Изменить стиль страницы

Le plus subtil observateur eût été pris à l’émotion de Mlle Blanche. On eût juré qu’elle avait mille peines à retenir ses larmes… peut-être même en tremblait-il quelqu’une entre ses longs cils.

La vérité est qu’elle ne songeait qu’à épier sur la figure de Martial quelque indice de ses sensations. Mais maintenant qu’il était en garde, il restait de marbre.

Elle continua:

«Je mentirais si je disais que je n’ai pas souffert de ce brusque changement… Mais j’ai du courage, je saurai me résigner. J’aurai, je l’espère, la force d’oublier, car il faut que j’oublie!… Le souvenir des félicités passées rendrait peut-être intolérables les misères présentes…»

Mlle de Courtomieu referma brusquement la lettre.

– Vous l’entendez, monsieur le marquis, dit-elle… concevez-vous cette fierté? Et on nous accuse d’orgueil, nous autres filles de la noblesse!

Martial ne répondit pas. L’altération de sa voix l’eût trahi, il le sentit. Combien cependant, il eût été plus touché encore s’il lui eût été donné de lire les dernières lignes de la lettre.

«Il faut vivre, ma chère Blanche, ajoutait Marie-Anne, et je n’éprouve aucune honte à vous demander de m’aider. Je travaille fort joliment, comme vous le savez, et je gagnerais ma vie à faire des broderies si je connaissais plus de monde… Je passerai aujourd’hui même à Courtomieu vous demander la liste des personnes chez lesquelles je pourrais me présenter en me recommandant de votre nom.»

Mais Mlle de Courtomieu s’était bien gardée de parler de cette requête si touchante. Elle avait tenté une épreuve, elle n’avait pas réussi: tant pis! Elle se leva, et accepta le bras de Martial pour rentrer.

Elle semblait avoir oublié «son amie,» et elle babillait le plus gaiement du monde, quand, approchant du château, elle fut interrompue par un grand bruit de voix confuses montées à leur diapason le plus élevé.

C’était la discussion de l’Adresse au roi, qui s’agitait furieusement dans le cabinet de M. de Courtomieu. Mlle Blanche s’arrêta.

– J’abuse de votre bienveillance, monsieur le marquis, dit-elle, je vous étourdis de mes enfantillages, et vous voudriez sans doute être là-haut.

– Certes non! répondit-il en riant. Qu’y ferais-je? Le rôle des hommes d’action ne commence qu’après que les orateurs sont enroués…

Il dit cela si bien, on devinait, sous son ton plaisant, une énergie si forte, que Mlle de Courtomieu en fut toute saisie. Elle reconnaissait, pensait-elle, l’homme qui, selon son père, devait aller si loin.

Malheureusement, son admiration fut troublée par un coup frappé à la grosse cloche qui annonçait les visiteurs.

Elle tressaillit, lâcha le bras de Martial, et très vivement:

– Ah!… n’importe, fit-elle, je voudrais bien savoir ce qui se dit là-haut… Si je le demande à mon père, il se moquera de ma curiosité… Tandis que vous, monsieur le marquis, si vous assistiez à la conférence, vous me diriez tout…

Un désir ainsi exprimé était un ordre. Le marquis de Sairmeuse s’inclina et obéit.

– Elle me congédie, se disait-il en montant l’escalier, rien n’est plus clair, et même, elle n’y met pas de façons… Mais pourquoi diable me congédie-t-elle?

Pourquoi?… C’est qu’un seul coup à la cloche annonçait une visite pour Mlle Blanche, qu’elle attendait «son amie,» et qu’elle ne voulait à aucun prix d’une rencontre de Martial et de Marie-Anne.

Elle n’aimait pas, et déjà les tourments de la jalousie la déchiraient… Telle était la logique de son caractère.

Ses pressentiments d’ailleurs ne l’avaient pas trompée. C’était bien Mlle Lacheneur qui l’attendait au salon.

La malheureuse jeune fille était plus pâle que de coutume, mais rien dans son attitude ne trahissait les affreuses tortures qu’elle subissait depuis deux jours.

Et sa voix, en demandant à son ancienne amie une liste de «pratiques,» était aussi calme et aussi naturelle qu’autrefois quand elle la priait de venir passer une après-midi à Sairmeuse.

Aussi, lorsque ces deux jeunes filles si différentes s’embrassèrent, les rôles furent-ils intervertis.

C’était Marie-Anne que le malheur atteignait, ce fut Mlle Blanche qui sanglota.

Mais tout en écrivant à la file le nom des personnes de sa connaissance, Mlle de Courtomieu ne songeait qu’à l’occasion favorable qui se présentait de vérifier les soupçons éveillés en elle par le trouble de Martial.

– Il est inconcevable, dit-elle à son amie, inimaginable que le duc de Sairmeuse vous réduise à une si pénible extrémité!…

Si loyale était Marie-Anne, qu’elle ne voulut pas laisser peser cette accusation sur l’homme qui avait si cruellement traité son père.

– Il ne faut pas accuser le duc, dit-elle doucement; il nous a fait faire, ce matin, des offres considérables, par son fils.

Mlle Blanche se dressa comme si une vipère l’eût mordue.

– Ainsi, vous avez vu le marquis de Sairmeuse, ma chère Marie-Anne? dit-elle.

– Oui.

– Serait-il allé chez vous?…

– Il y allait… quand il m’a rencontrée, dans les bois de la Rèche…

Elle rougissait, en disant cela; elle devenait cramoisie au souvenir de l’impertinente galanterie de Martial.

La sotte expérience de Mlle Blanche – elle était terriblement expérimentée, cette fille qui sortait du couvent, – se méprit à ce trouble. Elle sut dissimuler, pourtant, et quand Marie-Anne se retira, elle eut la force de l’embrasser avec toutes les marques de l’affection la plus vive. Mais elle suffoquait.

– Quoi!… pensait-elle, pour une fois qu’ils se sont rencontrés, ils ont gardé l’un de l’autre une impression si profonde!… S’aimeraient-ils donc déjà?…