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XXX

Arrêté des premiers au moment de la panique des conjurés devant Montaignac, le baron d’Escorval n’avait pas eu une seconde d’illusions…

– Je suis un homme perdu!… pensa-t-il.

Et envisageant d’une âme sereine la mort toute proche, il ne songea plus qu’aux périls qui menaçaient son fils.

Son attitude devant ses juges fut le résultat de cette préoccupation.

Il ne respira vraiment qu’après avoir vu Maurice traîné hors de la salle par l’abbé Midon et les officiers à demi-solde… Il avait compris que son fils voulait se livrer…

C’est donc le front haut, le maintien assuré, le regard droit et clair que le baron écouta la sentence fatale. D’avance son sacrifice était fait.

Mais bien lui en prit d’avoir déjà confié à son courageux défenseur l’expression de ses volontés dernières… Les soldats chargés de reconduire les condamnés à leur prison envahirent la salle.

La sortie devait prendre du temps… Tous ces pauvres paysans qui venaient d’être frappés en étaient encore à comprendre les événements dont la vertigineuse rapidité les conduisait à l’échafaud.

Et stupides d’étonnement plus que d’effroi, ils se pressaient à la porte trop étroite de la chapelle, comme des bœufs ahuris qui se serrent les uns contre les autres à la porte de l’abattoir.

Si grande fut la confusion, que M. d’Escorval se trouva refoulé près de Chanlouineau, qui commença la comédie de sa défaillance.

– Du courage donc!… lui dit-il, indigné de cet accès de lâcheté.

– Ah!… c’est facile à dire!… geignit le robuste gars.

Et personne ne l’observant, il se pencha vers le baron, et tout bas, d’une voix brève:

– C’est pour vous que je travaille, fit-il, rassemblez vos forces pour cette nuit.

Le regard flamboyant de Chanlouineau surprit M. d’Escorval, mais il attribua ses paroles au délire de la peur.

Ramené à sa chambre, il se jeta sur sa maigre couchette, et il eut cette vision terrible et sublime de la dernière heure qui est l’espérance ou le désespoir de qui va mourir…

Il savait quelles lois terribles régissent les tribunaux d’exception… Le lendemain, dans quelques heures, au point du jour, peut-être, on viendrait, on le tirerait de sa prison, on le conduirait devant un peloton de soldats, un officier lèverait son épée… et tout serait fini, il tomberait sous les balles…

Alors, que deviendraient sa femme et son fils?…

Ah! son cœur se brisait en songeant à ces êtres chers et adorés!… Il était seul, il pleura…

Mais, soudain, il se dressa, épouvanté de son attendrissement… Si son âme allait s’amollir à ces désolantes pensées!… s’il allait être trahi par son énergie!… Manquerait-il de courage, tout à coup!… Le verrait-on donc, lui, pâlir et défaillir devant le peloton d’exécution!…

Il voulut secouer cette torpeur douloureuse qui l’envahissait, et il se mit à marcher dans sa prison, s’efforçant d’occuper son esprit aux choses extérieures…

La chambre qu’on lui avait donnée était très vaste, carrelée et extrêmement haute d’étage. Jadis elle communiquait avec la pièce voisine, mais la porte de communication avait été murée depuis longtemps, même le ciment qui reliait entre elles les pierres larges et peu épaisses était tombé, et il en résultait des jours par où on pouvait, avec un peu d’application, voir d’une pièce dans l’autre.

Machinalement, M. d’Escorval colla son œil à un de ces interstices… Peut-être avait-il pour voisin quelque condamné?… Il ne vit personne. Il appela, tout bas d’abord, puis plus haut… aucune voix ne répondit à la sienne.

– Si j’abattais cette mince cloison?… pensa-t-il.

Il tressaillit, puis haussa les épaules. Et après?… Cette cloison renversée, il se trouverait dans une chambre pareille à la sienne, ouvrant comme la sienne sur un corridor plein de factionnaires dont il entendait le pas monotone.

Cependant, c’était une pensée d’évasion qui lui était venue. Quelle folie!… Il devait bien savoir que toutes les précautions étaient prises.

Oui, il le savait, et pourtant il ne put s’empêcher d’aller examiner la fenêtre… Deux rangs de barres de fer la défendaient. Elles étaient scellées de telle sorte qu’il était impossible d’avancer la tête et de se rendre compte de la hauteur à laquelle on se trouvait du sol.

Cette hauteur devait être considérable, à en juger par l’étendue de la vue.

Le soleil se couchait, et dans les brumes violettes du lointain, le baron découvrait une ligne onduleuse de collines dont le point culminant ne pouvait être que la lande de la Rèche… Les grandes masses sombres qu’il apercevait sur la droite étaient probablement les hautes futaies de Sairmeuse… Enfin, sur la gauche, dans le pli de coteau, il devinait la vallée de l’Oiselle et Escorval…

Son âme s’envolait vers cette retraite riante, où il avait été si heureux, où il avait été aimé, où il espérait mourir de la mort calme et sereine du juste…

Et au souvenir des félicités passées, en songeant aux rêves évanouis, ses yeux, encore une fois, s’emplissaient de larmes…

Mais il les sécha vite, ces larmes, on ouvrait la porte de sa prison.

Deux soldats parurent.

L’un d’eux avait à la main un flambeau allumé, l’autre tenait un de ces longs paniers à compartiments qui servent à porter le repas des officiers de garde.

Ces hommes étaient visiblement très émus, et cependant, obéissant à un sentiment de délicatesse instinctive, ils affectaient une sorte de gaieté.

– C’est votre dîner, monsieur, que nous vous apportons, dit l’un d’eux, il doit être très bon, car il vient de la cuisine du commandant de la citadelle.

M. d’Escorval sourit tristement… Certaines attentions des geôliers ont une signification sinistre.

Cependant, lorsqu’il s’assit devant la petite table qu’on venait de lui préparer, il se trouva qu’il avait réellement faim.

Il mangea de bon appétit, et causa presque gaiement avec les soldats.

– Il faut toujours espérer, monsieur, lui disaient ces braves garçons… Qui sait!… On en a vu revenir de plus loin.

Ayant fini, le baron demanda qu’on lui laissât la lumière et qu’on lui apportât du papier, de l’encre et des plumes… Il fut fait selon ses désirs.

Il se trouvait seul de nouveau, mais la conversation des soldats lui avait été utile… La défaillance de son esprit était passée, le sang-froid lui était revenu, il pouvait réfléchir.

Alors il s’étonna d’être sans nouvelles de Mme d’Escorval et de Maurice.