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– Pourquoi cette émotion si violente? se demanda-t-elle, soupçonneuse.

C’est qu’un combat terrible se livrait dans l’âme du jeune marquis de Sairmeuse, entre son honneur et sa passion.

Ne souhaitait-il pas, la veille, l’éloignement de Maurice?

Eh bien!… une occasion se présentait, telle qu’il était impossible d’en imaginer une meilleure!… Que la démarche proposée eût lieu, et certainement le baron et sa famille allaient être forcés de s’expatrier peut-être pour toujours…

On hésitait, Martial le voyait, et il sentait qu’un mot de lui, un seul, pour ou contre, entraînerait tous les assistants.

Il eut dix secondes d’angoisses affreuses… Mais l’honneur l’emporta.

Il se leva et déclara que la mesure était mauvaise, impolitique…

– M. d’Escorval, dit-il, est un de ces hommes qui répandent autour d’eux comme un parfum d’honnêteté et de justice… Ayons le bon sens de respecter la considération qui l’environne.

Ainsi qu’il l’avait prévu, Martial décida les hôtes de M. de Courtomieu. L’air froid et hautain qu’il savait si bien prendre, sa parole brève et tranchante produisirent un grand effet.

– Évidemment, ce serait une faute! fut le cri général.

Martial s’était rassis, Mlle Blanche se pencha vers lui.

– C’est bien!… ce que vous avez fait là, monsieur le marquis, murmura-t-elle, vous savez défendre vos amis.

Pris à l’improviste, la voix de Martial se ressentit de son agitation:

– M. d’Escorval n’est pas de mes amis, dit-il, l’injustice m’a révolté, voilà tout.

Mlle de Courtomieu ne pouvait être dupe de cette explication. Un pressentiment lui disait qu’il y avait là quelque chose. Cependant elle ajouta:

– Votre conduite n’en est que plus belle.

Mais ce n’était pas là l’avis du duc de Sairmeuse, et tout en regagnant son château quelques heures plus tard, il reprochait amèrement à son fils son intervention.

– Pourquoi, diable! vous mêler de cette histoire! disait le duc. Je n’eusse point voulu prendre sur moi l’odieux de cette proposition, mais puisqu’elle était lancée…

– J’ai tenu à empêcher une sottise inutile!

– Sottise… inutile!… Jarnibieu! marquis, vous avez tôt fait de trancher. Pensez-vous que ce damné baron nous adore?… Que répondriez-vous, si on vous disait qu’il trame quelque chose contre nous?…

– Je hausserais les épaules.

– Oui-dà!… Eh bien!… marquis, faites-moi le plaisir d’interroger Chupin.

XV

Il n’y avait pas deux semaines que le duc de Sairmeuse était rentré en France, il n’avait pas encore eu le temps de secouer de ses souliers la poussière de l’exil, et déjà son imagination, troublée par la passion, lui montrait des ennemis partout.

Il n’était à Sairmeuse que depuis deux jours, et déjà il en était à accueillir sans discernement et de si bas qu’ils vinssent, les rapports envenimés qui caressaient ses rancunes.

Les soupçons qu’il eût voulu faire partager à Martial étaient cruellement et ridiculement injustes.

À l’heure même où il accusait le baron d’Escorval de «tramer quelque chose,» cet homme malheureux pleurait au chevet de son fils, qu’il croyait, qu’il voyait mourant…

Maurice était au moins en grand danger.

Son organisation nerveuse et impressionnable à l’excès, n’avait pu résister aux rudes assauts de la destinée, à ces brusques alternatives de bonheur sublimé et de désespoir qui se succédaient sans répit.

Quand, sur l’ordre si pressant de M. Lacheneur, il s’était éloigné précipitamment des bois de la Rèche, il avait comme perdu la faculté de réfléchir et de délibérer.

L’inexplicable résistance de Marie-Anne, les insultes du marquis de Sairmeuse, la feinte colère de Lacheneur, tout cela, pour lui, se confondait en un seul malheur, immense, irréparable, dont le poids écrasait sa pensée…

Les paysans qui le rencontrèrent, errant au hasard à travers les champs, furent frappés de sa démarche insolite, et pensèrent que sans doute une grande catastrophe venait de frapper la maison d’Escorval.

Quelques-uns le saluèrent… il ne les vit pas.

Il souffrait atrocement. Il lui semblait que quelque chose venait de se briser en lui, et il faisait à son énergie un appel désespéré. Il essayait de s’accoutumer au coup terrible.

L’habitude – cette mémoire du corps qui veille alors que l’esprit s’égare – l’habitude seule le ramena à Escorval pour le dîner.

Ses traits étaient si affreusement décomposés que Mme d’Escorval, en le voyant, fut saisie d’un pressentiment sinistre, et n’osa l’interroger.

Il parla le premier.

– Tout est fini! prononça-t-il d’une voix rauque. Mais ne t’inquiète pas, mère, j’ai du courage, tu verras…

Il se mit à table, en effet, d’un air assez résolu, il mangea presque autant que de coutume, et son père remarqua, sans mot dire, qu’il buvait son vin pur.

Tout en lui était si extraordinaire, qu’on l’eût dit animé par une volonté autre que la sienne, effet étrange et saisissant dont peuvent seuls donner l’idée, les mouvements inconscients d’une somnambule.

Il était fort pâle, ses yeux secs brillaient d’un éclat effrayant, son geste était saccadé, sa voix brève. Il parlait beaucoup, et même il plaisantait… Cherchait-il à s’étourdir?…

– Que ne pleure-t-il! pensait Mme d’Escorval épouvantée, je ne craindrais pas tant, et je le consolerais…

Ce fut le dernier effort de Maurice, il regagna sa chambre, et quand sa mère, qui était venue à diverses reprises écouter à sa porte, se décida à entrer vers minuit, elle le trouva couché, balbutiant des phrases incohérentes…

Elle s’approcha… Il ne parut pas la reconnaître ni seulement la voir. Elle lui parla… Il ne sembla pas l’entendre. Il avait la face congestionnée, les lèvres sèches, et par moments il sortait de sa gorge comme un râle. Elle lui prit la main… Cette main était brûlante. Et cependant il grelottait, ses dents claquaient…

Un nuage passa devant les yeux de la pauvre femme, elle crut qu’elle allait se trouver mal; mais elle dompta cette faiblesse et se traîna jusque sur le palier, où elle cria:

– Au secours!… mon fils se meurt!

D’un bond, M. d’Escorval fut à la chambre de Maurice. Il regarda, comprit et se précipita dehors en appelant son domestique d’une voix terrible.

– Attèle le cabriolet, lui ordonna-t-il, galope jusqu’à Montaignac et ramène un médecin… crève le cheval plutôt que de perdre une minute!…