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Il y avait bien un «docteur» à Sairmeuse, mais c’était le plus borné des hommes. C’était un ancien chirurgien militaire, renvoyé de l’armée pour son incurable incapacité; on le nommait Rublot. Il se soûlait, et quand il était ivre, il aimait à montrer une immense trousse pleine d’instruments effrayants, avec lesquels autrefois, sur les champs de bataille, il coupait, disait-il, les jambes comme des raves.

Les paysans le fuyaient comme la peste. Quand ils étaient malades, ils envoyaient quérir le curé. M. d’Escorval fit comme les paysans, après avoir calculé que le médecin ne pouvait arriver avant le jour.

L’abbé Midon n’avait jamais fréquenté les écoles de médecine; mais au temps où il n’était que vicaire, les pauvres venaient si souvent lui demander conseil, qu’il s’était mis courageusement à l’étude, et que l’expérience aidant, il avait acquis un savoir que ne donne pas toujours le diplôme de la Faculté.

Quelle que fût l’heure à laquelle on vînt le chercher pour un malade, de jour ou de nuit, par tous les temps, on le trouvait prêt. Il ne répondait qu’un mot: «Partons!»

Et quand les gens des environs le rencontraient le long des chemins, avec son large chapeau et son grand bâton, sa boîte de médicaments pendue à l’épaule par une courroie, ils se découvraient respectueusement. Ceux qui n’aimaient pas le prêtre estimaient l’homme.

Pour M. d’Escorval, plus que pour tous les autres, l’abbé Midon devait se hâter. Le baron était son ami. C’est dire quelle appréhension le fit trembler, quand il aperçut, devant la grille, Mme d’Escorval guettant son arrivée. À la façon dont elle se précipita à sa rencontre, il crut qu’elle allait lui annoncer un malheur irréparable. Mais non. Elle lui prit la main, et sans prononcer une parole, elle l’entraîna jusqu’à la chambre de Maurice.

La situation de ce malheureux enfant était des plus graves, il ne fallut à l’abbé qu’un coup d’œil pour le reconnaître, mais elle n’était pas désespérée.

– Nous le tirerons de là, dit-il avec un sourire qui ramenait l’espérance.

Et aussitôt, avec le sang-froid d’un vieux guérisseur, il pratiqua une large saignée et ordonna des applications de glace sur la tête et des sinapismes.

En un moment toute la maison fut en mouvement, pour accomplir ces prescriptions de salut. Le prêtre en profita pour attirer le baron dans l’embrasure d’une fenêtre.

– Qu’arrive-t-il donc?… demanda-t-il.

M. d’Escorval eut un geste désolé.

– Un désespoir d’amour… répondit-il. M. Lacheneur m’a refusé la main de sa fille que je lui demandais pour mon fils… Maurice a dû voir aujourd’hui Marie-Anne… Que s’est-il passé entre eux?… je l’ignore, vous voyez le résultat…

La baronne rentrait, les deux hommes se turent, et le silence vraiment funèbre de la chambre ne fut plus troublé que par les plaintes de Maurice.

Son agitation, loin de se calmer, redoublait. Le délire peuplait son cerveau de fantômes, et à tout moment les noms de Marie-Anne, de Martial de Sairmeuse et de Chanlouineau revenaient dans ses phrases, trop incohérentes pour qu’il fût possible de suivre sa pensée.

Ce que cette nuit-là parut longue à M. d’Escorval et à sa femme, ceux-là seuls le savent qui ont compté les secondes d’une minute près du lit d’un malade aimé…

Certes, leur confiance en l’abbé Midon, leur compagnon de veille, était grande; mais enfin, il n’était pas médecin, tandis que l’autre, celui qu’ils attendaient…

Enfin, comme l’aube faisait pâlir les bougies, on entendit au dehors le galop furieux d’un cheval, et peu après le docteur de Montaignac parut.

Il examina attentivement Maurice, et, après une courte conférence à voix basse avec le prêtre:

– Je n’aperçois aucun danger immédiat, déclara-t-il. Tout ce qu’il y avait à faire a été fait… il faut laisser le mal suivre son cours… je reviendrai.

Il revint en effet le lendemain et aussi les jours d’après, car ce ne fut qu’à la fin de la semaine suivante que Maurice fut déclaré hors de danger.

Ses parents remerciaient Dieu, lui s’affligeait.

– Hélas! se disait-il, je souffrais moins quand je ne pensais pas.

Ce jour-là même, il raconta à son père toute la scène du bois de la Rèche, dont les moindres détails étaient restés profondément gravés dans sa mémoire. Lorsqu’il eut terminé:

– Tu es bien sûr, lui demanda son père, de la réponse de Marie-Anne? Elle t’a bien dit que si son père donnait son consentement à votre mariage, elle refuserait le sien?…

– Elle me l’a dit.

– Et elle t’aime?

– J’en suis sûr.

– Tu ne t’es pas mépris au ton de M. Lacheneur, quand il t’a dit: Mais va-t-en donc, petit malheureux!…

– Non.

M. d’Escorval demeura un moment pensif.

– C’est à confondre la raison, murmura-t-il.

Et, si bas que son fils ne put l’entendre, il ajouta:

– Je verrai Lacheneur demain, et il faudra bien que ce mystère s’explique.

XVI

La maison où s’était réfugié M. Lacheneur était située tout au haut des landes de la Rèche.

C’était bien, ainsi qu’il l’avait dit, une masure étroite et basse; mais elle n’était guère plus misérable que le logis de beaucoup de paysans de la commune.

Elle se composait d’un rez-de-chaussée divisé en trois chambres et était couverte en chaume.

Devant était un petit jardin d’une vingtaine de mètres, où végétaient quelques arbres fruitiers, des choux jaunis et une vigne dont les brins couraient le long de la toiture.

Ce n’était rien, ce jardinet. Eh bien! sa conquête sur un sol frappé de stérilité, avait exigé de la défunte tante de Lacheneur des prodiges de courage et de ténacité.

Pendant les vingt dernières années de sa vie, cette vieille paysanne n’avait jamais failli un seul jour à apporter là deux ou trois hottées de terre végétale qu’elle allait prendre à plus d’une demi-lieue.

Il y avait près d’un an qu’elle était morte, et le petit routin qu’elle avait tracé à travers la lande, pour sa tâche quotidienne, était parfaitement net encore, tant son pied, à la longue, l’avait profondément battu.

C’est dans ce sentier que s’engagea M. d’Escorval, qui, fidèle à ses résolutions, venait avec l’espoir d’arracher au père de Marie-Anne le secret de son inexplicable conduite.

Il était si vivement préoccupé de cette tentative suprême, qu’il gravissait, en plein midi, la rude côte, sans s’apercevoir de la chaleur, qui était accablante.