il resta calme.

– Allons, reprit-il avec un sourire contraint, il faut que je me rende à l’évidence!… Il faut que je reconnaisse et que j’avoue que vous m’avez fait jouer, à la Rèche, un personnage affreusement ridicule… Jusqu’ici je doutais.

La pauvre fille baissa la tête, rouge de honte jusqu’à la racine des cheveux, mais elle n’essaya pas de nier.

– Je n’étais pas maîtresse de ma volonté, balbutia-t-elle, mon père commandait et menaçait, j’obéissais…

– Peu importe, interrompit-il, votre rôle n’a pas été celui d’une jeune fille…

Ce fut son seul reproche, et encore il le regretta; soit qu’il crût de sa dignité de ne pas laisser deviner la blessure saignante de son orgueil, soit que véritablement – ainsi qu’il le déclarait plus tard – il ne put prendre sur lui d’en vouloir à Marie-Anne.

– Maintenant, reprit-il, je m’explique votre présence ici. Vous venez demander la grâce de M. d’Escorval.

– Grâce! non; mais justice? Le baron est innocent…

Martial se rapprocha de Marie-Anne, et baissant la voix:

– Si le père est innocent, murmura-t-il, c’est donc le fils qui est coupable!…