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Elle recula terrifiée. Il tenait le secret que les juges n’avaient pas su ou n’avaient pas voulu pénétrer. Mais lui, voyant son angoisse, en eut pitié.

– Raison de plus, dit-il, pour essayer de sauver le baron!… Son sang versé sur l’échafaud creuserait entre Maurice et vous un abîme que rien ne comblerait… Je joindrai mes efforts aux vôtres…

Rouge, embarrassée, Marie-Anne n’osa pas remercier Martial. Comment allait-elle reconnaître sa générosité? En le calomniant odieusement. Ah! mille fois, elle eût préférer affronter sa colère.

Sans nul doute, il allait donner d’utiles indications, quand un valet ouvrit la porte du salon, et M. le duc de Sairmeuse, toujours en grand uniforme, entra.

– Par ma foi!… s’écria-t-il dès le seuil, il faut avouer que ce Chupin est un limier incomparable, grâce à lui…

Il s’interrompit brusquement, il venait de reconnaître Marie-Anne.

– La fille de ce coquin de Lacheneur!… fit-il, de l’air le plus surpris, que veut-elle?

Le moment décisif était arrivé. La vie du baron allait dépendre de l’adresse et du courage de Marie-Anne. La conscience de sa terrible responsabilité lui rendit comme par magie tout son sang-froid et même quelque chose de plus.

– On m’a chargée de vous vendre une révélation, monsieur, dit-elle résolument.

Le duc l’examina curieusement, et c’est en riant du meilleur cœur qu’il se laissa tomber et s’étendit sur un canapé.

– Vendez, la belle, répondit-il, vendez!…

– Je ne puis traiter que si je suis seule avec vous, monsieur.

Sur un signe de son père, Martial se retira.

– Vous pouvez parler, maintenant… mam’selle, dit le duc.

Elle n’eut pas une seconde d’hésitation.

– Vous devez avoir lu, monsieur, commença-t-elle, la circulaire qui convoquait tous les conjurés!

– Certes!… j’en ai une douzaine d’exemplaires dans ma poche.

– Par qui pensez-vous qu’elle a été rédigée?

– Par le sieur Escorval, évidemment, ou par votre père…

– Vous vous trompez, monsieur, cette lettre est l’œuvre du marquis de Sairmeuse, votre fils…

Le duc de Sairmeuse se dressa, l’œil flamboyant, plus rouge que son pantalon garance.

– Jarnibieu!… s’écria-t-il, je vous engage, la fille, à brider votre langue!…

– La preuve existe de ce que j’avance!…

– Silence, coquine! sinon…

– La personne qui m’envoie, monsieur le duc, possède le brouillon de cette circulaire, écrit en entier de la main de M. Martial, et je dois vous dire…

Elle n’acheva pas. Le duc bondit jusqu’à la porte et d’une voix de tonnerre appela son fils.

Dès que Martial rentra.

– Répétez, dit le duc à Marie-Anne, répétez devant mon fils ce que vous venez de me dire.

Audacieusement, le front haut, d’une voix ferme, Marie-Anne répéta.

Elle s’attendait, de la part du marquis, à des dénégations indignées, à des reproches cruels, à des explications violentes. Point. Il écoutait d’un air nonchalant et même elle croyait lire dans ses yeux comme un encouragement à poursuivre et des promesses de protection.

Dès que Marie-Anne eut achevé:

– Eh bien!… demanda violemment M. de Sairmeuse à son fils.

– Avant tout, répondit Martial d’un ton léger, je voudrais voir un peu cette fameuse circulaire.

Le duc lui en tendit un exemplaire.

– Tenez!… lisez!…

Martial n’y jeta qu’un regard, il éclata de rire et s’écria:

– Bien joué!…

– Que dites-vous?…

– Je dis que Chanlouineau est un rusé compère… Qui diable! jamais se serait attendu à tant d’astuce, en voyant la face honnête de ce gros gars… Fiez-vous donc après à la mine des gens!…

De sa vie, le duc de Sairmeuse n’avait été soumis à une épreuve si rude.

– Chanlouineau ne mentait donc pas, dit-il à son fils d’une voix étranglée, vous étiez donc un des instigateurs de la rébellion…

La physionomie de Martial s’assombrit, et d’un ton de dédaigneuse hauteur:

– Voici quatre fois déjà, monsieur, fit-il, que vous m’adressez cette question, et quatre fois que je vous réponds: non. Cela devrait suffire. Si la fantaisie m’eût pris de me mêler de ce mouvement, je vous l’avouerais le plus ingénument du monde. Quelles raisons ai-je de me cacher de vous?…

– Au fait!… interrompit furieusement le duc, au fait!…

– Eh bien!… répondit Martial, reprenant son ton léger, le fait est qu’un brouillon de cette circulaire existe, écrit de ma plus belle écriture sur une grande feuille de mauvais papier… Je me rappelle que cherchant l’expression juste j’ai raturé et surchargé plusieurs mots… Ai-je daté ce brouillon? Je crois que oui, mais je n’en jurerais pas…

– Conciliez donc cela avec vos dénégations? s’écria M. de Sairmeuse.

– Parfaitement!… Ne viens-je pas de vous dire que Chanlouineau s’était moqué de moi!…

Le duc ne savait plus que croire. Mais ce qui l’exaspérait plus que tout, c’était l’imperturbable tranquillité de son fils.

– Avouez donc plutôt, dit-il en montrant le poing à Marie-Anne, que vous vous êtes laissé engluer par votre maîtresse…

Mais cette injure, Martial ne voulut pas la tolérer.

– Mlle Lacheneur n’est pas ma maîtresse, déclara-t-il d’un ton impérieux jusqu’à la menace. Il est vrai qu’il ne tient qu’à elle d’être demain la marquise de Sairmeuse!… Laissons les récriminations, elles n’avanceront en rien nos affaires.

Une lueur de raison qui éclairait encore le cerveau de M. de Sairmeuse arrêta sur ses lèvres la plus outrageante réplique.

Tout frémissant de rage contenue, il arpenta trois ou quatre fois le salon; puis revenant à Marie-Anne, qui restait à la même place, roide comme une statue:

– Voyons, la belle, commanda-t-il, donnez-moi ce brouillon.

– Je ne l’ai pas, monsieur.

– Où est-il?

– Entre les mains d’une personne qui ne vous le rendra que sous certaines conditions.

– Quelle est cette personne?

– C’est ce qu’il m’est défendu de vous dire.

Il y avait de l’admiration et de la jalousie, dans le regard que Martial attachait sur Marie-Anne.