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Il distinguait bien, par moments, le pas des factionnaires qui avaient repris leur poste dans le corridor…

Si faible, après vingt minutes, était le résultat, que le baron se sentit envahi par un affreux découragement.

Aurait-il seulement scié le premier rang de barreaux quand paraîtrait le jour? De toute évidence, non. Dès lors, à quoi bon s’épuiser à un travail inutile… Pourquoi ternir la dignité de sa mort par le ridicule d’une évasion manquée?…

Il hésitait, quand des pas nombreux s’arrêtèrent devant sa prison. Il courut s’asseoir devant sa table.

La porte s’ouvrit et un soldat entra, auquel un officier resté sur le seuil dit:

– Vous savez la consigne, caporal… défense de fermer l’œil… Si le prisonnier a besoin de quelque chose, appelez!…

Le cœur de M. d’Escorval battait à rompre sa poitrine… Qui arrivait là?…

Les conseils de M. de Courtomieu l’avaient-ils donc emporté… Martial, au contraire, lui envoyait un aide!…

– Il s’agit de ne pas moisir ici! prononça le caporal, dès que la porte fut refermée.

M. d’Escorval bondit sur sa chaise. Cet homme, c’était un ami, c’était un secours, c’était la vie!…

– Je suis Bavois, poursuivit-il, caporal des grenadiers… On m’a dit comme cela: «Il y a un ami de «l’autre» qui est dans une fichue situation, veux-tu lui donner un coup de main?…» J’ai répondu: «présent» et me voilà!…

Celui-là, à coup sûr, était un brave, le baron lui serra la main, et d’une voix émue:

– Merci, lui dit-il, merci à vous qui sans me connaître vous exposez, pour me sauver, au plus terrible danger…

Bavois haussa dédaigneusement les épaules.

– Positivement, fit-il, ma vieille peau ne vaut pas en ce moment plus cher que la vôtre… Si nous ne réussissons pas, on nous lavera la tête avec le même plomb… Mais nous réussirons… Là-dessus, assez causé!…

Ayant dit, il tira de dessous sa longue capote une forte pince de fer et un litre d’eau-de-vie qu’il déposa sur le lit.

Il prit ensuite la bougie; et à cinq ou six reprises il la fit passer rapidement devant la fenêtre.

– Que faites-vous?… demanda le baron surpris.

– Je préviens vos amis que tout va bien. Ils sont là-bas, à nous attendre, et tenez, voici qu’ils répondent…

Le baron regarda, et en effet, par trois fois il vit briller une petite flamme très vive, comme celle que produit une pincée de poudre.

– Maintenant, reprit le caporal, nous sommes des bons!… reste à savoir où en sont les barreaux…

– Je n’ai guère avancé la besogne, murmura M. d’Escorval…

Le caporal s’approcha:

– Vous pouvez même dire que vous ne l’avez pas avancée du tout, fit-il, mais rassurez-vous… j’ai été armurier, et je sais manier une lime…

Le baron eût souhaité quelques éclaircissements; un laconique: «Silence dans le rang!» fut tout ce qu’il obtint de son compagnon.

Expansif en face d’une bouteille, l’honnête Bavois devenait dans les grandes occasions «fort ménager de sa salive» – c’était son expression.

S’il se taisait, c’est qu’il étudiait la situation, le fort et le faible de l’entreprise, en homme qui sait que tout dépend de son sang-froid.

– Il s’agit de n’être ni vu ni entendu des camarades, grommelait-il en tourmentant sa moustache grise.

C’était plus aisé à concevoir qu’à réaliser.

Et cependant, après un moment de réflexion, il ajouta:

– Cela se peut.

C’est qu’il avait plus d’un expédient dans son sac, le caporal.

Ayant retiré le bouchon du litre d’eau-de-vie qu’il avait apporté, il le fixa à l’extrémité d’une des limes et il enveloppa ensuite d’un linge mouillé le manche de l’outil.

– C’est ce qu’on appelle mettre une sourdine à son instrument!… fit-il.

Déjà il avait reconnu les barreaux; il se mit à les attaquer énergiquement.

Alors, on put reconnaître qu’il n’avait exagéré ni son savoir-faire ni l’efficacité de ses précautions pour assourdir l’opération.

Le fer, sous sa main habile et prompte, s’émiettait et s’entaillait à miracle, et la limaille pleuvait sur l’appui de la fenêtre.

Et nul bruit, aucun de ces aigres grincements qui avaient tant épouvanté le baron. À peine eût-on dit le frottement de deux morceaux de bois dur l’un contre l’autre…

N’ayant rien à redouter des plus habiles oreilles, Bavois avait songé à se mettre à l’abri des regards…

La porte de la chambre était percée d’un guichet et à tout moment quelque factionnaire pouvait y mettre l’œil.

Intercepter ce judas en accrochant au-dessus un vêtement eût éveillé des soupçons… le caporal avait trouvé mieux.

Déplaçant la petite table de la prison, il y avait posé la lumière de telle sorte que la fenêtre restait totalement dans l’ombre.

De plus, il avait commandé au baron de s’asseoir, et lui remettant un journal, il lui avait dit:

– Lisez, monsieur, à haute voix, sans interruption, lisez jusqu’à ce que vous me voyez cesser ma besogne…

Comme cela, on pouvait défier les factionnaires du corridor… Ils n’avaient qu’a venir!… Quelques-uns vinrent, qui ensuite dirent à leurs camarades:

– Nous avons vu le condamné à mort… il est très pâle et ses yeux brillent terriblement… Il lit tout haut pour se distraire… Le caporal Bavois est accoudé à la fenêtre, il ne doit pas s’amuser…

La voix du baron avait encore cet avantage de masquer un grincement suspect, s’il y en eût eu un…

Et pendant que travaillait Bavois, M. d’Escorval lisait, lisait…

Déjà il avait lu entièrement le journal et il venait de le recommencer, quand le vieux soldat, quittant la fenêtre, lui fit signe de se reposer.

– La moitié de la besogne est faite!… prononça-t-il tout bas. Les barres de la première rangée sont coupées…

– Ah!… comment reconnaîtrai-je jamais tant de dévouement!… murmura le baron.

– Là-dessus, motus!… interrompit Bavois d’un ton fâché. Quand j’aurai filé avec vous, je serai condamné à mort et je ne saurai où aller, car le régiment, voyez-vous, c’est tout ce que j’ai de famille… Eh bien!… vous me donnerez chez vous place au feu et à la chandelle, et je serai très content!…

Il dit, avala une large lampée d’eau-de-vie, et se remit à l’œuvre avec une ardeur nouvelle…