Изменить стиль страницы

Déjà le caporal avait fortement entamé un des barreaux de la seconde rangée quand il fut interrompu par M. d’Escorval qui, sans discontinuer sa lecture à haute voix, s’était approché de lui et le tirait par un pan de sa longue capote.

Vivement il se retourna.

– Qu’y a-t-il?…

– J’ai entendu un bruit singulier.

– Où?

– Dans la pièce à côté; où sont les cordes.

Le digne Bavois n’étouffa qu’à demi un terrible juron.

– Nom d’un tonnerre!… fit-il, voudrait-on nous tricher! Je joue ma peau, on m’a promis de jouer franc jeu!…

Il appuya son oreille contre une fente de la cloison, et longuement il écouta… Rien, pas un mouvement.

– C’est quelque rat que vous avez entendu, dit-il au baron. Reprenez le journal…

Et lui-même reprit la lime…

Ce fut d’ailleurs la seule alerte. Un peu avant quatre heures, tout était prêt pour l’évasion: les barreaux étaient sciés et les cordes apportées par un trou pratiqué à la cloison étaient roulées au bas de la fenêtre.

L’instant décisif venu, Bavois avait placé la couverture du lit devant le guichet de la porte et «encloué la serrure.»

– Maintenant, dit-il au baron, du même ton qu’il prenait pour réciter la théorie à ses recrues, à l’ordre, monsieur, et attention au commandement.

Et aussitôt, avec une parfaite liberté d’esprit, en décomposant bien, comme il le disait, les temps et les mouvements, il expliqua comment l’évasion présentait deux opérations distinctes, consistant à gagner d’abord l’étroit entablement situé au bas de la tour plate, pour descendre de là jusqu’au pied du rocher à pic.

L’abbé Midon, qui avait fort bien prévu cette circonstance, avait remis à Martial deux cordes, dont l’une, celle qui devait servir pour le rocher, était bien plus longue que l’autre.

– Je vous attacherai donc sous les bras, monsieur, poursuivait Bavois, avec la plus courte des cordes, et je vous descendrai jusqu’à l’entablement… Quand vous y serez, je vous ferai passer la grosse corde et la pince… Et ne lâchez rien!… Si nous nous trouvions démunis sur ce bout de rocher, il faudrait nous rendre ou nous précipiter… Je ne serai pas long à vous aller rejoindre… Êtes-vous prêt?

M. d’Escorval leva les bras, la corde fut attachée et il se laissa glisser entre les barreaux…

D’où il était, la hauteur paraissait immense…

En bas, dans les terrains vagues qui entourent la citadelle, huit personnes qui avaient recueilli le signal de Bavois, attendaient, silencieuses, émues, toutes palpitantes…

C’était Mme d’Escorval et Maurice, Marie-Anne, l’abbé Midon et quatre officiers à demi-solde…

La nuit, bien que sans lune, était fort claire, et d’où ils étaient ils pouvaient voir quelque chose…

Donc, lorsque quatre heures sonnèrent, ils aperçurent fort bien une forme noire qui glissait lentement le long de la tour plate… C’était le baron. Peu après, une autre forme suivit très rapidement: c’était Bavois…

La moitié du périlleux trajet était accomplie…

D’en bas, on voyait confusément deux ombres se mouvoir sur l’étroite plate-forme… Le caporal et le baron réunissaient leurs forces pour ficher solidement la pince dans une fente du rocher…

Mais au bout d’un moment, une des ombres émergea du saillant, et tout doucement, le long du rocher, glissa…

Ce ne pouvait être que M. d’Escorval… Transportée de bonheur, sa femme s’avançait les bras ouverts pour le recevoir…

Malheureuse!… Un cri effroyable déchira la nuit…

M. d’Escorval tombait d’une hauteur de cinquante pieds… il était précipité… il s’écrasait au bas de la citadelle… La corde s’était rompue…

S’était-elle naturellement rompue?…

Maurice qui en avait examiné le bout, s’écriait avec d’horribles imprécations de vengeance et de haine, qu’ils étaient trahis, qu’on s’était arrangé pour ne leur livrer qu’un cadavre… Que la corde enfin, avait été coupée.

XXXI

Chupin avait perdu le sommeil, presque le boire, depuis ce matin funeste où il avait vu flamboyer, sur les murs de Montaignac, l’arrêté de M. le duc de Sairmeuse, promettant à qui livrerait Lacheneur, mort ou vif, une gratification de 20, 000 francs.

L’odieuse provocation s’adressait à de telles âmes.

– Vingt mille francs, répétait-il, d’un air sombre, vingt sacs de cent pistoles chaque, pleins à crever, de pièces de cent sous, où je puiserais à même comme un richard!… Ah! je découvrirai Lacheneur, fût-il à cent pieds sous terre, je le dénoncerai et la toucherai la récompense!…

L’infamie du crime, le nom de traître et d’infâme qui lui en reviendrait, la honte et la réprobation qui en résulteraient pour lui et les siens ne l’arrêtèrent pas un instant.

Il ne voyait, il ne pouvait voir qu’une seule chose… la prime, le prix du sang…

Le malheur est qu’il n’avait pour guider ses recherches, aucun indice, même vague.

Tout ce qu’on savait à Montaignac, c’était que le cheval de M. Lacheneur avait été tué à la Croix-d ’Arcy, on l’avait reconnu en travers de la route.

Mais on ignorait si M. Lacheneur avait été blessé ou s’il s’était tiré sain et sauf de la mêlée. Avait-il gagné la frontière?… Etait-il allé demander un asile à quelque fermier de ses amis?…

Donc Chupin se «mangeait le sang,» selon son expression, quand le jour même du jugement, sur les deux heures et demie, comme il sortait de la citadelle après sa déposition, étant entré dans un cabaret, son attention fut éveillée par le nom de Lacheneur prononcé à demi-voix près de lui.

Deux paysans vidaient une bouteille, et l’un d’eux, d’un certain âge, racontait qu’il avait fait le voyage de Montaignac pour donner à Mlle Lacheneur des nouvelles de son père.

Il disait comment son gendre avait rencontré le chef du soulèvement dans les montagnes qui séparent l’arrondissement de Montaignac de la Savoie. Il précisait l’endroit de la rencontre, c’était dans les environs de Saint-Pavin-des-Grottes, un petit hameau de quelques feux.

Certes, ce brave homme ne croyait pas commettre une dangereuse indiscrétion. À son avis, sans doute, Lacheneur, si près de la frontière, pouvait être considéré comme hors de tout danger.

En quoi il se trompait.

Du côté de la Savoie, la frontière était entourée d’un cordon de carabiniers royaux, – gendarmes du Piémont, – qui, ayant reçu des ordres, fermaient aux conjurés tous les défilés praticables.