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– Calomnier ses ennemis est un crime, murmura l’honnête Marie-Anne.

– Oui, mais je voulais sauver mes amis, et je n’avais pas le choix des moyens. Mon assurance était d’autant plus grande, que je savais Martial blessé… J’ai affirmé qu’il s’était battu à mes côtés contre la troupe, j’ai demandé qu’on le fit comparaître, j’ai annoncé des preuves irrécusables de sa complicité…

– Le marquis de Sairmeuse s’est donc battu?…

Le plus vif étonnement se peignit sur la physionomie de Chanlouineau.

– Quoi!… commença-t-il, vous ne savez pas…

Mais se ravisant:

– Bête que je suis!… reprit-il, qui donc eût pu vous conter ce qui s’est passé!… Vous rappelez-vous ce que nous avons fait sur la route de Sairmeuse, à la Croix-d ’Arcy, après que votre père nous a eu quittés pour courir en avant?… Maurice s’est mis à la tête de la colonne et vous avez marché près de lui; votre frère Jean et moi sommes restés en arrière pour pousser et ramasser les traînards.

Nous faisions notre besogne en conscience, quand tout à coup nous entendons le galop d’un cheval.

– «Il faut savoir qui vient, me dit Jean.»

Nous nous arrêtons. Un cheval arrive sur nous à fond de train; nous nous jetons à la bride et nous le maintenons. Savez-vous qui était le cavalier?… Martial de Sairmeuse!

Vous dire la fureur de votre frère en reconnaissant le marquis est impossible.

– «Enfin, je te trouve, noble de malheur!… s’écria-t-il, et nous allons régler notre compte! Après avoir réduit au désespoir mon père qui venait de te rendre une fortune, tu as prétendu faire de ma sœur ta maîtresse… cela se paie, marquis!… Allons, en bas, il faut se battre…»

À voir Marie-Anne, on eût dit qu’elle doutait si elle rêvait ou si elle veillait…

– Mon frère, murmurait-elle, provoquer le marquis!… Est-ce possible!

Chanlouineau poursuivait:

– Dame!… si audacieux que soit M. Martial, il restait tout pantois. Il balbutiait comme cela: «Vous êtes fou!… vous plaisantez!… n’étions-nous pas amis, qu’est-ce que cela signifie?…»

Jean grinçait des dents de rage.

– «Cela signifie, répondit-il, que j’ai assez longtemps enduré les outrages de ta familiarité, et que si tu ne descends pas de cheval pour te battre en duel avec moi, je te casse la tête!…»

Votre frère, en disant cela, maniait un pistolet si terriblement que le marquis est descendu et s’est adressé à moi.

– «Voyons, Chanlouineau, me dit-il, est-ce un duel ou un assassinat? Si Jean me tue, tout est dit… mais si je le tue, qu’arrivera-t-il?»

Je lui jurai qu’il serait libre de s’éloigner, après toutefois qu’il m’aurait donné sa parole de ne pas rentrer à Montaignac avant deux heures.

– «Alors, fit-il, j’accepte le combat, donnez-moi une arme!…»

Je lui donnai mon sabre, votre frère avait le sien, et ils tombèrent en garde au milieu de la grande route…

Le robuste paysan s’arrêta pour reprendre haleine, et plus lentement il dit:

– Marie-Anne, votre père, vous et moi nous avons mal jugé votre frère. Il a une chose terrible contre lui, ce pauvre Jean: sa figure. Il a l’air faux comme un jeton, il a le sourire bas et l’œil fuyant des lâches… Nous nous sommes défiés de lui, nous avons à lui en demander pardon… Un homme qui se bat comme je l’ai vu se battre a le cœur haut et bien placé, on peut lui donner sa confiance… Car c’était terrible, ce combat sur cette route, dans la nuit!… Ils s’attaquaient furieusement, sans un mot, on n’entendait que leur respiration haletante de plus en plus, et des sabres qui se choquaient il jaillissait des gerbes d’étincelles… À la fin, Jean tomba…

– Ah! mon frère est mort! s’écria Marie-Anne.

– Non, répondit Chanlouineau… on peut espérer que non. Les soins en tout cas ne lui auront pas manqué. Ce duel avait un autre témoin, un homme que vous devez connaître, nommé Poignot, qui a été le métayer de votre père… Il a emporté Jean en me promettant de le garder dans sa maison…

Pour ce qui est du marquis, il m’a montré qu’il était blessé et il est remonté à cheval en me disant: «C’est lui qui l’a voulu.»

Marie-Anne maintenant comprenait:

– Donnez-moi la lettre, dit-elle à Chanlouineau… J’irai trouver le duc de Sairmeuse, j’arriverai à tout prix jusqu’à lui, et Dieu m’inspirera…

L’héroïque paysan tendit à la jeune fille cette fragile feuille de papier qui eût pu être son salut à lui.

– Et surtout, prononça-t-il, ne laissez pas soupçonner au duc que vous avez apporté avec vous la preuve dont vous le menacez… Qui sait ce dont il serait capable… Il vous répondra d’abord qu’il ne peut rien, qu’il ne voit nul moyen de sauver le baron d’Escorval… Vous lui répondrez que c’est cependant à lui de trouver un moyen, s’il ne veut pas que la lettre soit envoyée à Paris, à un de ses ennemis…

Il s’arrêta, les verroux grinçaient… Le caporal Bavois reparut.

– La demi-heure est passée depuis dix minutes, fit-il tristement… j’ai ma consigne.

– Allons!… murmura Chanlouineau, tout est fini!…

Et remettant à Marie-Anne la seconde lettre:

– Celle-ci est pour vous… ajouta-t-il. Vous la lirez quand je ne serai plus… De grâce… ne pleurez pas ainsi!… Il faut du courage!… Vous serez bientôt la femme de Maurice… Et quand vous serez heureuse, pensez quelquefois à ce pauvre paysan qui vous a tant aimée!…

Quand il se fût agi de sa vie et de celle de tous les siens, Marie-Anne n’eût pu prononcer une parole… Mais elle avança son visage vers celui de Chanlouineau…

– Ah! je n’osais vous le demander, s’écria-t-il.

Et pour la première fois il serra Marie-Anne entre ses bras, et de ses lèvres effleura ses joues pâlies…

– Allons, adieu, dit-il encore… ne perdez plus une minute. Adieu!…