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XXVIII

L’abbé Midon avait eu raison de se reposer sur la parole des officiers à demi-solde.

Voyant que toutes leurs instances ne décideraient pas Maurice à s’éloigner de la citadelle, ces hommes de cœur le saisirent chacun sous un bras, et littéralement l’emportèrent.

Bien leur en prit d’être robustes, car Maurice fit, pour leur échapper, les efforts les plus désespérés… Chaque pas en avant fut le résultat d’une lutte.

– Laissez-moi! criait-il en se débattant, laissez-moi aller où le devoir m’appelle!… vous me déshonorez en prétendant me sauver!…

Et au bruit de ce qui leur paraissait être un rêve, les gens de Montaignac entre-bâillaient leurs volets et jetaient dans la rue un regard inquiet.

– C’est, disaient-ils, le fils de cet honnête homme, qu’on va condamner… Pauvre garçon! comme il doit souffrir!…

Oui, il souffrait, et comme on ne souffre pas dans les convulsions de l’agonie! Voilà donc où l’avait conduit son amour pour Marie-Anne, ce radieux amour à qui tout jadis avait semblé sourire…

Misérable fou!… Il s’était jeté à corps perdu dans une entreprise insensée, et on faisait remonter à son père la responsabilité de ses actes!… Il vivrait, lui, coupable, et son père innocent serait jeté au bourreau!

Mais la faculté de souffrir a ses limites…

Une fois dans la chambre de l’hôtel, entre sa mère et Marie-Anne, Maurice se laissa tomber sur une chaise, anéanti par cette invincible torpeur qui suit les douleurs trop lourdes pour les forces humaines.

– Rien n’est décidé encore, répondirent les officiers aux questions de Mme d’Escorval, M. le curé de Sairmeuse doit accourir dès que le verdict sera rendu…

Puis, comme ils avaient juré de ne pas perdre Maurice de vue, ils s’assirent, sombres et silencieux.

Au dehors, tout se taisait; on eût cru l’hôtel désert. Les gens de la maison s’entendaient pour ne pas troubler cette grande et noble infortune; ils la respectaient comme on respecte le sommeil du condamné à mort la nuit qui précède l’exécution.

Enfin, un peu avant quatre heures, l’abbé Midon arriva, suivi de l’avocat, auquel le baron avait confié ses volontés dernières…

– Mon mari!… s’écria Mme d’Escorval en se dressant tout d’un bloc.

Le prêtre baissa la tête… elle comprit.

– Mort!… balbutia-t-elle. Ils l’ont condamné!…

Et plus assommée que par un coup de maillet sur la tête, elle s’affaissa sur son fauteuil, inerte, les bras pendants…

Mais cet anéantissement dura peu; elle se releva:

– À nous donc de le sauver!… s’écria-t-elle, l’œil brillant de la flamme des résolutions héroïques, à nous de l’arracher à l’échafaud!… Debout, Maurice… Marie-Anne, debout!… Assez de lâches lamentations, à l’œuvre!… Vous aussi, Messieurs, vous m’aiderez!… Je peux compter sur vous, monsieur le curé!… Qu’allons-nous faire?… Je l’ignore. Mais il doit y avoir quelque chose à faire… La mort de ce juste serait un trop grand crime, Dieu ne le permettra pas…

Elle s’arrêta, brusquement, les mains jointes, les yeux levés au ciel, comme si une inspiration divine lui fût venue…

– Et le roi!… reprit-elle, le roi souffrira-t-il qu’un tel forfait s’accomplisse!… Non! Un roi peut refuser de faire grâce, il ne saurait refuser de faire justice!… Je veux aller à lui, je lui dirai tout!… Comment cette idée de salut ne m’est-elle pas venue plus tôt!… Il faut partir à l’instant pour Paris, sans perdre une seconde… Maurice, tu m’accompagnes!… Que l’un de vous, messieurs, m’aille commander des chevaux à la poste…

Elle pensa qu’on lui obéissait, et précipitamment elle passa dans la pièce voisine pour faire ses préparatifs de voyage.

– Pauvre femme!… murmura l’avocat à l’oreille de l’abbé Midon, elle ignore que les arrêts des commissions militaires sont exécutoires dans les vingt-quatre heures.

– Eh bien?…

– Il faut quatre jours pour aller à Paris.

Il réfléchit et ajouta:

– Après cela, la laisser partir serait peut-être un acte d’humanité… Ney, au matin de son exécution, ne parla-t-il pas du roi pour éloigner la maréchale qui sanglotait à demi évanouie au milieu de son cachot?…

L’abbé Midon hocha la tête.

– Non, dit-il, Mme d’Escorval ne nous pardonnerait pas de l’avoir empêchée de recueillir la dernière pensée de son mari…

Elle reparut en ce moment, et le prêtre rassemblait son courage pour lui apprendre la vérité cruelle, quand on frappa à la porte à coups précipités.

Un des officiers à demi-solde ouvrit, et Bavois, le caporal des grenadiers, entra, la main droite à son bonnet de police, respectueusement; comme s’il eût été en présence d’un supérieur.

– Mlle Lacheneur? demanda-t-il.

Marie-Anne s’avança:

– C’est moi, monsieur, répondit-elle, que me voulez-vous?

– J’ai ordre, mademoiselle, de vous conduire à la citadelle…

– Ah!… fit Maurice d’un ton farouche, on arrête les femmes aussi!…

Le digne caporal se donna sur le front un énorme coup de poing.

– Je ne suis qu’une vieille bête!… prononça-t-il, et je m’explique mal. Je veux dire que je viens chercher mademoiselle de la part d’un des condamnés, le nommé Chanlouineau, qui voudrait lui parler…

– Impossible, mon brave, dit un des officiers, on ne laissera pas mademoiselle pénétrer près d’un condamné sans une permission spéciale…

– Eh!… on l’a, cette permission! fit le vieux soldat.

Il s’assura, d’un regard, qu’il n’avait rien à redouter d’aucun de ces visiteurs, et plus bas il ajouta:

– Même, ce Chanlouineau m’a glissé dans le tuyau de l’oreille qu’il s’agit d’une affaire que sait bien M. le curé.

Le hardi paysan avait-il donc réellement trouvé quelque expédient de salut?… L’abbé Midon commençait presque à le croire.

– Il faut suivre ce vieux brave, Marie-Anne, dit-il.

À la seule pensée qu’elle allait revoir Chanlouineau, la pauvre jeune fille frissonna. Mais l’idée ne lui vint même pas de se soustraire à une démarche qui lui semblait le comble du malheur…

– Partons, monsieur, dit-elle au vieux soldat.

Mais le caporal restait à la même place, clignant de l’œil selon son habitude quand il voulait bien fixer l’attention de ses interlocuteurs.

– Minute!… fit-il. Ce Chanlouineau, qui me parait un lapin, m’a dit de vous dire comme cela que tout va bien!… Si je vois pourquoi, je veux être pendu!… Enfin, c’est son opinion! Il m’a bien prié aussi de vous commander de ne pas bouger, de ne rien tenter avant le retour de mademoiselle, qui sera revenue avant une heure. Il vous jure qu’il tiendra ses promesses, il vous demande votre parole de lui obéir…