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Arrivé au sommet, cependant, il s’arrêta pour reprendre haleine, et tout en s’essuyant le front, il se retourna pour donner un coup d’œil au chemin qu’il venait de parcourir.

C’était la première fois qu’il venait jusqu’à cet endroit; il fut surpris de l’étendue du paysage qu’il découvrait.

De ce point, le plus élevé de la contrée, on domine toute la vallée de l’Oiselle. On aperçoit surtout, avec une netteté extraordinaire, en raison de la distance, la redoutable citadelle de Montaignac, bâtie sur un rocher presque inaccessible.

Cette dernière circonstance, que le baron devait se rappeler au milieu des plus effroyables angoisses, ne le frappa pas sur le moment. La maison de Lacheneur absorbait toute son attention.

Son imagination lui représentait vivement les souffrances de ce malheureux, qui, du jour au lendemain, sans transition, passait des splendeurs du château de Sairmeuse aux misères de cette triste demeure.

– Hélas! pensait-il, combien en a-t-on vu dont la raison n’a pas résisté à de moindres épreuves…

Mais il avait hâte d’être fixé, il alla frapper à la porte de la maison.

– Entrez!… dit une voix.

Par un trou pratiqué à la vrille, dans la porte, passait une petite ficelle destinée à soulever le loquet intérieur; le baron tira cette ficelle et entra.

La pièce où il pénétrait était petite, blanchie à la chaux, et n’avait d’autre plancher que le sol, d’autre plafond que le chaume du toit.

Un lit, une table et deux grossiers bancs de bois composaient tout le mobilier.

Assise sur un escabeau, près d’une fenêtre à petits carreaux verdâtres, Marie-Anne travaillait à un ouvrage de broderie.

Elle avait abandonné ses jolies robes de «demoiselle,» et son costume était presque celui des ouvrières de la campagne.

Quand parut M. d’Escorval, elle se leva, et pendant un moment, ils demeurèrent debout, en face l’un de l’autre, silencieux, elle calme en apparence, lui visiblement agité.

Il examinait Marie-Anne, et il la trouvait comme transfigurée. Elle était très visiblement pâlie et maigrie, mais sa beauté avait une expression étrange et touchante, rayonnement sublime du devoir accompli et de la résignation au sacrifice.

Cependant, songeant à son fils, il s’étonna de voir cette tranquillité.

– Vous ne me demandez pas de nouvelles de Maurice?… fit-il d’un ton de reproche.

– On m’en a apporté ce matin, monsieur, comme tous les jours. Je n’ai pas vécu tant que j’ai su sa vie en péril. Je sais qu’il va mieux, et que même depuis hier on lui a permis de manger un peu…

– Vous pensiez à lui?…

Elle frissonna. Des rougeurs fugitives coururent de son cou à son front, mais c’est d’une voix presque assurée qu’elle répondit:

– Maurice sait bien qu’il ne serait pas en mon pouvoir de l’oublier, alors même que je le voudrais…

– Et cependant, vous lui avez dit que vous approuvez le refus de votre père!…

– Je l’ai dit, oui, monsieur le baron, et j’aurai le courage de le répéter.

– Mais vous avez désespéré Maurice, malheureuse enfant; mais il a failli mourir!…

Elle redressa fièrement la tête, chercha le regard de M. d’Escorval, et quand elle l’eut rencontré:

– Regardez-moi, monsieur, prononça-t-elle. Pensez-vous que je ne souffre pas, moi?

M. d’Escorval resta un instant abasourdi, mais se remettant, il prit la main de Marie-Anne, et la serrant affectueusement entre les siennes:

– Ainsi, dit-il, Maurice vous aime, vous l’aimez, vous souffrez, il a failli mourir, et vous le repoussez!…

– Il le faut, monsieur.

– Vous le dites, du moins, chère et malheureuse enfant; vous le dites et vous le croyez. Mais moi qui cherche les raisons de ce sacrifice immense, je ne les découvre pas. Il faut me les avouer, Marie-Anne, il le faut… Qui sait si vous ne vous épouvantez pas de chimères que mon expérience dissiperait d’un souffle?… N’avez-vous pas confiance en moi, ne suis-je plus votre vieil ami?… Il se peut que votre père, sous le coup de son désespoir, ait pris quelques résolutions extrêmes… Parlez, nous les combattrons ensemble. Lacheneur sait combien mon amitié lui est dévouée, je lui parlerai, il m’écoutera…

– Je n’ai rien à vous apprendre, monsieur!…

– Quoi!… Vous aurez l’affreux courage de rester inflexible, car c’est un père qui vous prie à genoux, un père qui vous dit: Marie-Anne, vous tenez entre vos mains le bonheur, la vie, la raison de mon fils…

Les larmes, à ces mots, jaillirent des yeux de Marie-Anne, et elle dégagea vivement sa main.

– Ah! vous êtes cruel, monsieur, s’écria-t-elle, vous êtes sans pitié!… Vous ne voyez donc pas tout ce que j’endure, et que vous me torturez comme il n’est pas possible!… Non, je n’ai rien à vous dire; non, il n’y a rien à dire à mon père!… Pourquoi venir ébranler mon courage, quand je n’ai pas trop de toute mon énergie pour combattre le désespoir!… Que Maurice m’oublie, et que jamais il ne cherche à me revoir… Il est de ces destinées contre lesquelles on ne lutte pas, ce serait folie, nous sommes séparés pour toujours. Suppliez Maurice de quitter ce pays, et s’il refuse, vous êtes son père, commandez. Et vous-même, monsieur, au nom du ciel, fuyez-nous, nous portons malheur… Gardez-vous de jamais revenir ici, notre maison est maudite, la fatalité qui pesa sur nous vous atteindrait…

Elle parlait avec une sorte d’égarement, et si haut que sa voix devait arriver à la pièce voisine.

La porte de communication s’ouvrit, et M. Lacheneur se montra sur le seuil.

À la vue de M. d’Escorval, il ne put retenir un blasphème. Mais il y avait plus de douleur et d’anxiété que de colère, dans la façon dont il dit:

– Vous, monsieur le baron, vous ici!…

Le trouble où Marie-Anne avait jeté M. d’Escorval était si grand qu’il eut toutes les peines du monde à balbutier une apparence de réponse:

– Vous nous abandonniez, j’étais inquiet; avez-vous oublié notre vieille amitié, je viens à vous…

Les sourcils de l’ancien maître de Sairmeuse restaient toujours froncés.

– Pourquoi ne m’avoir pas prévenu de l’honneur que me fait M. le baron, Marie-Anne? dit-il sévèrement à sa fille…

Elle voulut parler, elle ne le put, et ce fut le baron, dont le sang-froid revenait, qui répondit:

– Mais j’arrive à l’instant, mon cher ami.

M. Lacheneur enveloppait d’un même regard soupçonneux sa fille et le baron.

– Que se sont-ils dit, pensait-il évidemment, pendant qu’ils étaient seuls?